Lieutenant jeta un coup d’œil sur l’affichage tactique de sa Mark 3, toute l’opération progressait selon le plan…Il marchait vers les puits d’accès menant à la surface d’un bon train, toute la troupe procédait avec discipline ; mais suivant son instinct de combattant aguerri, Lieutenant savait que quelque chose clochait…La Troisième Division à la surface de l’astéroïde s’en sortait trop bien. Il est étonnant de constater combien les circonstances répondent sans tarder à ce type de pré-sentiment, les murs se mirent à trembler et les transporteurs sonnèrent le repli tout aussi vite.
_Foudre à toutes les unités, repli immédiat ! Je répète repli immédiat vous avez trois minutes.
Le capitaine du Foudre n’aurait jamais changé le plan de bataille sans raison, le tremblement devait venir d’un bombardement orbital…Lieutenant n’ajouta pas à l’urgence et usa de son Jet pack pour regagner le bord du Foudre ; partout où la silhouette bleue et blindée passait, les cadavres flottaient dans le vide, les flammes léchaient les murs, tout semblait d’un calme si serein, d’une harmonie mortelle…Arrivant dans l’ombilical transparent, Griffon vit ce qui se passait à la surface, un croiseur terrien, flèche blanche brillante et menaçante approchait usant de sa terrible puissance de feu pour nettoyer le terrain, dans moins d’une minute tout le bataillon ne serait que de l’histoire ancienne.
Boule de feu dans le ciel étoilé, l’Indépendance tournoyait follement dans un nuage de gaz enflammé ; blessé à mort par le monstrueux Behemot terrien.
Lieutenant vit une dernière fois le visage du Capitaine, malgré leurs antécédents il ne pouvait que regretter la perte d’un tel guerrier, pour être honnête Lieutenant doutait encore de la décision du Milicien Général et de sa confiance en ses qualités de chef.
_Lieutenant 1/1 pour Caporal 1/1, où en est le protocole terre brûlée ?
_Caporal 1/1, terre brûlée en Cours mon Lieutenant, H moins cinq minutes.
_Lieutenant 1/1 à toutes les unités miliciennes, repli vers quais d’amarrage immédiat !
Il restait moins d’une minute avant que le massif croiseur terrien n’arrive à portée de tir de l’astéroïde, Griffon le savait mais il savait aussi que les terriens ne tiraient jamais sur leurs propres troupes, aussi le bombardement actuel n’était le fait que des chasseurs multi-rôles de classe Oiseau de Proie…Avec une efficacité maximale pour éviter de parler de chance, la majorité des effectifs miliciens pourraient se retirer sans pertes. Lieutenant resta sur le seuil des sas d’embarquement jusqu’à ce que le dernier Milicien embarquât dans le temps imparti, ce dernier était le jeune Caporal étendard ; sa mark 3 était celle de feu Major, elle portait fièrement chacune des cicatrices métalliques des son ancien possesseur, même la marque mortelle ; Lieutenant ne pouvait qu’admirer cette forme en mouvement, portant haut dans le vide l’étendard de la Milice ; mais plus encore la peau de transgénique de seconde génération juchée sur ses épaules telle une cape faite de la plus rare et féroce des créature du monde originel, il était à lui seul l’arrière garde, celui qui quitterait en dernier le champ de bataille…Et encore, cela ne semblait que temporairement attiser son envie d’accompagner ses frères à la surface de ce qui serait bientôt leur tombeau .Griffon passât à son tour derrière les portes blindées et enfin le Foudre put se dégager et suivre le Vindicatif sur son vecteur de fuite, ce dernier mettait l’astéroïde entre les terriens et les miliciens. Arrimé dans la baie de débarquement, Lieutenant se remémorait les évènements chocs de cette dernière mission, réalisant que rien ne serait plus jamais pareil, que la Terre était désormais en guerre avec Concorde et que le rapport de forces était terriblement déséquilibré.
S’immobilisant dans le vide spatial, le Foudre laissa certains de ses occupants contempler l’astéroïde exploser derrière sa position et le Vindicatif disparaître plus avant, derrière, l’immense croiseur blanc flottait entouré d’un essaim de chasseurs, la chasse était ouverte, la guerre avait commencée.
De nombreux jeunes miliciens étaient excités par une telle audace, mais les vétérans savaient ce qu’une telle provocation engendrerait comme réaction chez les terriens, ils savaient que leur répit cryogénique ne serait que de courte durée avant une bataille bien plus féroce…Concorde ne représentait plus le salut mais le prochain champ de bataille. Le Foudre accéléra sur son vecteur linéaire sans que l’on put prendre le temps d’accomplir le rite des balles, le temps de la vengeance était venu.
Etonnamment le Foudre s’arrêta à trente sept jours de Concorde dans un secteur désolé de l’espace profond, là attendait un vaisseau camouflé en noir spatial avec lequel le transporteur tactique de la milice s’arrima ; Lieutenant fut mis au fait de cette manœuvre et mandé immédiatement à bord de l’autre appareil spatial de la Milice, le croiseur était moderne mais modeste en place ; un équipage jeune servait à naviguer l’appareil, Griffon se rendit en salle de commandement ou l’écran tactique ne diffusait qu’un prompt de transcription probablement issu du Milicien Général.
_L’ANCIEN ?
_Oui mon général.
_NOUS SOMME ARRIVES A LA VEILLE D’UNE DATE DECISIVE POUR L’HISTOIRE HUMAINE.
_Quels sont les ordre mon général ?
_PRENDS LE COMMANDEMENT DE CE TORPILLEUR ET DETRUIT LA CAPITALE ENNEMIE.
_Quelle sera l’affectation du Foudre ?
_LE FOUDRE RENFORCERA L’ILLUSION DE LA DEFENSE DE CONCORDE POUR RETENIR LES FORCES TERRIENNES LE PLUS LONGTEMPS POSSIBLE.
Cette dernière affirmation informatique acheva de réveiller Griffon, si dans un premier temps l’idée lui parut bonne, sa connaissance de la puissance théorique de la flotte terrienne lui fit réaliser que Concorde serait détruite ; ors le souvenir de Concorde rimait avec l’odeur de Jasmin et d’Orange d’une femme, avec sa voix transportant la douceur amère des cigarettes et du Rhum bon marché, avec la voix cassée par le mort de celui que Griffon appelait autrefois Major mais surtout son ami…Tout en lui s’insurgeait, toutes les autres unités seraient détruites sans espoir, ce jeune caporal issu des tripes de Manu et probablement seul vestige de ses rares moments de bien être et d’oubli disparaîtrai, seul resterai lui et son amertume, lui et l’horreur d’un génocide dont il se savait bien incapable quoi qu’il en dise. Les mêmes symptômes que lors de la mission de PV-1156 se manifestèrent, ses yeux brûlèrent comme sous l’effet d’un gaz lacrymogène, sa poitrine s’affaissa comme sous un coup d’origine inconnue…Et tout ça sous le regard attentif de la caméra digitale servant d’œil au Milicien Général ; l’écran ne manqua pas de faire connaître son incompréhension.
_ EXPLICATION…
Le silence répondit à cette question digitale, Griffon était dévoré entre l’abandon au bien être de sa conscience naissante et la honte face à ce comportement indigne d’un milicien.
_EXPLICATION…
_Je ne peut pas.
_EXPLICATION…
_Je n’irai pas sur Terre.
_INSUBORDINATION.
Griffon relut le message pour sentir les dernières barrières de son conditionnement céder, sa confiance en la hiérarchie se briser en morceaux, l’image glorieuse du Milicien Général céder place à celle d’un cerveau grisâtre flottant dans le liquide amiotique…Sa voix passa le ton prévu, sa rage ne se déversa pas en un coup bref.
_Je rentre chez moi, c’est mon droit.
L’écran n’afficha plus rien, comme résolu, vaincu par une réaction imprévue par les méandres aux usages mécaniques du Milicien Général.
_La Mission sera menée à bien, la Milice mène toujours sa mission à bien ; elle ne sera pas menée par moi, c’est tout. J’ai celui qu’il vous faut pour entraîner cet équipage jusqu’au bout.
Lieutenant quitta le central et fit mander son jeune caporal ; celui-ci vint au plus vite, Il ne pouvait pas comprendre…Griffon le regarda dans les yeux sans parler, il notait chacun de ses traits, les ressemblances parfois subtiles mais le plus souvent criantes avec la belle femme brune de Concorde ; avec son reflet tranchant dans le glace le matin ; il ne pouvait que ressentir une certaine « tristesse », oui c’était là le nom de ce sentiment étrange.
_Quel est ton nom Milicien ?
_Mon nom est Caporal mon Lieutenant !
Griffon se remémora le comptoir de l’hôtel, le regard tendre de Manu, son rire, l’odeur de son corps ; le regard de son ami…Son nom était Licorne, et seul Griffon s’en était jamais souvenu, et demain Griffon mourrait tout comme la seule personne se souvenant de son nom à lui : Manu. Sa main griffue s’abattit sur la nuque du jeune milicien, le tirant jusqu’à ce que son front rencontre celui de son aîné, la voix rauque de Lieutenant ne fut plus qu’un murmure.
_Ton nom est Christophe Milicien.
L’autre osait à peine lever ses yeux félins, ne comprenant rien.
_Ton nom est Christophe…Celui de ta mère Manu et celui de ton père Griffon ; sois fier.
La serre se crispa sur le cou, bloquant l’arrivée d’air et de sang, le jeune caporal sombra dans l’inconscience sans chance aucune de résister…Lieutenant distribua ses ordres afin que la mark 3 de Christophe fut embarquée et que le torpilleur fit cap vers le système solaire et la Terre, les dés en étaient jetés mais il y aurait un témoin pour raconter tout cela, oh oui…Avec une douceur lui étant inconnue, Griffon détacha la balle briquée d’autour de son cou et la passa au jeune homme, saurait il jamais ? Peut-être pas mais cela n’avait aucune importance, il vivrait, sa promesse était tenue, il pourrait regarder Manu en face s’il en avait jamais l’occasion, si jamais…
Avec hâte Lieutenant rembarqua à bord du Foudre et le bâtiment disparut dans la direction de Concorde, quelques parsecs plus loin l’armada terrienne se rassemblait pour l’hallali.