Après une foule de choses vertes et brumeuses dansant en un champ de vision impossible, tout commence dans un choc, ses poumons sont brûlants, la bouche pâteuse, son visage baigne dans une flaque de vomi peu consistant, de la bile surtout. Là à quelques mètres de Piotr, gisant comme lui sur le carrelage froid du vestiaire il y a le rital, mais lui il a vomi du sang, ses yeux sont vides ; la visière faciale de son casque est brisée, sa main est crispée sur la poignée de son flingue, le sol est couvert de douilles ; Piotr n’arrive pas vraiment à lui sourire, mais il croit bien reconnaître de l’ironie au travers des toiles qui engluent son cerveau…Il pense : Tu l’as enfin eût ton vrai combat du con.
Mais enfin la pensée que quelque chose ne va pas lui arrive, oui il est mort, oui tu risques de mourir aussi. Lentement il se recroqueville sous l’effet de la douleur qui déchire ses intestins, il doit encore attendre que la brume verte se dissipe, attendre et ressentir un maximum pour comprendre ce qui s’est passé. Il écoute ; rares cris, rafales courtes ou décharges très contrôlées, il lui semble entrapercevoir quelque chose de bleu et massif passer dans le couloir, de lourdes vibrations de bottes de combat sur le sol, comme le tonnerre qui ravage son pauvre esprit…
Des miliciens, oui les transgéniques se sont enfin levés, il savait lui Piotr Alexandrovitch, il savait qu’un jour ces êtres intelligents traités comme des animaux en auraient assez, il savait que quand on créée un monstre comme Frankenstein, on finit comme ce savant fou. C’est un choc, c’est le pire scénario possible, des machines à tuer lâchées en toute surprise sur une installation excentrée, mais comment les renseignements n’avaient ils pas eût vent de tout cela ? Comme d’habitude, les soldats allaient casquer, payer la note des bureaucrates et elle était salée.
Les miliciens étaient méthodiques, comment Piotr était il encore en vie ? Il y songea longuement puis lui revint en tête la douleur dans sa poitrine, ses visions ; bon dieu de merde, ils ne l’avaient pas tué par ce qu’il était mort…Une putain d’overdose de fée verte, mais ce truc toxique avait des effets surprenants, il l’avait prouvé encore une fois. Le Ranger allait mieux, ou du moins assez pour réaliser qu’il fallait bouger et rapidement ; il roula derrière la rangée de casier, l’eau répandue sur le sol près des douches le réveilla un peu en même temps qu’elle effaçait les infâmes traces de bile chaude maculant son visage.
Nerveusement, très nerveusement, Piotr enfila un treillis et un gilet de protection à même la peau, puis il s’empara de son fusil, et vérifia qu’il était chargé, comme toujours ; Piotr le marteau était le seul cinglé à garder son arme chargée dans son casier, mais aujourd’hui cela avait montré son utilité.
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, Piotr resta plaqué dos au casier de métal, écoutant tous les bruits des alentours, ils lui arrivaient avec une étrange acuité et quelques échos ; puis il y eût un truc étrange, la ventilation commença à toussoter puis un mince filet de poudre jaune s’en échappa. Du gaz de combat ! Cette fois ci la fin était proche…Il fallait bouger, plus moyen d’attendre un sauveur quelconque, non Jésus Christ n’arriverait pas.
Oui, Piotr se jeta contre le mur des douches et tenta maladroitement de déverrouiller la boîte d’urgence incendie, heureusement que les stations spatiales de recherche en armements étaient sur-équipées, merci au budget ridiculement sous-estimé du conglomérat militaro-industriel le plus puissant de l’univers. Enfilant le masque à gaz dont l’autonomie était malheureusement limité Piotr serra comme un dingue sur son substitut phallique cracheur de plomb, il devait se concentrer, penser, mais son esprit était pourri et obstiné dans un trip malsain et paranoïaque.
Des ennemis, des ennemis partout, isolé, seul, Fuir : Le hangar ! Piotr fonça à l’autre extrémité des douches et entreprit de démolir la trappe menant au système de recyclage, en passant par les canalisations et le réseau du système de survie, il pourrait être invisible des Miliciens rôdant dans le couloirs, il était temps de tirer profit de sa connaissance parfaite de cette fichue installation.
Il se glissa adroitement entre les tuyaux et entreprit de ramper jusqu’à une coursive technique d’où il pourrait progresser plus vite vers le hangar, dieu fasse que les systèmes de sécurité anti-parasites soient en panne où il y aurait du Ranger grillé au menu du soir. C’était tantôt froid, tantôt brûlant mais toujours aussi gluant et sûrement puant si le masque à gaz n’en avait pas préservé les narines de notre Junkie favori ; il arriva après bien des minutes à pouvoir enfin se redresser, la coursive technique.
Un grand couloir doublant les axes principaux menant au système principal de survie, la lumière était en panne, Piotr tenta sa chance et courut le plus vite possible ; au détour d’une intersection ses yeux rencontrèrent l’horreur, des cadavres de techniciens mutilés, là bas au bout des armures bleues, c’était la fin. Une explosion envoya les morceaux du premier transgénique rebondir sur le mur du fond, puis le sifflement magique d’un M-110 crachant ses traits de feu sur le Milicien restant. Piotr sortit de sa cachette et gagna le front, il aperçut alors les formes collées au murs, des mines laser ; derrière des barricades improvisées du système de survie, des rangers revêtus de leurs Hawkers blanches. Alléluia ! Piotr fit de grands signes avec les bras et il entendit un des siens l’appeler.
« Pose ton flingue et avance ! »
Il s’exécuta prudemment, les clignotants des mines passèrent de l’orange mortellement trop mûre à un vert rassurant, Piotr désigna son masque et les plaques sur sa poitrine, l’un des gras reconnut son tatouage sur le biceps gauche.
« Merde, le marteau ! Amène toi vite ! »
Ils étaient quatre, deux valides tenant la barricade et un penché sur son camarade blessé ; il y avait une bonne caisse de munitions et quelques équipements entassés en hâte.
_Marteau, comment t’as fait pour t’en sortir, on croyait être les derniers avec ceux de la surface ?
_Ta gueule enculé, me faut de l’oxygène, vite !
Il comprit vite mais il n’y avait rien à disposition pour remplacer le masque de Piotr, il allait crever comme un rat, cette saloperie toxine neurale lui boufferait l’intérieur plus vite qu’un allemand sa ration de charcuterie quotidienne ; c’était une question de survie et la fée verte lui susurrait de plus en plus fort à l’oreille, Piotr s’agenouilla près du blessé et le regarda sommairement, ou plutôt sa Hawker ; elle avait pris un simple trou dans la partie souple liant le plastron et la plaque abdominale, une plaque de revêtement thermo-soudé et il n’y paraîtrai plus, le mec lui aurait besoin d’un toubib et d’un gros rab de chance.
« Désolé mec, j’en ait plus besoin que toi. »
Sous les yeux ébahis de l’infirmier Piotr commença à démonter l’armure de combat malgré les lamentables plaintes de douleur de son porteur.
_Bon dieu Marteau, qu’est-ce que tu fous ?
_Ecoute moi bien il y a une horde de transgéniques assoiffés de sang là dehors alors vous ne pouvez pas cracher sur un combattant de plus, lui il a son compte et vous ralentira plus qu’autre chose.
_Mais…
Un des gars de la barricade approuva le choix de Piotr avec regret, l’infirmier détourna son regard au moment ou le casque de l’armure fut retiré…Le blessé suffoqua, bava comme un fou de l’écume jaune, fut pris de spasmes et mourut avant que ses yeux n’explosent ; Piotr avait retiré le casque assez vite pour éviter de tacher le revêtement interne, il enfila d’abord le bas de la Hawker puis verrouilla le plastron avec l’aide de l’infirmier ; au final il prit une dernière bouffée d’air filtré et retint ce pauvre souffle avant de faire très vite le changement avec son casque ; étanchéité vérifiée, purge de l’air vicié…Presque deux minutes d’apnée, facile pour un Ranger, moins facile pour un Ranger défoncé jusqu’à l’os. Prenant une plaque souple de son équipement de campagne, Piotr effectua la réparation de son scaphandre avant de vérifier son arme et le nombre de munitions restantes.
« Il faut bouger, ils ne vont plus tarder. »
Ils lui accordèrent un regard incrédule ; il commença à vérifier les plans de la base via son afficheur tête haute puis à s’affairer sur un panneau de maintenance.
_Bouger pour aller où Marteau ?
_Hangar des chasseurs, pont trois.
_T’es fou ? Ils doivent nous attendre là-bas, puis aucun de nous ne sait piloter de toute façon.
_On sait bien manœuvrer l’antigrav d’une Hawker, un chasseur doit pas être bien plus compliqué…Et puis c’est pas pour aller loin, juste rejoindre Papy Dane et ses Bravo boys.
_Justement Dane et la Bravo vont pas tarder, on a qu’à tenir tranquillement notre position et…
Les hauts parleurs du complexe hurlèrent sans rémission, couvrant tout autre argument de la charmante voix sucrée, féminine et terriblement synthétique de l’intelligence artificielle gérant le laboratoire.
ALERTE, ALERTE, CELLULES D’ISOLEMENT DES SPECIMENS HORS SERVICE ; DANGER DE CONTAMINATION DE NIVEAU CINQ ; PROCEDURE D’URGENCE ENGAGEE, STERILISATION DU COMPLEXE DANS QUINZE MINUTES, VEUILLEZ GAGNER LES CAPSULES DE SECOURS LES PLUS PROCHES DANS LE CALME ET LA DISCIPLINE. ALERTE, ALERTE…
Piotr fit sauter le panneau et s’y engouffra, laissant un « Merde » bien sonore résonner sur la fréquence le reliant aux autre Rangers, il ne voyait plus que la navette donnant sur la liberté, toute chose entre elle et lui, quelle que soit sa nature, son sexe, son camp, son uniforme ou même son grade finirait en purée sanguinolente.
Le trajet dans le circuit de ventilation fur rapide, les pieds de Piotr ne touchant le sol que dans de rares arrêts pour se ré-orienter, le merveilleux système anti-gravité le faisait flotter telle une libellule, il commençait d’ailleurs à se demander s’il n’en était pas une, mais sa grosse rotative à chaleur Thompson lui rappela qu’il était plutôt une méchante guêpe.
Il s’arrêta finalement face à une des bouches du hangar, là les gars en armure bleue se repliaient avec discipline sans quitter les accès des yeux et de leurs armes, ils attendaient leurs petits frères pour sûrs…Piotr regarda son objectif dans la distance, un magnifique oiseau de proie blanc armé jusqu’aux dents et encore relié à son tuyau de ravitaillement en hydrogène liquide…Le cockpit n’était pas tellement exigu, il s’était greffé à la place du module pouvant le changer en moins d’une heure en drone sans pilote, la Hawker devrait pouvoir s’y glisser sans trop de difficultés, non les difficultés étaient en bleu.
Piotr aurait voulu balancer le peu de grenades encore attachées à son baudrier vers les cuves d’hydrogène pour les ratatiner, mais son bel oiseau y passerait tout aussi sûrement. Qu’ils aillent se chier, un coup de pied dans la grille la fit sauter, puis l’ange s’élança en volant vers son objectif ; il se renversa sur le dos et ouvrit le feu, les tubes du M-110 commencèrent à tourner follement alors qu’ils crachaient la mort.
Dans un excellent réflexe, les Miliciens se mirent à couvert, laissant le temps à Piotr d’arriver à destination, il lâcha son répétiteur laser et débrancha la valve de ravitaillement du chasseur, l’hydrogène se répandit alors dans le hangar, forçant les Miliciens à se décider pour le corps à corps et à oublier leurs armes à feu ; Piotr sauta avec la légèreté d’une plume dans le cockpit, caché par l’écran de fumée liquide.
Un pousser le bouton de mise sous tension, le cockpit se ferme et tous le systèmes s’initialisent ; deux trouver la manette des gaz et son bouton jaune de postcombustion ; trois le presser en tenant ferme le manche au neutre…Quatre (facultatif) prier si vous êtes croyant.
Les G étaient relativement inexistants, le hangar s’alluma dans une nuage de feu orangé derrière, là il y avait la sûreté relative des étoiles et…Un transporteur de combat de la Milice !!! Piotr sentit sa conscience lui échapper encore une fois au bon moment alors que le voile vert du délire envahissait son esprit, tout devint flou.