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Le Marteau

Piotr faisait sa ronde comme chaque jour, il haïssait cet endroit, ce boulot, cette vie ; il n’avait jamais voulu poursuivre sa « carrière » militaire, son service citoyen accompli il aurait voulu retourner à ses études d’arts plastiques, mais quand le gouvernement central avait décidé, il n’y avait rien à redire où bien on pouvait dire adieu à sa citoyenneté, et avec elle le droit aux soins médicaux et à l’enseignement.

Piotr avait le malheur d’être un garçon assez bien bâti, son père avait toujours insisté sur la nécessité d’un équilibre entre la culture du corps et de l’esprit ; ainsi son test d’évaluation psychomoteur avait montré chez le jeune homme une prédisposition au métier des armes plus importante que chez ses camarades, et il avait été envoyé au camp Bonaparte pour devenir un sous-officier des commandos…Les Rangers, il se serait bien passé d’appartenir au corps délite des troupes du Central, les meilleurs ; mon cul.

Pourquoi diable torturer des jeunes gens normaux quand on a des transgéniques à revendre pour faire le boulot ? Les Rangers, ceux qui ouvrent le chemin entre les étoiles, ce qui marchent sans peur, ce qui se battent partout, n’importe quand, ceux qui rappellent à l’univers entier qu’il n’y a rien de plus grand que l’hégémonie de la race humaine, de la pure souche.

Piotr avait trop chaud, sa combinaison moulante isotherme empêchait bien sa signature thermique d’être repérée mais elle gardait aussi toutes ces merdes à l’intérieur, et là dans ces foutus labos ils surchauffaient toujours ! Une douche, jeter ce fusil d’assaut de merde et prendre une douche ; puis s’avaler une bonne bière fraîche et aller sur la plage…Un officier scientifique rappela Piotr à l’ordre.

_Eh vous là, qu’est-ce que vous faites ? Le général Dane et la compagnie Bravo vont arriver d’une seconde à l’autre pour la relève, vous feriez mieux de me boucler ce harnais et vite fait !

_Oui monsieur.

Piotr salua le toubib et lâcha une belle bordée de jurons dans sa langue natale avant d’effectivement fermer le haut de sa combinaison hermétiquement, l’odeur lui remonta immédiatement aux narines. Il aurait bien tiré dans le dos de cet officier de pacotille, encore un qui avait été bombardé à son grade du à ses simples compétences scientifiques, il n’avait jamais du effectuer une marche forcée en pesanteur accrue ou se colleter avec des pirates Thaïs armés jusqu’aux dents.

Piotr ne vit plus rien d’intéressant pour les quarante minutes suivantes, qu’est ce qu’un soldat d’élite avait bien à foutre à garder une porte ? Il pensait encore que la mission des Rangers était la reconnaissance, l’intervention rapide, le contre-terrorisme ; mais à l’évidence, on aimait bien les aligner comme des soldats de plomb rien que pour les regarder et dire : eh, c’est mon installation prioritaire et elle est gardée par des Rangers, ce qui signifie que ma base est très importante ; dites je peut avoir mon étoile de général maintenant ?

Piotr en avait mare, dès que la relève arriva, il donna une tape annonciatrice du calvaire à venir à son camarade et fonça vers les vestiaires de la sécurité, il signa le registre, posa son damné fusil et ouvrit son casier ; il rangea précautionneusement tous les trucs fragiles puis bazarda au diable vauvert le reste de son encombrant « équipement léger ».

A poil, enfin, il respirait enfin ! Il ferma son casier et marcha jusqu’aux douches, oui une douche qui crachait de l’eau tiède…Ca valait bien la peine d’attendre. Piotr resta une éternité à profiter de l’eau recyclée, puis il se décida enfin à rallier son casier pour s’habiller. Fiorenti était en train de s’équiper au casier d’en face, Fiorenti était un de ces cons au sang chaud, un de ceux qui aiment le bruit des armes, les brimades viriles et la réputation de super héros des Rangers, son seul rêve était de dessouder un méchant pour se couvrir de gloire ; Piotr ne pouvait simplement pas le supporter, et pourtant il était dans son équipe. Mal inspiré alors qu’il aurait pu se taire et ne pas aggraver la note salée de cette « journée » de merde à bord de l’astéroïde s’amuse, Fiorenti agressa Piotr avec son faux accent rital qui lui donnait son style incomparable de crétin absolu.

_Eh le marteau, ça gaze ?

_Ca peut aller.

_Bah, fais pas la gueule, on va se tirer de ce trou par le prochain rafiot de toute façon, à nous la perm sur une colonie ensoleillée et pleine de chaudes qui lècheraient le moindre centimètre carré de nos belle armures blanches !

_Mon royaume pour une bière.

_Ouais, on se prendra une bonne cuite, on mettra une ou deux branlées à ces troufions de gardes planétaires puis on ira enfin faire un vrai boulot !

_Je suis partant pour la cuite, le reste je te le laisse rital.

_Allez me dis pas qu’étrenner ce nouveau répétiteur laser M-110 sur quelques pseudos-barbouzes du tiers monde te botterait pas ; une vraie bagarre, plus un entraînement, tir réel, des explosions et tout et tout.

_Je suis un pacifiste, je préfère être payé à rien foutre.

_C’est ça, joue moi le couplet de l’eau qui dort, tu crois que je suis pas au courrant ? Je sais que t’étais sur la station Gorbatchev quand il y a eût la prise d’otages, c’est pour ça qu’on t’appelle le marteau hein ? Pile poil entre les deux yeux, du vrai boulot d’orfèvre, t’es mon héros marteau ; un vrai dur !

_Dis pas de conneries, on est tous entraînés à faire ça.

_Peut-être mais on l’a pas tous fait, dis moi ça fait quoi de buter un mec pour de vrai ?

Piotr en avait assez, il se retourna calmement vers son casier, mais l’autre ne le lâchait plus, il continuait à insister, à décrire ce que ça faisait dans son imagination…Le marteau plongea sa main dans le casier, se retourna violemment et brandit son 10 millimètre sur le visage du rital, du même rythme implacable il arma le chien et fit glisser son doigt du ponté sur la détente ; Fiorenti était pâle, il ne respirait plus et suait à grosses gouttes malgré l’air conditionné ; Piotr désarma le chien sans sourire et baissa son pistolet.

_Ca fait ça à une différence près, j’ai pressé la détente ce jour là.

_Merde t’es dingue, j’ai vraiment cru…

_J’ai bien hésité un moment, j’aurais plus eût à supporter ta sale gueule, mais je tiens trop à ma perm.

Piotr recommença à s’affairer avec son casier ; le rital se barra sans demander son reste et riant jaune pour dédramatiser, le marteau était dingue. Quand le sale con eût déserté le vestiaire, Piotr Alexandrovitch s’assit sur le banc et sortit la seringue hypodermique en pistolet scotchée sous la planche supérieur ; il la secoua rapidement et la posa à l’encolure du coude, il serra les dents très fort et appuya sur le bouton, la capsule se déchargea en quelques très longues secondes, il se concentra contre l’impression montante et trouva la force jeter la seringue dans le casier puis d’en pousser la porte ; un voile vert nimba ses yeux et il tomba au sol comme une pierre ; il émit un petit rire aigu qui se changea en un lamentable cri de nouveau né alors que sa bave et ses larmes rencontraient le revêtement froid du sol des vestiaires, quelques spasmes agitèrent encore ses muscles puis tout devint d’un calme blanc et irréel.

La verte était un puissant psychotrope utilisé pour les expériences extra-sensorielles quelques années au par avant, un savant avait eût la bonne idée d’en diffuser une version coupée sur le marché noir et les quelques privilégiés qui purent y toucher ne jurèrent plus que par cette porte donnant sur l’inconscient. Piotr aimait faire de longues introspections pour maintenir l’unité de son être et toute la complexité de son raisonnement, un bon livre et quelques doses très faibles de verte le préservaient de la lobotomie totale provoquée par un environnement aussi abrutissant que celui des Rangers, et encore ils étaient des professionnels, pas des guerriers du dimanche.

Son voyage finissait immanquablement par l’amener à bord de Gorbatchev, ce jour là il avait été assaillant dans un groupe d’intervention de cinq Rangers, le gouverneur de la station avait été pris en otage par des miniers de Jupiter 2 salement mutés ; c’était amusant de revoir tout ça au ralentit, il en apprenait toujours un peu plus à chaque voyage sur la nature de ses sentiments à ce moment précis, mais aussi sur les gens qu’il avait vu si vite, sur le décor…Ca semblait si lointain, si irréel.

Le quartier des habitations avait été verrouillé en alerte dépressurisation, certaines sections emplies de carburant pour fusées dans l’espoir d’empêcher une intervention armée…Hélas, les Rangers disposaient d’armes à fléchettes, d’armes électriques, tout ce qu’il faut pour neutraliser des terroristes sans une étincelle ; Piotr et son groupe avaient foncé en usant des systèmes de contrôle gravitationnels de leurs armures, percé un trou bien propre dans la coque et enfile les couloirs les un après les autres ; puis ils sont entrés par trois portes simultanément, il y avait là trois mutos bien moches, le gouverneur de Jupiter, sa femme et sa petite fille de six ans ; Buckley a flingué le premier, fléchette à la tempe, sa caboche a fait un vrai feu d’artifices sous la pression ; Zou-Enlaï a grillé le second avec son tazer, Grant a évacué le gouverneur avec un masque respiratoire de secours ; Piotr a avancé sur celui qui tenait la femme.

Il avait un troisième bras atrophié, il perdait ses cheveux, des sortes de fils noirs tout raides…Son visage faisait des crevasses, de la mauvaise gnôle sûrement ; de quelle couleur étaient ses yeux ? Verts, non gris. Quelle importance ? Il beuglait en pointant son flingue artisanal sur la gorge de la femme, elle était bien, une combinaison spatiale noire de chez un grand concepteur, rehaussé au fil d’or, des cheveux longs châtains en queue de cheval, vraiment en forme et fraîche si on considère son âge, sa maternité passée et la situation. Oui elle était très calme en fait, tout ce qui l’intéressait était sa fille ; c’est l’arrière garde qui l’a évacuée ; ça a duré moins d’une minute.

Il était dans le coin, il allait surchauffer et tuer la femme ; il fallait le faire avant que ça ne devienne une certitude ; Piotr a fait comme s’il allait poser son pistolet et a tendu l’autre bras, le truc super sur les armures de combat Hawker F-44 c’est la lame de combat intégrée mais surtout les petits accumulateurs lasers placés sur les avant-bras, ils sont bougrement précis. Coup de poker sûrement, mais quel coup ! Le trait rouge a jaillit il y a eût un peu de fumée, la femme a crié sous la douleur, le rayon a percé son épaule et touché le cœur de son kidnappeur ; c’était parfait, blessure non mortelle cautérisée pour madame et une bonne explosion de l’organe central de monsieur à l’intérieur, très propre, style Ranger.

En fait ce mutant était désespéré, Piotr avait finement estimé sa condition mentale du moment, il rêvait que tout finisse bien, il aurait voulu ne jamais avoir fait ça et retourner travailler bien gentiment comme tous les jours ; quand le Ranger a très humainement baissé son arme pour tenter de discuter, il y a cru…Dommage que la politique des Rangers soit calquée sur celle des SAS du 20ème siècle en ce qui concerne les terroristes.

Il est mort sur le coup, mais son visage a exprimé cette dernière émotion bien particulière, la désillusion ; en fin ça en avait l’air mais ça pouvait tout aussi bien être une grimace de douleur après tout ; Piotr y songea longtemps puis décida qu’il n’en avait strictement rien à foutre, cette intervention lui avait value l’étoile polaire et un bon dossier qui lui permettrait peut-être de finir son service comme instructeur avec une belle prime sur sa retraite.

Un jour peut-être il extérioriserait tout ça et ferait son mea-culpa dans une galerie d’art en rendant hommage aux mineurs de Jupiter, c’était avant tout une question de liberté d’expression, les états d’âmes étaient un luxe qui pouvait coûter très cher à un Ranger.

 

 

Page vue 57 fois, créée le 06.09.2007 00h20 par guinch et modifiée le 06.09.2007 00h27 par guinch (#2)
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