logo
Accueil liste Commenter

Voyage sans retour.

Chimères, douces mais cruelles chimères…Le Milicien Major Griffon se leva en pleine forme lors de la mobilisation de cinq heures, alors qu’il passait à la décontamination il eût une pensée pour cette belle femme qui l’avait accompagnée dans sa beuverie hier, elle n’avait pas la chance d’éliminer les toxines aussi vite qu’un transgénique ; cette faculté avait tendance à s’effacer avec les nouvelles générations, ce qui contribuait à rendre les anciens légendaires au sein des nouvelles unités.

Prêt pour la revue, il passa une tenue de combat saillante juste sortie de sa protection sous vide ; il sortit de sa cellule et enfourna le couloir d’un bon pas, ici en sous sol la lumière crue agressait les yeux, cela aidait à se réveiller plus brutalement. Arrivé en section de ravitaillement, Major fit la queue jusqu’au distributeur, il sélectionna le même programme que d’habitude : ration de combat. Normalement, un milicien peut s’accorder le luxe d’un repas normalisé quand il est à la base, mais Griffon ne voulait pas s’habituer à un luxe qu’il n’aurait pas à bord du Foudre, pas plus qu’il ne daignait se lever tard ; la discipline était un rythme à ne pas rompre.

Griffon s’assit sur un ensemble table-banc en plastique et sortit son couteau de combat, tranchant emballage et nourriture il éplucha le rectangle de nutriments agglomérés comme un fruit avant de l’avaler en huit morceaux de part égale, ce faisant il prit bien soin de mastiquer, respirer et s’hydrater avec la dose individuelle d’eau ; il roula le plastique fin en boule au creux de sa pomme, y essuya la lame de son couteau puis déposa les détritus dans la corbeille de recyclage.

Formalité accomplie, Griffon cessa de compter. Cent quatre vingt dix huit secondes. Il restait dans une bonne moyenne pour un état d’alerte commun, le milicien devait pouvoir assurer sa plein condition physique même lors des opérations, ainsi son ravitaillement devait être rapide tout en étant assez lent pour être efficace et ne pas incapaciter le milicien ultérieurement. Griffon quitta la salle de ravitaillement et s’arrêta devant un des terminaux bordant chaque section de souterrains, s’identifiant il vérifia les objectifs de la journée et se prépara à remonter pour rejoindre l’unité de cadets qu’il entraînait. Un mois pour constituer un groupe de combat. Ces cadets allaient souffrir, c’était nécessaire car comme l’ancien disait : « La douleur est un bon professeur car on n’oublie jamais ses leçons. »

 

Le soleil était légèrement voilé par les nuages, le contrôle météo avait prévu la pluie pour 15:00 heure locale ; Griffon arriva au baraquement des vétérans de sa compagnie ; il entra et tous se mirent au garde à vous ; il désigna ses aides de camp.

« Sergent, Caporal ; mettez vous d’accord avec vos homologues miliciens, je veut les vingt cadets les plus prometteurs…et trois médiocres ; rassemblez les avec leur paquetage sur le tarmac de la piste 12. Rapport dans 15 minutes. »

Ils obéirent sans grand enthousiasme, les ordres étaient clairs, l’entraînement serait intensif, ce qui voulait dire qu’ils allaient quitter la colonie pour s’entraîner en conditions opérationnelles ; cela avait été une bien brève permission. 

Le vaisseau de largage attendait sur la piste douze, monstre de métal noir mat refroidissant doucement dans des cliquetis mécaniques il attendait gueule béante d’enfourner sa ration de chair fraîche ; le Major était là, son sac minimaliste sur le dos, sa protection légère ajustée et ses armes chargées ; seul son casque était toujours attaché à son harnais, car une fois enfilé alors le Milicien était méconnaissable avec sa visière noire lui masquant le visage et le respirateur intégré déformant sa voix, c’était sûrement les dernières bouffées d’air frais de la colonie que Griffon pourrait s’offrir avant un long moment. Sa main gantée semblait caresser l’évent à gaz d’échappement de son fusil d’assaut, le HK était lui aussi maintenu au harnais courant sur la protection légère par une sangle noire, assez serrée pour le maintenir en place, assez leste pour lui permettre des évolutions insoupçonnées. Au pas de gymnastique la colonne de cadets encadrée par les deux sous officiers sortit de la lointaine tour centrale pour traverser le terrain d’exercices, et rejoindre la piste 12 ; elle s’arrêta en ordre devant le Major ; il agrippa la crosse de son fusil et le pointa vers le haut, son autre main appuyée sur sa taille pour fournir un contrepoids superflu.

« Compagnie, nous avons un mois pour faire de vous des Miliciens et une unité opérationnelle ; je sais que vous êtes conscient des nécessités que cela implique, je sais que vous ferez tout ce que je vous dirai, même si ça semble illogique. Cadets,  prenez votre couteau et coupez vous le lobe de l’oreille gauche. »

Rapidement, de nombreux cadets obtempérèrent, ce fut rapide et précis…Quasiment chirurgical ; quand à ceux qui hésitèrent plus de deux secondes, on entendit les trois détonations assourdies par le silencieux du fusil du major, coups à la tête ; les trois corps tombèrent au sol en même temps que les douilles. Sur les visages des cadets, pas de surprise, pas de grimace trahissant émotion ou souffrance, pas de doute, ils étaient les meilleurs. Le Major commenta simplement.

« Un milicien n’a pas besoin de réfléchir s’il a des ordres ; ne faites preuve d’initiative que si votre supérieur vous l’ordonne…Cadets, vous pouvez cautériser vos plaies. »

La compagnie s’exécuta rapidement, puis le signal d’embarquement arriva ; la compagnie partait pour son voyage initiatique, aucun ne reviendrai jamais ; seule une nouvelle génération de miliciens reviendrait.

 

La navette avait roulé sur le dos et échappée dans le hurlement de ses fusées à l’attraction de Concordia ; après une phase d’approche lente et délicate, le transport de troupes s’amarra au transporteur de déploiement tactique Foudre. Le bâtiment de guerre était un des plus vieux de la flotte coloniale et allait sûrement sur son dernier voyage, après quoi il serait désarmé et envoyé vers le mythique fort Cimetière des miliciens ; ensemble de deux blocs modulables de forme rectangulaire ajustés côte à côté, son orgueil résidait dans l’imposante section de propulsion arrière et ses deux réacteurs nucléaires pouvant le sustenter durant de longs trajets, le foudre était peu armé si on excepte une batterie laser pour les frappes en orbite et deux lance missiles stratégiques de classe Ares…

Et pourtant le Foudre avait de nombreuses batailles derrière lui, de nombreuse victimes que les éraflures le long de ses flancs de pachyderme blindé auraient pu représenter. Le bruit fut sourd mais profond, les sas s’ouvrirent dans les jets de vapeur des pistons et les éclairages oranges de décompression illuminèrent la scène, la pesanteur avait disparue, le Major et ses deux suppléants se détachèrent et procédèrent rapidement, les miliciens Sergent et Caporal partirent effectuer la jonction avec l’équipage du Foudre alors que Major se renversa et posa les pieds au plafond, déroutant ses recrues.

« Dans l’espace les règles sont différentes, ne cherchez pas à établir un haut ou un bas commun, votre avantage réside dans votre capacité à envisager toutes les dimensions, toutes les options tactiques ; ici les maîtres mots sont : Oxygène, Trajectoire et Force Cinétique. Ne l’oubliez jamais, un objet bougeant dans l’espace va plus vite, mais il ne s’arrête jamais. Ici la précipitation entraîne inévitablement la mort, calculez vite, calculez bien. Maintenant cadets, suivez moi. »

Major se projeta d’une poussée trompeusement calme vers l’autre paroi, roula et rebondit, il atteint rapidement l’autre bout du couloir que formait le sas de raccord dans des trajectoires invraisemblables. Aucun cadet n’avait encore réagi, ils se dépêtraient maladroitement de leurs harnais de sécurité et essayez de ramasser leurs paquetages ; Major engagea le chargeur de son fusil d’assaut et l’arma, le bruit métallique alarma les premiers et les plus malins, mais Major n’allait pas s’arrêter là, oh non…Il ouvrit le boîtier du commutateur sur sa droite et abaissa le levier rouge ; les gyrophares tournèrent au rouge et la sirène d’alarme se mit à hurler pour prévenir de la dépressurisation imminente.

Les cadets abandonnaient tout derrière eux, ils faisaient au plus vite, traçant une droite entre eux et la sûreté du pont du foudre, mais Major les attendait, il lâcha une première rafale de balles plastiques friables qui laisseraient de beaux hématomes aux jeunes imbéciles, les renvoyant aussi brutalement en arrière vers une mort horrible dans le vide de l’espace. Major restait solidement arrimé  pour encaisser le recul de son arme, les vagues de jeunes corps étaient refoulées vers les parois d’acier…Les portes du sas se refermaient lentement. Un cri résonna dans le vide, une voix décidée, pleine d’envie de vaincre :

« Faites comme moi, balancez vos sacs ! »

Le jeune Cadet brimé par Major avant le décollage lança son sac pour obstruer la ligne de tir, d’autres l’imitèrent et tous se précipitèrent  sur les parois pour rebondir et éviter de faire de trop bonnes cibles, Major rechargeait son arme calmement, estimant la vitesse de ses cibles.

Presque parfait…

En effet, l’utilisation des murs latéraux pour rebondir était une bonne idée, tant que l’on ne pensait pas qu’ils étaient latéraux par rapport au sens d’arrimage de la navette, ils le pensaient tous, ils pensaient encore avec une idée de sol et de plafond, erreur funeste ; ils furent vite pris au piège par les bandes que Major faisait en utilisant le « sol » et le « plafond » pour faire rebondir ses balles plastique. Les portes se refermèrent sans qu’aucun soit passé, le sas fut dépressurisé.

Dix morts, dix personnes qui n’avaient pas vidé leurs poumons et exécuté la position de sécurité assez rapidement, ils explosèrent et leurs morceaux givrés ne blessèrent heureusement pas les survivants ; le groupe de cadet avait été retenu par un filet installé au préalable par l’équipage du Foudre, ils furent à l’intérieur avant qu’il ne soit trop tard, Major pensait qu’il était trop tôt lui, trop tôt pour que ces mômes passent le test espace, le plus difficile après l’épreuve du feu ; il fallait les former si vite, bien heureux s’il arrivait à former six bons miliciens avec tous ces cadavres en sursit. 

Les dix cadets survivants de l’escouade furent rassemblés sur le pont de stockage cryogène, un large espace vide et glacé illuminé par quelques néons blafards, les couchettes étaient alignées, leurs verrières ouvertes en grand pour accueillir les voyageurs ; Griffon observa longuement ses recrues, ils étaient éprouvés mais ne le montraient pas, ils étaient encore plus déterminés, le processus de sélection naturelle les galvanisant, les gonflant d’orgueil d’être ceux qui avaient survécu. Ils fallait entretenir cet esprit combatif, cette fierté, cette aspiration à la perfection et à la victoire.

« Plus que deux étapes avant de faire de vous des miliciens, restez concentrés. Vous allez effectuer votre premier voyage long cours en espace profond ; il y a le froid, l’obscurité, le néant…Et il n’y a rien que vous puissiez y faire, vos seules défenses face à l’abysse sont une volonté de fer, une discipline sans faille, une confiance indéfectible envers les miliciens qui forment l’équipage de ce transporteur. Vous pouvez gagner vos couchettes maintenant. »

Ils s’exécutaient aussi bien que possible, commençant à s’habituer à l’absence de pesanteur et à la manipulation du matériel du Foudre ; Major n’était pas pressé de gagner sa couchette, même lui ressentait de l’appréhension avant d’entrer en animation suspendue ; la seule peur du milicien, l’abysse, le néant ; Griffon vérifia soigneusement chacune des couchettes alors qu’elles se refermaient sur leurs occupants, pressurisation et niveaux, télémétrie des signes vitaux ; en dix minutes ils furent tous en stase zéro. Rejoignant les miliciens Sergent et Caporal, Major vérifia l’intérieur de sa couchette, il détestait cette chose ; Caporal lui avait un sourire détaché.

_Caporal, qu’est ce qui te réjouit tant ?

_Major, voyager mon Major ; je ne suis vraiment à mon aise que dans l’espace.

Sergent grommelait.

_Rien ne vaut la maison Caporal, tu as sûrement une malformation au cortex pour aimer le frigo.

_C’est peut être une chance mon Sergent.

Sergent ne saisit pas le sens de la réponse de son subordonné, Major oui ; il se permit un sourire et une légère chaleur l’envahit,  le détournant agréablement de sa hantise de la congélation à venir.

_Ambitionnerai-tu de devenir navigateur de transporteur Caporal ?

_Sans détour oui mon Major, je suis moins performant que la plupart de mes frère miliciens au combat, ors je désire servir la milice au mieux de mes capacités, je pense pouvoir le faire à bord d’un transporteur.

_Tu sais pourtant ce que cela implique Caporal.

_L’ancien disait : mieux vaut être blessé que mort, car blessé tu peux toujours combattre mon Major.

_Bonne nuit Caporal.

Major se glissa dans sa couchette et serra la balle contre sa poitrine une dernière fois, puis il poussa le bouton et le gaz anesthésiant le plongea dans le sommeil peut-être sans rêves de l’animation suspendue…Son activité cérébrale se stabilisa au minimum et le voyage s’annonçait sans grandes difficultés.

 

Griffon se mit à sentir, il sentit d’abord des picotements, puis un froid intense dessinant le contour de chacun de ses muscles, une brûlure atroce traversa toutes ses terminaisons nerveuses ; il se concentra sur ce qu’il entendait, une brouhaha se changeant en bruits d’électronique provenant de sa couchette, le bruit de la dépressurisation lente du caisson, l’ouverture de la verrière…Des paroles, des membres d’équipage sans doute ; oui, là une odeur, une odeur de Milicien à n’en pas douter. La bouche pâteuse, l’air brûlant entrant dans ses poumons, Major ouvrit les yeux difficilement et les tâches floues s’affinèrent lentement ; Major se força à faire trembloter ses muscles sans bouger, il articula péniblement.

« Rapport Statut »

Le milicien opérateur des communications sûrement, il parlait comme une horloge.

_Bonjour mon Major, départ plus trente et un jours, dix heures et vingt-quatre minutes ; réception message Flash prioritaire en provenance d’un vaisseau de la flotte du central terrien ; SOS vaisseau en perdition situé sur Delta-Adonis à quinze jours d’ici en vitesse forcée.

_Qu’en dit le Timonier ?

_Le Foudre peut effectuer ce voyage avec une marge de danger de 17%, possibilité de surchauffe des réacteurs.

_Manœuvre de reconnaissance dès notre entrée dans le système, avertis la Colonie que nous nous déroutons pour porter assistance au vaisseau terrien.

_Bien compris mon Major, a plus tard.

Un nouveau jet de gaz anesthésiant, Griffon se rendormit plus difficilement et atteint péniblement la stase zéro ; peu motivé et ayant à charge un groupe de cadets, cette mission de secours avait tout d’une catastrophe en puissance pour le milicien vétéran ; son sommeil fut agité de cauchemars indicibles, une sorte de prémonition sombre et confuse comme il en avait quelques fois.

 

 

Page vue 54 fois, créée le 05.09.2007 23h54 par guinch et modifiée le 05.09.2007 23h58 par guinch (#2)
Motorisé par R3.3.3 Tali