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Retour sur Concorde

Manu avait été une belle fille, maintenant elle était une femme, une femme rongée par les remords…Elle marchait sous le soleil brûlant de Concorde, la sueur roulait en perles brillantes le long des son dos bronzé, ses longs cheveux noirs bouclés et un peu négligés étaient attachés haut en chignon, derrière ses lunettes, ses grand yeux verts sombres comme le jade semblaient pouvoir consumer n’importe quel objet qu’ils rencontreraient ; ses longues jambes nerveuses allaient s’enlacer dans des sandales dont les lanières de cuir formaient le plus bel habillage qu’on pu faire pour une femme, elle était grande, son sang métisse afro-indien recelait sûrement l’A.D.N. d’un quelconque transgénique, moulée dans une robe de printemps à fleurs, ses épaules enserrées dans une chemise blanche trop grande et rendue transparente par toute cette sueur, Manu portait ses commissions dans un de ses sacs de palme tressée.

Son chemin la ramenait du marché du port de commerce vers son hôtel, comme tous le jours depuis quinze ans elle passerait devant le grillage la séparant de fort Espoir, la caserne de la milice coloniale ; ce n’était sûrement pas un hasard ,elle espérait croiser le regard de ce beau jeune homme aux cheveux gris et aux yeux d’un vert si clair qu’ils en étaient presque jaunes…Des yeux de félin.

Elle s’arrêta et s’assit sur le bord de la route, le vent du large la rafraîchissait délicieusement, elle commença à éplucher une belle orange juteuse, plantant ses longs ongles au vernis rouge écaillé dans la peau tendre du fruit. Quelques minutes plus tard il était là, elle aurait tout aussi bien pu attendre des heures. Les jeunes gens en treillis bleu étaient là, se faisant haranguer par leur instructeur qui devait bien faire deux fois leur largeur d’épaule, un véritable monstre…Oui un monstre. Dès l’instructeur partit, les jeunes gens se relaxèrent, se laissant aller à chahuter et rire, le merveilleux son de leurs voix lui parvenait porté par le vent, émerveillée, elle tentait de faire une visière avec sa main pour mieux le voir, à un moment, elle crut qu’il la voyait…Oui, avec ses grands yeux de fauve il la voyait, mais son visage n’exprima rien, pas même le mépris, il se détourna d’elle.

Manu se leva bouleversée, alors il l’avait vu et ça ne lui faisait rien ; elle prit son sac et marcha lentement le long de la clôture, ses pas traînaient dans la poussière, elle trébucha et tomba sans volonté aucune d’éviter la chute, le sac se coucha, les oranges roulèrent sur le sol ; elle sanglotait seule couchée sur la route, ses paumes en sang. Elle remarqua à peine le bruit de la voiture électrique en train de décélérer, un moteur bruyant pourtant, probablement militaire ; elle se redressa maladroitement pour ramasser ses affaires et partir avant que la situation ne devienne encore plus embarrassante. Trop tard, une paire de larges bottes de combat écrasèrent l’asphalte, cette fois-ci ton compte est bon Manu ; une voix profonde et lourde, puissante mais intelligible comme le tonnerre.

« Vous ne devriez pas vous approcher de cette clôture citoyenne, elle est électrifiée. »

Ca n’était pas vraiment une réprimande, en tout cas pas trop dure pour un milicien ; Manu s’agenouilla pour ramasser les oranges et les mettre dans son panier ; le milicien n’était pas trop grand, même plutôt petit selon leurs critères, pourquoi ramassa t’il cette orange ? Lui même ne devait pas le savoir, il la tendit à Manu, elle essayait désespérément de ne pas relever la tête ; mais en prenant l’orange avec un timide « merci » elle croisa son regard.

Un visage taillé au couteau, la peau brune de ceux qui vivent exposé aux rayons tueurs des étoiles dans l’espace, de nombreuses cicatrices, de grands yeux bleus et ronds, ronds comme ceux d’un aigle, des lèvres fines une pilosité grise importante mais strictement rasée…Son blouson bleu aux grades que Manu ne comprenait pas s’ouvrait sur un débardeur noir au dessus duquel pendaient des plaques d’immatriculation militaires et une grande balle briquée étrangement fascinante ; les pupilles se rétrécirent brutalement alors qu’il plongeait son regard dans le sien, elle tressaillit de peur et il détourna le regard pour cesser de la terroriser. La honte était presque palpable sur son visage parcheminé, il balbutia.

« Pardonnez moi. »

Manu se leva précipitamment ; puis courut en direction des faubourgs haïtiens, elle entendit le Milicien la héler pour lui dire qu’elle oubliait son orange, elle fit volte face avec un rire d’enfant et lui lança.

« Garde là l’ami ! »

L’étrange femme brune disparaissait au loin avec un beau sourire, il plaisait à Major ; il considéra un moment le fruit dans sa main et remonta dans la jeep.

« On y va Milicien, hangars de l’infanterie mécanisée 3ème Brigade. »

La jeep accéléra sur les chapeaux de roues avant de s‘engouffrer dans la zone militaire ; elle s’arrêta à l’ombre d’une de ces grandes constructions de tôle qui abritaient les convertisseurs de combat classe titan et quelques tanks peints en couleur camouflage de jungle ; une rangée de cadets miliciens tout juste sorti de l’exercice physique attendait patiemment sous le soleil brûlant, certains d’entre eux portaient la trace de coups, estafilades et ecchymoses diverses. Devant eux le géant qui hurlait, les assourdissant, était le Milicien Sergent qui avait servi avec Major durant le raid de PV-1156, un bon milicien sans aucun doute.

Le Milicien Caporal, ancien étendard de la compagnie était bien plus menu, fin mais tout en muscles nerveux, sa peau était étrangement restée pâle et la plupart des généticiens de la Milice s’accordaient à dire qu’ils n’y comprenaient absolument rien, Caporal était un esprit agile, très agréable contrepoids pour la brutalité de Sergent ; il devinait les humeurs et gérait les susceptibilités à merveille ;un futur officier à n’en pas douter…S’il survivait aux batailles à venir. Major descendit de la jeep qui repartit aussitôt, Caporal sauta du haut du tank où il faisait paresseusement la sieste, s’étirant, il fit quelques bonds et arriva au côté de Major.

_Vous semblez en forme mon Major, savez vous quand nous aurons enfin nos permissions ?

_Ce soir Caporal, si vous ne vous faites pas attraper en train de feignanter sur la tourelle d’un tank en révision.

_Reçu cinq sur cinq mon Major.

Les deux Miliciens arrivèrent à hauteur du groupe qui se mit au garde à vous express ; Sergent avait un sourire vicieux ; Caporal s’élança de sa tirade tout en passant l’escouade en revue.

« Garde à vous bande de rebuts génétiques! Non mais vous vous croyez où, chez les Rangers peut être ? »

Ils auraient bien eût envie de rire si ils n’avaient pas eût si peur de l’ancien resté en retrait, l’un d’eux pourtant se permit un sourire ; Sergent s’avança sur lui et lui hurla au visage.

« Qu’est ce qui te fait sourire abruti ?! »

Caporal colla sa tête à celle de sergent, regardant le cadet de ses grands yeux verts de reptile avec curiosité.

« T’as entendu la question du Sergent où il faut que je répète? »

Ces deux là avaient beau être programmés fondamentalement différemment, ils étaient un des meilleurs tandems que Major ait vu, ou du moins un des plus sympathiques. Major attendit de voir comment le cadet allait s’en tirer…Il corrigea sa position des quelques millimètres qui auraient pu lui valoir une réprimande puis il répondit.

« Les Rangers sont des faibles Sergent !Un Milicien peut bouffer dix Rangers tous les matins au petit déjeuner Sergent ! »

Major n’aimait pas trop la présomption, il savait pour avoir opéré avec de vrai Rangers qu’ils étaient tout de même dangereux, très dangereux ; il avança à son tour, le caporal et le sergent s’écartèrent. Il resta de profil au niveau du cadet, un jeune fauve qui prenait déjà le pas sur ses camarades.

« Et tu bouffes dix Rangers au petit déjeuner toi cadet ? »

Major tourna alors son visage vers le cadet, son visage crispé en un masque de colère contenue, ses yeux d’acier rétrécirent et plongèrent dans les yeux verts du jeune transgénique. Il cilla et répondit avec timidité.

« Oui mon Major ! »

Le visage de Major se ferma, une sorte de grimace déçue ; puis ses doigts comme une serre  frappèrent à la glotte, jetant le cadet sur ses genoux à s’étouffer.

« Non cadet! Tu n’es pas un milicien, tu n’es rien ! En ce moment précis tu ne vaut pas plus que les quelques spermatozoïdes de Milicien bourré qui a culbuté ta catin de mère dans un bouge des faubourgs! Un Ranger bouffe dix pisseux comme toi tous les matins, alors si tu veux devenir un milicien et bouffer du Ranger cadet, il te faudra devenir cent fois plus fort ! Cent fois plus vigilant ! Cent fois plus rapide ! Cent fois plus résistant ! »

Puis se tournant vers l’ensemble des cadets Major écrasa les doigts du cadet au sol avec sa botte.

« Mais surtout cadets, cent fois plus malin. »

Sur ce, Major laissa les cadets entre les mains expertes de ses subordonnés avant de partir pour rejoindre le bureau du capitaine où il avait été convoqué.

 

Le capitaine était de la troisième génération, il était physiquement parfait, mais ce qui était vraiment supérieur chez lui, c’était sa capacité analytique ; il avait parlé à trois ans, résolu des équations à quatre ans et finalement maîtrisé la navigations spatiale et l’astrophysique à l’âge de six ans ; Major admirait cette capacité et l’enviait un peu, Major était un impulsif qui agissait à l’instinct, le peu de sagesse qu’il possédait, il avait du la cultiver, la travailler longuement ; le Capitaine de la troisième brigade lui, avait eût tout ça naturellement. Cependant, le Capitaine n’aimait pas avoir l’ancien sous ses ordres, le respect quasi-religieux que lui vouaient ses miliciens le mettait mal à l’aise, comme quelque chose d’inconscient qu’il refusait de reconnaître ; Major frappa à la porte et entra, le Capitaine était assis face à la fenêtre donnant sur la mer d’un bleu si pur, il tapait négligemment d’une main agile sur le clavier de son ordinateur, rédigeant un rapport et méditant sur l’aspect des choses en même temps, sa voix claire lança la discussion d’une façon perverse.

_Comment va notre monument aujourd’hui ?

_Bien et vous même mon Capitaine ?

Le capitaine abandonna à regret sa contemplation pour faire face à son problème.

_Je pourrais aller mieux, à vrai dire le sort de la troisième brigade me préoccupe, les pertes de la campagne de PV-1156 sont simplement catastrophiques, même si on considère l’impossibilité de la tâche que la brigade a accompli.

_On ne peut rattraper une balle qui a été tirée mon capitaine.

_Oui je sais, enfin qu’en est il de nos effectifs ?

_Ils seront prêts dans les meilleurs délais, trois mois pour remplacer nos pertes, cinq pour constituer une réserve.

_Bien, je doute que nous ayons ce luxe, mais va pour le mieux.

_Mon Capitaine, sauf votre respect vous devriez vous plaindre au central terrien.

Le Capitaine jeta un oeil mauvais au dessus de son bureau.

_Je vois, est il vrai que vous encouragez nos jeunes Miliciens à se rebeller contre l’autorité terrienne ?

_L’autorité est la base de toute société, je ne la remet pas en question mon Capitaine.

_Ne jouez pas au plus fin avec moi Major, qu’en est il de l’avis de nos troupes ?

_Ils haïssent les terriens, mais ils savent où est leur devoir mon Capitaine.

_Bien, rompez, je veut un groupe de combat d’urgence prêt à intervenir dans un mois, pour le reste, prenez le temps qu’il vous faudra.

Major salua, effectua un demi tour sur place et disparut du bureau avec soulagement, cet officier au regard inquisiteur avait quelque chose en tête, quelque chose dont on ne voulait pas parler à la troupe. Mais la troupe s’en foutait, ce qu’elle voulait c’était dépenser sa solde et profiter du peu de temps avant la prochaine mobilisation ordonnée par le central terrien ; Major le voulait aussi, il allait s’entraîner avec les recrues aujourd’hui, cela ferait passer le temps plus vite, plus vite jusqu’à la nuit de toutes les peurs et de tous les plaisirs.

 

 

Page vue 57 fois, créée le 05.09.2007 23h50 par guinch
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