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Pardonne mais n'oublie jamais.

Le transport décolla, laissant les soldats blancs ébahis ou furieux, c’est selon. Les onze survivants de l’assaut de PV-1156 étaient arrimés dans leur transport avec autant de discipline qu’à leur arrivée, qu’il leur manqua un bras ou une jambe, il ne bronchaient pas ; méditant seulement les éléments tactiques du débriefing. L’ancien disait : « Le soldat qui ne s’améliore pas est prévisible ; le soldat qui est prévisible est mort. »

Au bout de vingt minutes, la vieille barge de transport parvint enfin à se libérer de l’attraction de PV-1156 avant de se diriger vers la frégate Indépendance ; l’arrimage fut brutal. Dans l’obscurité, chacun essayait de se reposer ou de se repasser les enregistrements de sa caméra embarquée pour analyser ses erreurs, un sifflement rompit la monotonie, de l’oxygène s’infiltrait dans le compartiment. Le sas arrière s’ouvrit et quatre membres de l’équipage en tenue de vol entrèrent pour détacher les miliciens valides. Les armures libérées flottèrent doucement vers le compartiment d’habillage, alors que derrière eux, les blessés étaient dirigés vers l’infirmerie. La mark 3 rigide s’arrêta en face de la cloison de métal, il y avait , une pression sur les étriers et les électro-aimants collèrent les bottes sur le sol ; derrière Major, le même son se répercuta comme une chute de dominos…D’abord désactiver la sécurité du scaphandre, ensuite éteindre l’alimentation principale ; là, enfin, Major enleva son casque et l’air tiède envahit la combinaison, l’odeur infecte de la sueur remonta à ses narines.

Lentement, Major ouvrit la plaque thoracique, puis il détacha les sangles le maintenant en place, jusqu’ici tout allait bien, maintenant venait le moment douloureux de s’extraire de la partie inférieure du scaphandre, poussant doucement sur son bas ventre et serrant les dents, Major enleva la sonde urinaire lui permettant d’évacuer, puis il agrippa les deux poignées au dessus de lui et se relaxa, tirant doucement sur ses bras il se retira du récupérateur d’excréments enfoncé dans son anus. Restant accroché aux poignées, il jeta un coup d’œil à ses miliciens, tous prêts, les jeunes craignaient la désincarcération, aussi s’employaient ils vite à s’extraire de leur scaphandre. Major soupira.

« Décontamination »

Les jets de vapeur antiseptique nettoyèrent soldats et armures, la vapeur se condensait, formant de petites gouttes courant sur les corps dénudés; Major récupéra la balle coincée dans la main de son scaphandre avant de remplacer celle qui pendait à son cou avec son immatriculation par celle ci…Sur la chemise du projectile était gravé un nom, il regarda la balle un instant avant de s’élancer vers son placard quand la vapeur s’arrêta ; il enfila la combinaison de vol moulante en nomex et rangea la balle dans une de ses poches. Il récupéra son couteau de combat, le fixa dans l’étui prévu à cet effet le long de son avant bras droit, puis vérifia son pistolet mitrailleur à balles friables, armé, il le rangea lui aussi dans son holster sous l’aisselle gauche.

Les miliciens sortirent en rang et montèrent le long des rampes pour rejoindre la passerelle, là ils attendirent en silence le débriefing avec le Lieutenant de la compagnie. Le Lieutenant appartenait à la quatrième génération, il avait eût son lot de batailles avant d’être affecté au personnel naviguant à cause de ses nombreuses blessures ; il était plus un coordinateur qu’un réel chef, ce rôle étant laissé aux commandants d’unités sur le terrain, il tourna son siège de commandement, et fit face aux survivants des trois escouades qui avait appuyé les forces terriennes durant l’assaut ; leurs Majors et Sergents disposés devant.

« Je ne peut pas dire que notre brigade aurai pu faire mieux, les risques imprévus ont largement augmenté du aux informations insuffisantes que le Foudroyant nous a données. Le Capitaine vous adresses ses félicitations, il est fier que la brigade dans son entier ait pu mener cette campagne en moins d’un mois sans l’appui effectif des forces terriennes, nous rentrons dans 2 heures standard. Quelque chose à ajouter ? »

Un milicien de la sixième génération leva la main et parla fort, comme pour se donner le courage de dicter la conduite de ses aînés.

« L’ancien doit parler ! »

De bruyantes approbations dans la foule des miliciens suspendus en apesanteur, derrière le lieutenant, la lune et PV-1156 s’écartaient doucement…Le Lieutenant détacha sa ceinture et se laissa flotter le long de la paroi supérieure.

« L’ancien parlera selon la tradition miliciens, mais dans les règles ; d’abord nous ramènerons les nôtres chez nous, puis rendez vous au mess. »

Les Miliciens évacuèrent le pont avec discipline, alors que presque tous étaient sortis, le Lieutenant appela Major.

_Major.

_Mon Lieutenant ?

_C’est à vous.

_J’y suis préparé.

Major sortit calmement, le Lieutenant était bien plus jeune que lui, il lui vouait ce culte que tous les miliciens vouent à leurs anciens ; en tant que doyen de la compagnie et sûrement de la brigade dans son entier, Major allait faire le récit. Mais tout d’abord Major et chacun des miliciens qui avaient récupéré la balle de leur frère d’armes allaient se retrouver au sas frontal, là ils enfileraient une combinaison spatiale légère puis chargeraient la balle avec douceur dans la chambre de leur fusil automatique, ils le pointeraient vers une étoile lointaine appelée Concorde, et un à un ils diraient :

« Le Milicien qui est mon frère d’armes rentre vers la colonie, je le rejoindrai bientôt. »

Puis la salve était tirée, les miliciens entamaient alors leur dernier voyage qui devait les ramener vers leur colonie natale. Major arriva dans le mess bruyant ou chacun racontait ses faits d’armes à ses compagnons, alors qu’il se propulsa vers la table centrale, le silence se fit. Le Lieutenant entra à sa suite et alla quérir la quille dans le stock, arrivant à la table, il y frappa le cul de la bouteille de whisky Talisker. Major attrapa la bouteille et se livra au difficile exercice de la boisson en apesanteur, l’ayant fait, il laissa la boisson rugueuse couler le long de sa gorge, lui réchauffer doucement les entrailles et la mémoire. Puis il rouvrit les yeux et dit la phrase rituelle.

« Je me souviens… »

Chaque Milicien présent retint son souffle, le récit différait d’ancien en ancien, mais Major avait déjà conté au paravent lors des rassemblements de la milice, il était respecté, il était un des premiers.

« Je me souviens d’un temps de certitude que seul les ancêtres ont connu, je me souviens d’une terre lointaine en l’an 2083 ; époque ou les riches dominaient les pauvres, époque où l’espace était vaste et inconnu de l’homme, époque où notre genre n’existait pas. Les hommes vivaient dans la médiocrité, un oracle de mauvaise augure vint leur rappeler que la survie est un combat de tous les instants. Un groupe d’hommes à la foi inébranlable, des hommes aussi fous que stupides se rendirent sur un des pôles de la terre, il y emmenèrent l’arme de destruction la plus puissante que connaissait le genre humain à cette époque ; une explosion sans précédent réchauffa ce havre de paix riche en ressources telles que l’eau, les cités côtières furent ravagées, l’écosystème bouleversé ; le chaos s’installa et la société des hommes dans son ensemble fut remise en question. Les consortiums militaro-industriels aidés des armés ramenèrent la sécurité, mais ce fut au prix de la liberté de tous les habitants de la terre, ce cycle d’évolution de la race humaine fut appelée globalisation. »

Les miliciens faisaient passer la bouteille de bouche en bouche, lorsqu’elle eût accomplie une révolution complète, Major y mouilla ses lèvres de nouveau avant de reprendre son récit.

« Dès lors que l’homme arrogant se rendit compte qu’il pouvait être exterminé dans son ensemble aussi facilement, il comprit qu’il devait partir et ce fut le début d’Exodus ; les industriels lancèrent un vaste programme de construction de vaisseaux spatiaux, ils envoyèrent des sondes aux quatre coins de l’univers et méditèrent longtemps sur leur devenir…La décisions fut prise que pour mener le troupeau vers la sûreté des pâturages il faut un berger et surtout des chiens ; la surface de la pauvre terre n’abritait même pas assez d’êtres d’exception pour fournir les spationautes nécessaires à ces expéditions, de l’ère de l’eugénisme, nous entrâmes alors dans l’ère du transgénisme ; issus des gènes de gabarits supérieurs, des embryons furent modifiés pour accueillir les avantages de certains animaux, ces premiers étaient les ancêtres, ils étaient nos pères. Les sondes revinrent longtemps après la naissance des pères, ils avaient été élevés dans le seul but de réussir, pour eux l’échec n’était pas une option. Les ancêtres furent partagés en équipages de vaisseaux  au nombre des tribus d’Israël, puis des colons furent confiés à leur garde ; ils dormiraient du sommeil les protégeant du vide glacé et du temps qui passe avant de rejoindre un endroit où peut être ils trouveraient la terre promise. Nos ancêtres vinrent à bord d’un navire nommé Espoir. »

Les plus jeunes étaient médusés, c’était la première fois qu’ils entendaient le récit, ils n’aimaient pas le gouvernement central terrien, savoir qu’ils en étaient originaires leur plaisait peu, mais ils respectèrent le récit et attendirent la suite.

« Dans l’Espoir on chargea les gens pauvres, les exclus, et cela pour dire que les chances étaient égales pour tous ; mais quelques années après le départ, les voyageurs furent tirés de leur sommeil, une fuite de carburant avait mis fin à leur voyage, leur destination bien trop lointaine à présent, ils n’avaient plus qu’à mourir seuls au milieu des étoiles. »

Un jeune à qui l’alcool montait un peu trop rapidement se prit à hurler.

« Sabotage ! Jamais les ancêtres n’auraient fait une erreur aussi grotesque ! »

Major sourit calmement alors que d’autres bouteilles étaient sorties des réserves, les plus anciens attendaient la suite en sirotant avec délectation, sans se presser comme les jeunes moins patients. Partant de son sourire énigmatique, Major reprit.

« Peut être, toujours est il que les ancêtres refusèrent d’abandonner, ils se penchèrent sur les données, et calculèrent sans répit pour trouver une solution…La solution ne vint pas des ordinateurs, tout aussi perfectionnés qu’ils fussent ; un homme s’éleva parmi les colons, il vint voir le chef des ancêtres et lui parla en ces termes. Je connais les secrets, autrefois les miens guidaient leur peuple en suivant les étoiles ; les étoiles m’ont parlées et m’ont montré la voie que nous devons suivre. Le chef des ancêtres resta sceptique, il ne croyait qu’en la toute puissante rationalisation scientifique ; mais lorsque le vieil homme lui montra la voie, l’ancêtre navigateur confirma la présence d’un corps astral non répertorié au par avant. L’Espoir était sauvé, les colons avaient trouvé la planète la plus proche de la Terre en termes de constitution, ils s’établirent sur ce paradis qu’ils nommèrent Concorde. Sur Concorde, colons et ancêtres vivaient en paix, et lorsque vint le temps du danger ils firent un pacte ; les ancêtres se reproduiraient avec des femelles colons, les enfants mâles leur seraient confiés et ils les entraîneraient pour en faire les protecteurs de la colonie. C’est ainsi que la milice coloniale naquît et c’est ainsi qu’elle se perpétue, à quelques exceptions prés.»

Des rires traversèrent l’assistance, en effet les jeunes miliciens ne connaissaient que trop bien l’usage d’aujourd’hui, leurs mères étaient souvent des filles désœuvrées attendant après la solde du père de leurs enfants. Major les laissa savourer avant d’ajouter le mot de la fin.

« Nous n’avons pas bâti notre réputation en un jour jeunes puceaux, maintenant corvée de nettoyage et tout le monde au lit, le voyage va être long jusqu’à Concorde. »

Les Miliciens s’exécutèrent, il fallait entreposer l’équipement, calculer le plan de navigation et préparer l’équipage pour la stase qui le protègerai durant le long voyage ; même à la vitesse de la lumière les distances restaient phénoménales en termes temporels humains. Des soldats minutes qu’on tire du frigo pour  les lancer dans la bataille, quelle vie…Quelle vie excitante pour un Milicien. Moins d’une heure plus tard, l’Indépendance manœuvra lentement avec l’infinie patience d’une machine, puis elle accéléra dans une trajectoire rectiligne. Les Miliciens laissaient derrière eux PV-1156, planète riche qu’exploiteraient de nouveau colons, et une lune, tombeau de la rébellion néo-communiste. Ceux qui se rattachaient aux religions antérieures à la globalisation étaient des fous, ils n’avaient pas entendu le récit, ils n’en avaient pas tiré la leçon. L’Ancien disait : « Pardonne mais n’oublie jamais. »

 

Page vue 49 fois, créée le 05.09.2007 23h42 par guinch
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