Les silhouettes imposantes attendaient, rangées en ligne avec discipline ; les larges scaphandres spatiaux de combat Sweïzer mark 3 étaient arrimés au niveau des épaules, assurant leurs porteurs contre les cahots de la rentrée en atmosphère. Pas un bruit, pas même la respiration haletante des miliciens dans leur radios ; Sergent ne pouvait s’empêcher de ressentir de la fierté, tout jeunes qu’ils étaient, ses soldats appliquaient à la perfection leur entraînement à maîtriser leurs bio rythmes. Le décompte approchait de zéro sur l’afficheur tête haute de son casque, l’officier coordinateur de la marine spatiale terrienne cru bon de demander un rapport de statut pour la troisième fois, exaspérant.
_Croiseur Foudroyant à transports de troupes, Major est-ce que vos hommes sont prêts ?
Sergent ne regarda pas dans la direction du Major, la réponse ne se fit pas attendre.
_Ils sont toujours prêts Foudroyant, ce ne sont pas des hommes, ce sont des miliciens.
Un rire franc mais teinté de nervosité agita les miliciens les plus jeunes, Sergent savait que les cinquièmes et sixièmes générations manquaient encore d’expérience ; ce qui était encore plus vrai concernant le combat en environnement hostile ; mais comme un poisson dans l’eau, un milicien est à son aise en apesanteur, il y a grandit.
Contact ; un bruit sourd retentit, la coque d’acier répercutait le bruit des patins d’atterrissage touchant le sol rocheux de la lune de PV-1156. Dans la semi obscurité de la cale, Sergent distinguait le bruit des bottes de céramique polymères racler le sol, leurs électro-aimants émettant un bruit sourd à chaque fois qu’elles rentraient en contact avec le pont…Dans quelques secondes le sas allait s’ouvrir sur les tranchées, la ligne de front et la fureur de la bataille. Sergent anticipa, il était le porte voix de Major.
« Miliciens ! Sur-visières en position. »
Légers bruits électriques, des voiles dorés avaient glissé et recouvert les visières transparentes des casques, protégeant la cornée des miliciens contre la brûlure mordante du soleil proche. Les portes blindées du sas se séparèrent en leur moitié verticale, le filet de lumière aveuglante sembla fendre l’air immobile, les particules de poussière renvoyaient les éclats distants de la bataille quelques centaines de mètres plus bas. Sergent alluma le préchauffage de son réacteur dorsal, il posa le doigt sur la commande de l’arrimage de son scaphandre.
« Miliciens ! Largage dans soixante secondes. »
Un reflet lumineux apparut derrière les lignes ennemies, Sergent relâcha la commande de largage en hurlant.
« Largage !Largage ! »
Les plus jeunes furent surpris de recevoir l’ordre d’une façon si informelle avant la fin du compte à rebours, mais comme le disait l’ancien « Un soldat qui hésite est un soldat mort. » ; Sergent dérivait dans le vide comme de nombreux autres, au loin, ceux qui avaient hésité à suivre son ordre brûlaient dans la carcasse du transporteur en flammes ; Sergent soupira et alluma son réacteur dorsal en pensant. Le Foudroyant avait confirmé l’éradication des défenses aériennes ennemies…La voix tonitruante de Major le tira de sa rêverie.
« Miliciens, rassemblement ; nouveaux ordres, nous attaquons les positions d’artillerie ennemie à GPS 1018-0621. Pas de quartiers. »
La vingtaine de silhouettes en armure bleue se redirigèrent, Sergent enleva la sûreté de son fusil et le braqua sur les positions ennemies, le réticule de visée était encore rouge, indiquant que la cible était hors de portée.
« En tirailleur, Baïonnette au canon ! »
Les fusils lasers ne refroidissaient pas assez vite pour tirer rapidement plusieurs fois de suite, ors en apesanteur, les armes balistiques étaient trop dangereuses, trop imprévisibles ; quant aux munitions à ogive friables utilisées à bord des vaisseaux, elles étaient tout simplement inutiles contre des armures. Alors les batailles en apesanteur finissaient toujours dans des corps à corps sanglants où la moindre blessure résultait en une dépressurisation fatale. Des flashs de couleur dansaient autour des Miliciens, les rebelles surpris et effrayés oubliaient la porté efficace de leurs armes ; elles ne refroidiraient pas assez vite. Major accéléra, son fusil lâcha un trait de feu rouge qui coupa en deux un scaphandrier ennemi en bas dans la tranchée ; la voix pleine de rage du commandant des miliciens satura alors la fréquence.
« A L’ASSAUT ! »
Des hurlements bestiaux y répondirent, les fusils crachèrent la mort ; un rebelle eût le temps de lâcher un missile à fragmentation au centre de la formation ennemie, son action intelligente aurait pu briser la vague d’assaut de n’importe quelle unité, mais les mark 3 des miliciens amputaient les membres dépressurisés de la combinaison, et les miliciens auraient rampé pour se battre plutôt que de laisser cet honneur aux Rangers, les troupes d’élite terriennes. Le Milicien Première Classe 6124 déchargea tout le combustible de son propulseur dans un ultime sursaut de rage combative, dégoupillant une grenade à fusion, il emporta la batterie d’accélérateurs magnétiques ennemie et ses artilleurs dans une gerbe de feu. Sergent avait touché le sol en plein milieu d’une escouade ennemie, le premier d’entre eux avait été empalé sur la méchante baïonnette juchée à l’extrémité du long fusil laser Kalachnikov , les servomoteurs de l’armure démultiplièrent alors la puissance des muscles du vieux milicien, le bras gauche partit dans un arc de cercle improbable, s’écrasant dans la visière du rebelle qui se tenait derrière Sergent, les bouts de plexiglas ricochèrent, inoffensifs sur le lourd blindage de la mark 3. Mauvaise tactique, tu as merdé Sergent.
Le troisième fantassin ennemi, situé 45° avant droite, angle mort…La lame de son couteau trancha une des deux arrivées d’oxygène situées à l’arrière du casque du Milicien, l’affichage tête haute tourna au rouge, signalant une fuite et la baisse soudaine de l’autonomie du scaphandre de combat ; Sergent inspira en fermant les yeux, dans un murmure il activa les commandes vocales de son scaphandre.
« Réserve d’Urgence. »
Cinq minutes, cinq minutes pour supprimer les deux adversaires restants, cinq minutes pour gagner la bataille, cinq minutes pour colmater la fuite pourtant hors de portée des mains du milicien. La main droite lâcha la poignée de l’accumulateur de chaleur Kalachnikov en train de refroidir, d’une pression du poignet, la lame de combat longue de trente centimètres jaillit de sous la plaque de blindage abritant l’avant bras ; le rebelle hurla, mais dans l’espace nul son n’arrivait aux oreilles de Sergent, la main de son adversaire flotta doucement pendant quelques secondes avant d’exploser, remplissant l’espace de petites bulles liquides rouges. Quatre minutes trente cinq…
Le dernier ennemi poussa son compagnon hors de combat sur le côté, tentant d’aligner son fusil laser plus court sur n’importe quelle partie du milicien ; Sergent donna une petite poussée sur ses talons, le propulsant en l’air vers l’ennemi caché derrière le cadavre où était toujours enfoncé la baïonnette du Kalachnikov.
Trois minutes cinquante quatre…
Le rebelle leva le canon de son arme, trop tard, il était maintenant coincé sous l’aisselle de Sergent qui utilisa le thorax de son adversaire pour se freiner avec les deux pieds ; conduisant son élan il l’envoya voler au dessus de la tranchée, lâchant de par la même la grenade qu’il maintenait dans sa main pour l’occasion. Sergent fit un geste d’au revoir de la main avant de se baisser. La déflagration fut terrible et silencieuse, si ce n’est le bruit des bouts de chair, de métal en fusion et de roche rebondissant sur l’épaisse carapace blindée de la mark 3.
Trois minutes douze…
D’un coup de pied, Sergent arracha le Kalachnikov du ventre de son adversaire, dans un filet semi-liquide de sang, les boyaux s’étirèrent comme une grande guirlande joyeuse célébrant la prise de la position ennemie. Trois minutes… Sergent se retourna, un simple coup d’œil à la projection tactique, les points bleus étaient plus nombreux que les points rouges, bien ; la jauge de refroidissement du Kalachnikov quand à elle était jaune, il tirerait à nouveau dans quelques secondes.
Deux minutes cinquante deux…
Sergent sauta prudemment pour atteindre le haut de la tranchée sans pour autant se perdre dans le vide de l’espace, près de la dernière pièce d’artillerie, la bataille faisait rage, mais les défenseurs étaient enragés, ils savaient qu’ils allaient mourir de toute façon, ors il n’y a pas plus dangereux et imprévisible que celui qui n’a plus rien à perdre. Alors que Sergent se rapprochait par bonds successifs, il vit qu’une silhouette bleue se défendait vaillamment contre six agresseurs, sa virtuosité était telle…Oui le transpondeur de l’armure était celle de Major, cependant il était seul, trop seul. Un rebelle tira au petit bonheur la chance, il fit exploser la cuisse et le reste de la jambe gauche de Major, les derniers acolytes allaient finir le travail ; Sergent aurait du les laisser faire, tout bon tacticien aurait attendu, attendu que la jauge du Kalachnikov soit verte avant de tirer, Sergent n’attendit pas, il tira dès qu’il eût un angle efficace. Deux d’un coup, toucher la réserve d’oxygène pour qu’elle explose, en tuer même peut être trois. Les étincelles et les flammes firent une apparition fugitive, effaçant trois êtres humains. Un des trois rebelles restants se contenta de frapper Major aux reins avant de se ruer sur Sergent, le Kalachnikov ne tirerai plus avant un complet remplacement de ses lentilles convergentes, Sergent le lâcha pour s’emparer de son couteau de combat de la main gauche. Deux armes, deux fois plus de chances de tuer l’ennemi avant qu’il ne vous tue ; rectification tuer le premier ennemi et accueillir le second, un coup osé. Les gestes semblaient si lents et décomposés, vu de loin, la bataille était un doux ballet de danseurs silencieux et graciles ; vue de prêt, elle sentait la sueur dégoulinant sur les revêtements éponges tapissant l’intérieur de scaphandres, c’était la douleur d’un membre tranché atténuée par l’injecteur de drogues de combat incorporé, c’était le goût de la salive salée mêlée au sang, le goût de la peur, de la haine. La lame de combat du bras droit para le premier coup, le couteau de combat frappa quant à lui à la nuque, la force surhumaine du milicien enfonçant la petite lame vicieuse à travers le joint pourtant pressurisé et blindé ; la tête allait exploser, se vider de petites cellules grises et rosées sanguinolentes, des souvenirs d’un noël à attendre les mystérieux cadeaux, d’un premier baiser si excitant, d’un oui sacrément difficile à prononcer, de la fierté de la paternité. La vie ne tenait à rien, ou presque rien ; juste vingt-deux centimètres d’alliage titane qui s’enfoncent dans ta boîte crânienne pour te vider de tes souvenirs, puis c’est une lettre, un drapeau débile et la sonnerie aux morts. Bon voyage.
Une minute vingt quatre…
Le deuxième inconscient arriva, Sergent repoussa le cadavre de son meilleur ami comme on jette une serviette usagée ; il ne bougea pas. L’autre, le visage grimaçant de colère, les yeux pleins de larmes à travers son hublot se rapprochait ; Sergent fit tourner son couteau dans sa main avant de l’envoyer rebondir sous l’entrejambe du Rebelle, le pommeau toucha le rebelle au ventre, déviant sa trajectoire de quelques degrés vers le haut, le fou lancé à toute vitesse continua sa route au dessus de la tête de Sergent puis se retrouva stoppé par la lame de combat transperçant son abdomen de part en part ; juste le temps de sentir la douleur avant l’explosion.
Quarante sept secondes…
L’armure bleue de Sergent était constellée de petites limaces rouges, les tâches semblaient vivantes, vibrant à chaque mouvement, se détachant pour flotter dans l’air au froid parfum de mort. Le dernier rebelle se retourna, essayant d’atteindre les commandes de mise à feu de la batterie anti-aérienne ; il n’en aurait pas le temps ; Major utilisa le fusil laser du cadavre le plus proche pour le découper de part en part. Le fusil retomba doucement, comme une épave touchant le fond de la mer, le bras de Major glissa tout aussi doucement, Sergent arriva et s’agenouilla près de son supérieur.
Trente Secondes…
Un dernier coup d’œil à la projection tactique, onze points bleus accusaient une domination totale sur la zone de combat entourant les positions d’artillerie.
Un simple signe de la main en direction de l’arrivée d’oxygène, Major sourit et raccorda rapidement le câble blindé au casque de Sergent, tous les systèmes regagnèrent le vert, Sergent sourit et regarda son vieil ami. Dans le statique de la radio il parla calmement.
« Zone sous contrôle mon Major, pertes estimées à 60% des effectifs. »
Sergent surprit un sursaut de douleur sur le visage de Major ; il sentit la main gantée agripper la sienne…Quelque chose n’allait pas ; Major crachait le sang en parlant.
« Je te rends ta balle Milicien, il faudra la confier à quelqu’un d’autre… »
La cartouche briquée luisait sous le soleil immobile, attachée à une petite chaîne elle passa de la main de Major à celle de Sergent…Sergent senti son cœur se crisper, cette émotion étrangère risquait de s’emparer de son visage à son tour, non, il fallait lutter, il ne fallait pas déshonorer Major et la Milice…Major l’aida, il hoqueta et tenta de se montrer dur dans le ton de sa voix.
« Bordel Milicien, quel est ton nom ?! »
Sergent serrait les dents, la douleur envahissait son esprit, il balbutia…
« Mon nom…Mon nom est Sergent mon Major. »
Puis Major le reprit, alors que ses mains s’agrippaient maintenant désespérément aux épaules du scaphandre de Sergent.
« Milicien, ton nom…Ton nom…Ton nom est…Major. »
Le relevé télémétrique de l’armure de feu Major devint plat, la bataille était fini ; Sergent serra la balle dans son poing, s’appuya sur son autre main pour se relever, se détourner des yeux de Major où flottait le voile terne du néant. Sergent respira l’air au goût ferreux qui était à nouveau injecté dans son casque, il était frais et faisait du bien à son esprit ; de sa voix monocorde, il contacta ses troupes.
« Major à tous les miliciens, rapport de statu et nettoyage de la zone ; Caporal, Etendard rejoignez moi immédiatement. Victoire. »
Quelques cris teintés de fatigue, de sifflements admiratifs et de soupirs de satisfaction emplirent la fréquence pendant quelques secondes ; puis le Caporal apparu au loin, rapidement suivi de l’Etendard. Ils se stabilisèrent près de Major et le saluèrent ; Major leur répondit dans un salut respectueux et l’Etendard planta le drapeau de la Milice, le dépliant soigneusement pour qu’il semble flotter dans le vide astral. Major se tourna vers le Caporal.
_Milicien quel est ton nom ?
_Caporal mon Ser…Mon Major.
_Milicien ton nom est Sergent.
Le jeune milicien de la cinquième génération sourit de fierté, se gardant de plus étaler sa joie, car la promotion signifiait toujours la mort des braves qui vous ont précédés. Pendant plus d’une heure, les Miliciens s’activèrent, amassant les cadavres les mieux conservés pour récupérer leurs scaphandres, rangeant les armes semblant assez intactes pour servir au mieux de pièces détachées, le tout fut embarqué dans un transport de la milice, si bien que lorsque les Rangers arrivèrent dans leurs belles armures blanches, la zone semblait déserte. L’escouade terrienne se déploya comme si elle avait conquit la zone puis le Lieutenant accompagné de deux de ses hommes alla à la rencontre de l’état major de brigade milicienne ; il trouvèrent une petite escouade en train d’effectuer un débriefing sommaire près de…Mais où était cette fameuse pièce d’artillerie ennemie ? Seules les couleurs de la Milice flottaient au milieu du chaos. Le Lieutenant s’arrêta à petite distance de Major et de sa troupe, les armures modernes et élancées des Rangers avec leurs propulseurs anti-gravité en forme d’ailes les faisaient ressembler à des anges ; au contraire, les armures trapues et bosselées des Miliciens trahissaient leur fonction première, la guerre.
_Joli travail miliciens.
_Merci Lieutenant.
_Bien, le haut commandement vient de mettre fin à l’état d’urgence, vous pouvez rentrer chez vous maintenant.
_Bien reçu, nous allons évacuer la zone.
Major se tourna pour faire signe à ses hommes de regagner les transports posés dans la distance, un bruit de lame de combat sortie du fourreau le fit se retourner précipitamment ; l’Etendard tenait un Ranger en respect, la main gauche sur son poignet et sa lame de combat collée sous le joint de son casque…Le Ranger avait voulu enlever les couleurs de la Milice pour accélérer le mouvement ; la situation était figée et tendue, le Lieutenant indigné n’avait jamais du pratiquer la Milice au par avant, quand à son second, il pointait son répétiteur laser vers l’étendard…Major remarqua la main de son Sergent sur la crosse du lourd fusil Kalachnikov, dans l’espace, la taille pouvait bien tromper, le poids lui, était inexistant. Major était las, son esprit aiguisé pourtant, tranchant comme son couteau de combat.
_On se replie Miliciens, Etendard pliez les couleurs, Sergent rassemblez les hommes ; on part.
L’Etendard, fit lentement glisser sa lame en position d’attente, puis tout aussi calmement qu’il aurait pu trancher la gorge du terrien, il plia le drapeau avec déférence. Le Lieutenant Ranger n’en croyait pas ses yeux, un de ses meilleurs commandos malmené par ces bouseux du tiers monde ! Se tournant vers Major il essaya de se recomposer et de paraître menaçant.
« Major, je veux le matricule de ce soldat, je veux être sûr que des mesures disciplinaires exemplaires seront prises à son encontre ! »
Major ne se retourna pas, flottant paresseusement vers les transports ; il fit un signe désinvolte de la main vers l’officier terrien.
« Son nom est Milicien, Lieutenant. »