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Losses

Le jeune sergent chef Pelles avançait doucement, évitant de faire du bruit alors qu’il approchait dans le dos de la sentinelle nord-coréenne ; puis sa main gantée couvrit la bouche du soldat et son K-bar lui ouvrit la gorge dans un bruit de chair tranchée.

C’était le troisième homme qu’il ait jamais tué, il s’en souvenait très bien ; sa première victime au couteau d’ailleurs. Ce bruit, cette sensation, c’était exactement la même que celle d’un couteau de boucher débitant un morceau de viande. Sur le coup, il n’avait pas vraiment ressenti d’émotion, il était plutôt rassuré que cette étape de sa mission se soit déroulée avec succès. De toute manière, après un saut HALO, tout semblait… Moins intense.

La forêt nigérienne, de nuit, était un endroit terrifiant ; surtout du point de vue d’un marine la regardant à travers un amplificateur de lumière, et se sachant seul en territoire ennemi. Mais il appartenait à Force Recon, à l’élite, il était jeune et invincible.

Cette mission datant du début de sa vie de soldat n’était pas vraiment son souvenir de guerre le plus marquant, il était étrange qu’il lui revienne après tant d’années. Il s’agissait tout au plus de quelques heures de sa vie, d’une mission parmi tant d’autres…

Mais au cœur de cette nuit parsemée d’explosions et de balles traçantes, il y avait ce bruit ignoble de chair tranchée ; et il revenait encore et encore, comme la sensation passée au travers de la lame du couteau, jusqu’au manche, à la main, et au cœur coupable de Simon Pelles.

Il avait pourtant été si fier de cette première mission en solo…

Simon se réveilla dans l’après-midi, il faisait chaud, et il avait très mal au dos ; il fallut un moment pour qu’il se rende compte que la dernière soirée n’avait rien d’un cauchemar, Rebecca était bien morte… Un des gars engagés par Tony le Tigre lui avait tranché la gorge.

Il étendit le bras pour attraper une de ses prothèses, et la douleur remonta de façon fulgurante, le figeant sur place… C’était pire que lors de ses premiers jours en gravité terrestre, ce n’était pas ses muscles réagissant aux corps étrangers remplaçant certains de ses os, c’était les nerfs eux même à qui les nanites de sa nouvelle moelle osseuse envoyaient des signaux erratiques… La douleur monta comme un moteur grimpe en température, et Simon se cambra sans s’empêcher de pouvoir hurler.

Lena se rua dans la chambre de Simon, le trouvant pris de spasmes… Elle ne l’avait jamais vu dans cet état. Le bras, dont l’épaule était couverte d’hématomes mauves, désespérément tendu vers la table de nuit, Simon renversa la borne de l’omni-home qui y trônait ; Lena essaya de le plaquer sur le matelas, mais il était trop fort pour elle ; elle finit par comprendre qu’il voulait quelque chose dans le tiroir, et elle y trouva des comprimés.

_ Combien ? Simon, combien ? !

Sa mâchoire était serrée, il ne poussait que des bruits de gorge étranges ; Lena se rua dans la cuisine pour chercher une cuiller, alors qu’elle traînait dans les rues, elle avait vu d’autres gosses se payer des overdoses. A force de batailler, elle parvînt à faire avaler à son tuteur deux cachets, et le vit se calmer lentement ; les yeux injectés de sang et le souffle lourd comme celui d’un taureau. Elle lui passa une serviette mouillée sur le visage, séchant ses pleurs.

_ Tu m’as fichu une trouille bleue, soldat.

Il lui prit la main, ses sensations atténuées par les calmants comme si on l’avait plongé dans de la ouate.

_ Appelle Sergueï…

Le russe quitta le complexe Securitas et rejoint l’appartement de Lena et Simon sur le coup de seize heures ; il avait l’air préoccupé en lisant le log des nanites de Simon.

_ Le signal est complètement en dehors des paramètres normaux…

_ C’est la première fois que ça m’arrive, le software des Biotech A4B était nickel jusqu’ici.

_ C’est ma faute, c’est quand je l’ai mis à jour ce matin avec le protocole de communication de l’ordinateur… La fonction interrupteur entre le mode de fonctionnement normal et celui d’interface a du être activée ; ça peut être du à un court circuit, des perturbations électromagnétiques ou bien encore être une réaction à un stimulus d’origine somatique. Mais normalement ça ne devrait provoquer que des sensations fantômes, pas des douleurs comme les pics que je vois indiqués là.

_ Il vaut peut-être mieux désinstaller ce nouveau protocole, non ?

_ Dans le doute, il serait même plus sûr de formater les nanites, puis de réinstaller la version d’origine de leur software… Mais je ne préfère plus toucher à rien ; je vais appeler l’ami dont je t’ai parlé qui travaille sur les études en prosthétique de Biotech, lui c’est un spécialiste.

_ Ok, merci Sergueï.

_ En attendant, tu gardes le lit et tu ne connectes surtout pas tes prothèses.

Lena écoutait attentivement, appuyée contre le montant de la porte.

_ Il n’ira nulle part, ça je vous le garantit.

Simon sourit faiblement, c’était elle à présent qui prenait les décisions raisonnables pour eux deux.

_ De toute façon, j’ai dit à Reinhardt tout le bien que je pensais de lui ; je risque de pointer au chômage dans pas longtemps.

Sergueï se massa la nuque, l’air un peu gêné.

_ Je croyais que tu étais au courant, tu as éteint ton Omni ?

_ Oui, j’avais besoin de dormir.

_ Reinhardt est mort… Une bombe à ce qui se dit.

Simon se redressa sur son bras valide, crispé.

_ Et son gosse ?

_ Justement, c’était lui la bombe.

Le regard de Simon accrocha immédiatement celui de Lena, la suppliant de ne pas prendre tout ça sur elle, de partager sa peine… C’était une fille forte, elle encaissa la nouvelle debout ; soupira difficilement puis s’excusa pour aller dans sa chambre.

_ C’était un ami à elle ?

_ Oui… Ca fait vraiment trop de pertes pour la gamine en si peu de temps, cette ville est complètement dingue.

_ Je ne sais pas quoi te dire camarade. Même pour un homme comme toi, cela fait beaucoup en peu de temps.

_ On va se débrouiller, on se relève toujours… Je suis juste, fatigué.

_ Alors repose toi, j’appelle Ernesto pour qu’il passe te voir le plus tôt possible.

Sergueï quitta l’appartement ; Simon resta allongé sur le côté, écoutant les rumeurs de la ville, le silence, des pleurs venant de la chambre voisine. Son esprit errait, puis s’orienta vers la seule personne qui pouvait l’aider, dans ces moments où tout le reste semblait foutre le camp.

_ Seigneur…

Pelles ne resta pas dans son tête à tête avec Dieu bien longtemps, il entendit la porte de Lena s’ouvrir, et elle apparut dans l’encadrure de la porte ; les yeux rouges, le nez encore humide.

_ Hé, viens par ici.

Elle s’allongea devant Simon, essayant de passer un bras autour de lui avant de le voir grimacer de douleur.

_ Pas facile de te faire un câlin quand tu es cassé en morceaux.

Elle n’avait pas tort ; sans ses prothèses, coincé sur le côté, il ne lui restait plus qu’un bras de vaillant.

_ Oh, on a vu pire… Comment tu vas, toi ?

Elle eut un petit sourire tremblant, fermant les yeux ; elle ne savait pas quoi répondre… A sa façon, elle devait être bien plus « en morceaux » que lui.

_ Est-ce qu’on s’y fait, un jour ?

_ Non, ça dépend des personnes que l’on perd, j’imagine… On en oublie certaines, et d’autres restent en toi comme des blessures ouvertes. Il y avait ce gars très sympa quand j’étais à Camp Lejeune, il avait un vrai talent pour faire rire les gens ; il est mort au pont de Ti-Chua… J’en reparlais par la suite avec un ami, et on a été incapables de se rappeler son nom.

_ Je n’oublierai jamais Becky, ni Martin… Et Christie.

_ Je sais.

Il y avait plein d’autres choses qu’il aurait voulu lui dire à ce moment là, qu’il l’aimait, qu’il aurait été fier qu’elle fut vraiment sa fille, que tout irait bien… Il se contenta de faire passer son bras sous son cou et de l’attirer contre lui.
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