Anthony Baldi ne s’était pas hissé au sommet de la pègre de la Nouvelle Orléans sans une certaine dose de prudence, voir de paranoïa ; mais une villa intégrant un système de sécurité, et dotée d’un petit groupe de gardes du corps, n’était pas à même de repousser un assaut mené par des professionnels supérieurement entraînés et équipés.
Action rapide et bien préparée, un petit drône aérien est lancé depuis le transport jusqu’au dessus de la propriété, il est de conception très simple et ne sert qu’à délivrer une impulsion électromagnétique devant désactiver les systèmes de sécurité de la propriété. A ce moment l’assaut vient d’être lancé.
Simultanément, les agents ont passé la clôture de la propriété, ils divergent vers les différents points d’entrée ; leur premier objectif est de neutraliser les chiens de garde.
Assaut plus deux minutes, les charges d’entrée doivent être en place ; entrée dynamique après nettoyage à la grenade choc.
L’équipe a quatre minutes pour neutraliser les hostiles, localiser le paquet et l’extraire jusqu’à l’avant de la propriété.
Le blindé enfonce la grille de la propriété, récupère le drône EMP, le groupe d’assaut et son paquet ; puis file à tombeau ouvert vers la position d’attente où le VTOL doit les récupérer, un terrain appartenant à une filiale de la compagnie mère.
Au total, l’assaut s’est déroulé sous le seuil d’intervention possible de la police de la Nouvelle Orléans ; le vol est déclaré à l’administration de l’aviation civile comme une vulgaire transport de fret, rubrique sous laquelle il apparaîtra aussi dans les livres de la Securitas.
Après un passage rapide par la stratosphère, le VTOL se pose à San Drad et le blindé qui en descend roule jusqu’au parking souterrain, il est quelques minutes avant la relève, officiellement le SWAT-5 n’est pas de service ; il ne s’est rien passé.
Ayant travaillé dans la partie, Tony le Tigre sait qu’il a eu affaire à des professionnels de haut niveau ; à leur façon de faire sans s’annoncer, sûrement pas les forces de l’ordre… Un service secret ou bien un groupe d’intervention d’une corporation ayant de très gros moyens. Il a lui aussi porté une peau de requin quelques années, il ne dit rien, baisse les yeux ; son implant de localisation a du être désactivé et au vu de la pièce où il a ses esprits, sous l’effet des sels d’ammoniaque, il va passer un très sale quart d’heure. Mais il a été entraîné à faire durer ce genre de tête à tête… Enfin il existe une différence entre ce que les instructeurs de Fort Bragg peuvent vous faire, et ce que les gars d’en face vous feront vraiment.
Mais les nouvelles sont pires qu’il ne le pense, le type qui rentre ne porte rien sur son visage, il arbore un air calme, froid ; c’est une condamnation à mort. Il tire une chaise disposée contre le mur et vient s’asseoir sur le côté, il a une gueule taillée au couteau, une coiffure de marine et un bras en écharpe.
_ Tony le Tigre, hein ? Comme dans les céréales.
_ C’est la première fois qu’on me la fait celle-là, je suis mort de rire connard.
_ Mon nom est Simon Pelles, je vais te l’épeler pour que tu te le rappelles bien, P-E-L-L-E-S, c’est bien rentré Tony ?
_ Tu as intérêt à ce que je sortes pas d’ici vivant, podna.
_ Comme tu veux mais tu ne joues pas vraiment pour toi, là ; en fait, je dirai même que je suis le seul type qui peut t’aider à sortir vivant d’ici.
_ Si je te donne mes complices ? Que je suis un gentil garçon, et que je promet de ne plus marcher en dehors des clous ?
_ Plus ou moins, tu connais la chanson ; mais je m’explique… La Securitas t’a kidnappé, elle ne va donc pas hésiter un seul instant à te torturer copieusement, pour t’extorquer les informations que tu finira tôt ou tard par lâcher ; ensuite tu disparaîtra et je doute que ça inquiète grand monde.
_ Tu crois que tu me fais peur, mec ?
_ Non, tu es un dur Tiger, un vrai de vrai, bérêts verts, purple heart et silver star… Si tu choisis cette option ce sera long, un vrai moment de bravoure ; mais t’aura pas de médaille et tu perdra forcément à la fin…
Le type le regardait avec ce même air détaché qu’avaient les gars hors sol après avoir nettoyé un village de colons chinois ; un brin ahuri par la sauvagerie dont ils se découvraient être capables, un brin détaché pour éviter la folie, comme s’ils n’avaient fait qu’écraser des fourmis. Il manquait juste la crasse et la poussière sur le visage de Pelles.
_ T’étais là-haut toi aussi, pas vrai ?
_ Marines, lis la presse Tiger ; peut-être bien que tes breloques ne signifient pas rien pour un type comme moi. L’oncle Sam peut te sortir d’ici en un claquement de doigts, j’enregistre ta déposition, tu la signes, un appel et tu es transféré en sûreté.
_ Pourquoi je devrai te faire confiance ?
_ Tu peux claquer péniblement entre ces quatre murs, ou bien essayer de t’en sortir avec le programme de protection des témoins… Tu choisis.
Pelles se leva, retira la chaise et ouvrit la porte… Un petit asiatique en costume noir entra.
_ Tiger, je te présente mon ami Chang ; je tenais à ce que tu le rencontres pour que notre première option te semble plus réelle… Chang est un synthétique très spécial que la Securitas a importé de la belle République Populaire de Chine ; tu as bien sûr entendu parler de leurs talents très particuliers ?
Il avait trouvé le levier sur lequel appuyer, beaucoup de gens éprouvaient une peur et une répulsion des êtres artificiels ; et parmi les combattants, les rumeurs les plus absurdes courraient, comme le mythe d’un loup garou moderne.
_ Là où un bourreau vomirai ses tripes, pâle et tremblant devant les mutilations dégueulasses qu’il pourrai bien t’infliger ; Chang ne haussera pas un sourcil ; il torture presque aussi bien qu’il cuisine, et c’est peu dire quand on a goûté son porc au caramel.
Simon en rajoutait des tonnes, mais ce n’était pas cher payé pour le meurtre de Rebecca ; surtout qu’il ne voulait vraiment pas tuer ce type, même si c’était une ordure… Les gars du renseignement le presseraient comme une éponge, il n’avait qu’à le leur livrer ; tout du moins aurait-il une seconde chance quelque part dans les colonies.
_ Je parie que ça va te faire marrer Pelles, mais si tu me donnes ta parole… Alors je te raconte toute l’histoire.
_ Fais gaffe Tiger, si l’air que tu chantes ne me plais pas, je t’abandonne à ton sort.
Chang jouait son rôle à merveille, il s’était approché de l’homme et oscultait sans ménagement son crâne avec des gestes froids et précis de chirurgien… Le Tigre faisait de son mieux mais il était mort de trouille, à sa place, qui ne l’aurait pas été ?
_ Laissez-nous Chang, je vous appellerai si besoin est.
Le synthétique quitta la pièce, laissant les deux hommes face à face. Pelles activa la fonction d’enregistrement de son ordinateur bracelet et fit signe au prisonnier d’y aller.
_ J’ai rencontré cette femme sur un yacht dans les eaux territoriales cubaines ; le deal était simple, exclusivité sur sa marchandise et prix réduits ; elle voulait s’implanter sur la côte Ouest, j’avais juste à arranger un contrat sur la tête de ce mec, Herbert Reinhardt.
_ Des dates, des détails ; si tu veux que les feds achètent ça, il va falloir faire mieux… Donne nous les exécutants du contrat aussi.
_ Je voulais pas qu’on remonte jusqu’à moi, alors j’ai pris des outsiders… Deux, seulement au dernier moment, le tireur a eu… Un accident. On m’a recommandé un autre type en urgence. Le plan était d’appâter la cible en kidnappant son môme, les gars m’ont contacté après l’enlèvement, ça a foiré sévère, le nouveau tireur a pété un plomb et suriné une nana… Au passage il a mangé une bastos.
Simon se maîtrisa, mais sa voix raisonna comme un coup de feu.
_ Jolie histoire Tiger, mais je veux des noms, des endroits et des dates !
Il le harcela, demandant des réponses précises pour chaque point de détail, et après trente bonnes minutes, la déposition semblait complète. Simon fit apposer à Tony sa bio-signature, puis appela Fargo ; dès que celui-ci lui confirma qu’on viendrait prendre le paquet, il raccrocha.
_ Voilà, tu vas vivre mon salaud… Mais j’espère qu’ils te colleront le cul dans le plus lointain des trous à merde des colonies.
_ Je t’enverrai une carte postale.
C’est à cet instant que Simon disjoncta, de son bras valide il dégaina son arme, et asséna un coup de crosse en plein le visage du tigre, lui brisant le nez et faisant couler du sang partout. Il s’arrêta en sentant monter en lui une sourde colère familière, bouillant à la surface… Le goût du sang sur sa langue, inconsciemment son pouce s’était déplacé sur le marteau du 45 et l’avait armé. Il aurait pu lui expliquer pourquoi il lui en voulait personnellement, il aurait tout aussi bien pu continuer à lui faire mal… Mais à quoi bon ? Toute cette haine s’effondra comme une vague se brisant sur un rocher et Pelles se sentit soudain très las ; il rengaina le colt et sortit de la pièce pour faire son rapport à Reinhardt. Mike et François restèrent pour garder le prisonnier.