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Paul Pelles

Simon Pelles n’était pas joignable, après trois interminables séances de debriefing, une avec les services secrets chinois qui avait ressemblé à un dialogue de sourds, et deux avec les américains ; il portait encore son bras en écharpe et avait profité des quelques jours de congé maladie pour sauter dans un vol pour l’Angleterre.

Leeds lui paraissait une ville toujours aussi déprimante, et malgré de bons souvenirs de son enfance, il n’avait pas aimé vivre là. Ses cousins avaient placé son père dans une maison de repos en banlieue, bonne excuse pour ne pas l’y passer voir souvent, mais dans ce domaine Simon ne s’aviserait pas de leur faire un quelconque reproche, la dernière fois qu’il avait vu son père remontait à plus de dix ans, et à cette époque sa mère était encore en vie.

L’infirmière avait été charmante, et surprise, ignorant l’existence d’un fils autrement que sous la forme d’une adresse de poste militaire dans le champ : personnes à prévenir. L’endroit était propre, mais on ne pouvait s’y méprendre, il s’agissait d’un mouroir où des gens étaient abandonnés par leurs familles aux affres de la décrépitude.

_ Monsieur Pelles, vous avez de la visite.

La chambre était lumineuse, son père par contre n’avait plus rien de l’homme qui vivait dans les souvenirs de Simon ; c’était un vieillard à la peau pleine de plis et de taches, quelques rares cheveux blancs encore présents sur son crâne ; ses yeux étaient néanmoins restés assez vifs derrière ses lunettes.

_ Simon ?

_ Bonjour papa.

Il regarda son fils de pied en cape, le ralentissement du vieillissement chez lui l’avait toujours dérangé.

_Tu n’es pas en uniforme ?

_ J’ai quitté l’armée papa, j’ai eu un accident, tu te souviens ?

_ Tu n’es pas mort ? Je croyais que la lettre disait que tu étais mort.

La maladie, les médicaments, l’absence et la rancœur ; Simon essaya de ne pas y faire attention, il s’était promis que cela ne finirait pas encore dans une de leurs trop nombreuses disputes.

_ J’ai été gravement blessé, j’ai du rester à l’hôpital pendant plus d’un an.

_ On t’avait prévenu ta mère et moi, la guerre ce n’est pas un métier… Elle était terriblement inquiète ta mère.

_ Je sais papa.

_ Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi es-tu là ?

_ J’ai trouvé un nouveau travail et j’habite en Amérique maintenant.

_ Tu t’es marié, tu as des enfants ?

_ Non papa.

_ Dieu soit loué, tu aurai été terrible avec ta propre famille.

_ Je l’ai été.

Simon serra les dents et fit son mea culpa ; il avait imaginé la scène autrement, pensait peut-être à montrer des photos de Lena à son père, lui parler des gens qui faisaient partie de sa vie à San Drad.

_ Je suis vieux mais pas encore sénile Simon, je sais ce que tu veux faire, mais oublies ça tout de suite ; je ne te suivrai pas en Amérique, c’est ton pays, tu l’as choisi… Pas moi.

_ Ce n’est pas grave papa, je sais ce que tu penses de l’Amérique… Et de l’armée.

_ J’étais comme toi, je ne voulais pas ressembler à mon père, et regarde ce qui m’est arrivé ; tu es le portrait craché de ton grand-père, ah vous faisiez la paire tous les deux !

_ Papy Joseph était un homme bien, papa.

Paul Pelles n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche, son fils lui coupa l’herbe sous le pied.

_ Mais pas moi.

_ Tu exagères toujours tout Simon.

_ J’ai tué des gens papa, des tas.

La conviction fataliste de Simon ne souffrait pas de réponse, son père n’avait rien à lui dire ; rien qui n’eut pu soulager les tourments d’un monde qui pour lui, comme pour la majorité des terriens, resterait inconnu… Et inconcevable.

_ Ecoute papa, je suis juste venu m’excuser ; je ne te demande même pas de me pardonner, je voulais juste avoir la décence de te dire, que j’ai conscience d’avoir été un mauvais fils, entre autres choses.

_ C’est rassurant de voir que tu es enfin sorti de l’adolescence.

Ils avaient fait le tour, le silence plana un petit moment.

_ Tu es bien ici, les gens sont gentils ?

_ Maintenant, ce sont toi et tes cousins qui me traitez comme un gosse ; qu’est-ce que tu crois, que c’est l’hôtel Georges V ? La nourriture est mauvaise et on s’ennuie à mourir, ce qui est d’ailleurs le résultat escompté.

_ Je peux te trouver quelque chose de mieux, j’ai un bon métier maintenant.

_ J’ai vu le costume, tu travailles dans les pompes funèbres ?

_ Presque, je suis cadre dans une grande entreprise de la sécurité.

_ J’aimerai rentrer chez moi, mais avec mes mains qui tremblent tout le temps et ma mémoire qui fiche le camp, c’est pas possible.

_ Et si je te trouvais quelqu’un pour s’occuper de toi ?

_ Il faudrait qu’il y ait quelqu’un tout le temps, ça coûterai une fortune.

_ Ca ne me plaît pas beaucoup papa, mais je pourrai louer un androïde pour toi ; il y en a des très bien tu sais.

_ Un robot ?

_ Penses-y, toi qui n’aimes pas que l’on te voit comme ça ; avec un synthétique tu serai tranquille, et en plus ils sont très durs à vexer, bien plus patients que les humains.

_ Je sais pas, j’en ai jamais vu.

_ Tu aurai ta maison, ta collection de disques et je ne te parle même pas de la cuisine.

_ Simon, écoutes-moi bien ; ne vends jamais cette maison… Je l’ai faite pour ta mère et toi.

Le vieil homme était très sérieux, cette maison, plus que tous les bâtiments qu’il avait conçus, était l’œuvre de sa vie ; elle survivrait là où sa famille n’avait pas perduré. Simon comprenait, et il n’y avait aucune raison de mécontenter son père sur ce point de son vivant. L’ordinateur bracelet de Simon se mit à vibrer, il prit l’appel et une sombre angoisse lui comprima soudainement la poitrine, Lena était en pleurs, arrivant difficilement à aligner plus de deux mots à la suite… Affreux, Becky, désolée… Simon la calma, lui disant qu’il allait arriver par le premier vol ; qu’en attendant elle devait appeler Francis.

_ Je dois y aller papa.

_ Un problème ?

_ C’est ma fille.

Le vieil homme le regarda avec insistance et incompréhension, et Simon se rendit compte de ce qu’il venait de dire… Il y avait de quoi se détester.

_ Tutelle légale, je t’expliquerai ; je m’occupe de tout pour te ramener à la maison, je passerai te voir dès que je pourrai.

_ File, va t’occuper de ta famille.

Simon embrassa son père et sauta dans un auto-taxi pour l’astroport, appelant Chang pour avoir les informations directement depuis le central des opérations ; et les nouvelles de San Drad, n’étaient pas bonnes.
Page vue 56 fois, créée le 19.08.2007 21h03 par guinch
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