« Ling Han Zao, ministre des affaires étrangères chinois a trouvé la mort cet après-midi durant le sommet sino-américain de Genève ; les enquêtes préliminaires des services secrets des deux parties corroborent les preuves fournies par la compagnie Securitas, un androïde tueur aurait passé les contrôles de sécurité en usurpant l’identité d’un membre de la délégation chinoise avant de s’en prendre au ministre, puis à son homologue américain. Seule l’intervention d’un agent de la Securitas a permis de stopper l’agresseur avant qu’il ne puisse atteindre sa seconde cible. »
Dans la cabine d’un vieux brise-glace nucléaire, Jackson Cable regardait avec intérêt les nouvelles alors qu’il pianotait le numéro du relais vers son commanditaire.
_ Bonjour monsieur, oui le directeur Reinhardt a bien failli faire échouer notre plan ; mais il ne devrait bientôt plus être un problème, enfin si j’en crois notre nouvelle associée. Pelles ? Pas très fin, obstiné et loyal ; je l’ai mis en place pour notre opération d’exfiltration de Biotech… Le protocole Jaime, oui. Lui donner un peu de motivation monsieur ? Bien, je mets un de mes hommes sur cette affaire mais je tiens à vous prévenir que cela fera du vilain, comme je vous l’ai dit, une fois que cet homme a quelque chose en tête… A vos ordres.
Père avait mis fin à la communication ; Cable n’était pas un homme soucieux, dans sa partie cela équivaudrait à avoir un sérieux ulcère avant quarante ans… Mais en faisant rouler son cigare entre ses mains, il ne pouvait envisager l’avenir sans une certaine appréhension. Tel le papillon qui d’un battement d’ailes provoque un ouragan, il participait à la mécanique d’un complot qui écraserait tout sur son passage.
Passant sur un autre réseau d’informations, Cable remonta le son et se prépara un café.
« Les services de renseignement chinois ont remonté la piste de l’androïde tueur de Genève jusqu’à certains hauts dignitaires de l’armée populaire de libération opposés aux négociations avec les Etats-Unis, si un général frondeur a réussi à s’enfuir dans les colonies, le reste des membres de la junte ont été arrêtés et exécutés publiquement ce matin à Pékin. Un cesser le feu temporaire a été déclaré dans les colonies. Le secrétaire aux affaires étrangères américain, Ashley Dane, a déclaré : Ling Han Zao était un héros, il est déplorable qu’il faille qu’un homme tel que lui meure pour qu’enfin les armes se taisent. »
Au même moment à la Nouvelle Orléans, le détective Rémi Lebeau éteignait le lecteur multimédia de son véhicule ; la vieille mustang 2004 d’un rouge passé se gara le long du trottoir d’un quartier en décrépitude près du cimetière Lafayette ; il vérifia l’adresse sur son PDA et s’engagea dans l’air moite et brûlant de l’extérieur, charriant les odeurs du fleuve.
Michael Layton, nom d’emprunt, l’homme était mieux connu dans les colonies sous le surnom de Maciste ; ancien briseur de jambes de la pègre New-Yorkaise, il s’était exilé suite à un coup foireux. Dans les marines, il avait montré la pleine mesure de son talent à tuer. Maciste était un de ces gros bras vieille école, dénué de toute morale quand il s’agissait de faire usage de la violence, mais catholique pratiquant et républicain conservateur. Il avait écopé de son surnom car il pensait que sa barbe courte lui donnait un air de sage, et pratiquait intensivement le culturisme, comme la majorité des artilleurs du cinquième peloton.
Suite au scandale Cable, Layton avait eu de la chance de s’en tirer sans peine de prison à Lavenworth, mais il était grillé dans les marines… C’était là un drame tant il avait pu apprécier ce permis de tuer en temps de guerre.
D’après les contacts de Lebeau, Layton était en ménage avec une strip-teaseuse ; il n’eut pas à insister longuement sur la sonnette pour que la montagne de viande sauce testostérone apparaisse dans l’encadrement de la porte. Dans son débardeur sentant la sueur, Maciste semblait avoir grossi, il avait l’œil rouge et son haleine était chargée de relents de bière.
_ Qu’est-ce que tu veux ?
_ Bonjour à toi aussi Maciste, j’aurai aimé une bière fraîche et un peu de ton temps.
_ Dégage Ganja, on était pas copains à l’époque et je suis pas intéressé par une adhésion aux anciens combattants.
Layton était un gros dur qui avait déjà eu affaire à la police avant, Rémi lui colla son insigne sous le nez sans se départir de son éternel sourire charmeur.
_ Ecoute Yankee, quand le NOPD te dis quelque chose, ce n’est jamais de l’ordre de la suggestion.
_ Arrête ton char, j’ai compris.
Maciste ouvrit la moustiquaire et laissa entrer son ancien frère d’armes, il faisait à peine plus frais dans le vieil immeuble.
_ La clim’ est en panne.
La chemisette de Rémi commençait à lui coller à la peau et le col de son veston en lin se trempait de sueur ; l’appartement ne payait pas de mine, mais le loyer était de l’ordre du quasi-inexistant… Les corporations n’avaient jamais été intéressées par la Nouvelle Orléans, un investissement trop hasardeux. Et la population locale leur en était sûrement reconnaissante, cette ville était peut-être un bordel sans nom, mais ils l’aimaient comme ça… On appelait ça, liberté.
Maciste dégota deux canettes de bière dans le frigo et en jeta une à Rémi.
_ Alors, qu’est-ce qui amène la flicaille chez moi ? Anita a des problèmes ?
_ Non, ta copine a rien fait ; j’ai juste besoin d’être rencardé, tu es encore dans le circuit ?
_ Regarde-moi bien Lebeau, j’ai l’air d’être en forme ? De crouler sous le fric ? Je me suis installé ici parce que c’est loin de New York, les locaux voudront jamais de moi par ce que non content d’avoir des casseroles au cul, j’ai roulé pour Cable et le Yakuza en étant hors-sol.
_ Donc personne n’est venu te proposer de jouer les torpedo sur un contrat à San Drad ?
_ T’as de la merde entre les oreilles ou t’es bouché ?
Layton faisait son numéro de brute, mais il n’avait jamais impressionné Rémi ; contrairement à un type comme la Sentence, Maciste ne lui faisait pas peur, il ne viendrait jamais le dézinguer dans son sommeil, et couvrirait toujours les arrières des mecs de son unité. Une mécanique facile à comprendre.
_ Je ne vais coller le cul de personne au frais Maciste ; et pour tout te dire, si tu me rencardes, je pourrai même glisser un bon mot à Tony le Tigre pour toi.
_ Je suis pas vraiment surpris, t’as toujours été le pote à tout le monde, mais au fond t’étais un magouilleur comme nous tous Ganja.
_ D’un autre côté, si tu continues à me faire chier, je peux aussi m’arranger pour que ta poule ne puisse plus jamais bosser dans le coin, je t’ai dit que j’étais aux mœurs ?
_ T’es une belle ordure de poulet.
_ Ouais je sais, maintenant accouche et donne-moi quelque chose.
Maciste se laissa tomber dans le sofa, à la mine de ce dernier, Rémi préféra rester debout.
_ On m’a proposé un job, mais c’était une mission suicide ; je veux rien avoir à faire avec les corpos… Spécialement la Securitas, avec eux c’est œil pour œil, tu as vu comme ils ont changé Watts en champs de ruines ?
_ Tu ne sais pas qui aurait pris le contrat ?
_ Non, mais en tout cas il a intérêt à être bon s’il veut profiter de son pognon. Pourquoi ça t’intéresse autant cette histoire ?
_ Tu regardes jamais les infos ? Driver roule pour la Securitas aujourd’hui.
_ Et il fait quoi, il tient le standard ? La dernière fois que j’ai vu ton juteux, il lui manquait quelques bouts.
_ Il te collerait une branlée en marchant sur les mains s’il le voulait, Driver vous a tiré les marrons du feu plus d’une fois à Rajeev et toi si je me souviens bien.
_ Refroidit, on dirait que t’en pinces pour lui, c’est trop mignon… Je dis pas que le Driver était pas un mec correct, je suis juste surpris qu’il soit encore dans la partie après ce qui lui est arrivé à Walden, c’est tout.
Rémi posa sa canette sur le rebord de la fenêtre et s’apprêta à partir.
_ Je suis pas ta mère Maciste, mais secoues-toi un peu les puces si tu veux retrouver du boulot… Dessaoule, paies-toi une coupe de cheveux et appelle-moi, je te trouverai un job de videur.
_ Le bon dieu fait bien les choses, avec une mère comme toi j’aurai mal fini ; à la revoyure caporal.
_ C’est ça.
Ayant regagné sa voiture, Rémi mit le contact et demanda à son ordinateur de joindre Simon Pelles ; il allait peut-être pouvoir rétablir le score auprès de son ami.