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Thursday Night

Jeudi soir, un jour parmi tant d’autres dans la semaine ; ce soir, Francis, sa sœur Rita et Simon étaient de sortie dans le vieux Los Angeles.

Rita et Simon commençaient un peu à se connaître, si Francis avait paru protecteur vis à vis de sa sœur au premier abord, on voyait vite qu’elle était l’aînée de la famille et une mère qui ne s’en laissait pas remontrer.

Le Magic Castle était un club de jazz privé, Rita n’avait eu aucun mal à y faire entrer Simon ; avant de se dévouer à l’éducation de ses deux trésors, elle avait été une chanteuse prometteuse, sa réputation avait perduré, même si elle ne se produisait plus que de temps en temps à l’occasion de fêtes ou parfois à l’Eglise.

Rita savourait une cigarette et un verre de vin, Lena avait accepté de garder les enfants et ce soir les adultes étaient de sortie. Son frère avait insisté pour organiser la soirée, quelque chose le tourmentait et elle n’avait pas osé lui poser de question, à sa façon d’être, elle devinait plus ou moins ce qui était à l’origine de ses préoccupations. Dès que Simon quitta la table pour aller aux toilettes, Rita essaya de soulager son frère.

_ C’est quelque chose dont tu veux me parler ?

_ Je ne peux pas, il ne s’est confié qu’à son ancien aumônier et à moi.

_ Secret professionnel, je comprends.

Mais cela pesait lourd sur l’âme de son frère, Francis avait toujours été ainsi, il ressentait la peine des gens comme si c’était la sienne ; dans le cas présent, Simon devait être une vraie forteresse, car à part se montrer un peu absent, il maintenait la parfaite illusion d’un homme libre de tout soucis.

_ Il en a parlé au prêtre ou à l’ami ?

Francis tripota nerveusement son verre et haussa les épaules, il était parfois difficile de savoir à qui Simon s’adressait, mais dans le cas présent… Simon, quant à lui, s’était éclipsé par la sortie de service ; il voulait passer un coup de fil loin de la musique. Sa nervosité allait augmentant, alors que les sonneries s’enchaînaient au bout de la ligne ; une voix de femme, embrumée par le sommeil, lui répondit.

_ Allo ?

_ Salut Mary Kate.

_ Pelles, c’est toi ?

_ Oui.

_ Tu es rentré sur Terre ?

_ Ca va bientôt faire un an.

_ Tu as raccroché l’uniforme, alors.

_ C’est ça, juste un peu trop tard.

Elle ne répondit rien, elle savait pourquoi il l’appelait maintenant, tout comme elle savait qu’il se sentait coupable.

_ Tu vas bien Simon ?

_ Non, pas vraiment…

Il avait envie de pleurer, mais ça lui semblait indécent quand il pensait à ce que pouvait ressentir Mary Catherine.

_ Simon… Je ne sais pas quelle heure il est là où tu te trouves, mais tu devrais te reposer ; demain tout ira mieux.

_ J’ai vraiment tout fait de travers Mary Kate, je suis désolé.

_ Simon, ce n’est pas ta faute… Des tas de choses arrivent qui échappent à notre contrôle, il n’y a pas de raison qui donnerait un sens à tout ça.

_ J’aurai du être là.

_ Tu disais la même chose pour ta mère, tout ce que tu peux faire c’est prendre soin des vivants. Tu es allé voir ton père ?

_ Non, je pensais y aller, mais une opportunité s’est présentée au boulot et…

_ Vas-y, ne prends pas le prétexte du travail, tu as déjà laissé l’armée bouffer ta vie jusqu’à aujourd’hui, ne laisse pas partir ton père ou tu t’en voudras pour le restant de tes jours.

_ Comment ça va, toi ?

_ Chéri, je reprends la route avec un chargement de cellules souches pour la Hongrie dans moins de trois heures… Et il est hors de question que je prenne des amphétes. Excuses-moi mais je vais vraiment devoir raccrocher.

_ Désolé, je ne savais pas que tu étais dans ton camion.

_ Boulot, boulot… La vie ne s’arrête pas, même aujourd’hui ; ne prends pas exemple sur moi, occupes-toi de ta famille, tu veux ?

C’était terriblement blessant, mais elle avait tous les droits de lui rappeler son absence.

_ J’aurai du faire ça quand c’était le moment, j’espère que tu me pardonnera un jour.

_ Il n’y a rien à pardonner Simon, j’ai perdu le bébé ; que tu aies été là n’y aurait rien changé. C’était il y a des années, il faut que tu oublies maintenant.

Mais c’était faux, elle n’avait jamais oublié, elle savait très bien que c’était l’anniversaire de ce jour particulier ; ils ne se parlaient plus qu’à cette occasion de toute façon.

_ Bonne nuit Mary-Kate.

_ Prends soin de toi, Pelles.

Elle avait raccroché, il n’y avait rien d’autre à dire ; chaque année s’ils le pouvaient, ils avaient ce petit rituel, justement pour ne pas oublier leur fils. Simon repoussa la fureur qui succédait au désespoir, il garda en laisse le démon qui lui commandait de se saouler la gueule copieusement, tira un peu sur son nœud de cravate déjà lâche et retourna à l’intérieur.

Rita regardait ce type, la tête enfoncée dans ses épaules carrées, ses grandes mains cachées dans les poches probablement pour ne pas montrer qu’il avait les poings serrés ; il regardait l’orchestre en hochant la tête, faisant comme si tout était normal. De bien des façons, Simon Pelles lui rappelait son Norman ; là où des gens comme Francis acceptaient de partager leurs sentiments, des gens comme Norm ou Simon Pelles se tenaient droit, le visage fermé, comme pour défier l’inéductable, indiquer le Nord au milieu de nul part.

Mais comme ces gens souffraient en dedans, se refusant l’aide et la compassion des autres ; les insomnies nocturnes, les moments d’absence, le regard perdu dans le lointain… Elle connaissait tout ça. Mais Rita avait payé le prix pour tenter de pénétrer le monde de secrets de son mari, alors Simon Pelles resterait probablement emmuré dans sa tristesse.

Norman Baylor était un musicien, guitariste, chanteur et compositeur ; il avait fait une campagne dans les colonies au sein d’une division d’infanterie de l’armée américaine, comme infirmier. A son retour, il tournait comme un lion en cage, pendant des années, la musique lui avait échappée ; rôdant dans l’air autour, mais toujours hors de portée quand il essayait de la plaquer sur sa guitare ou une partition. Il aimait sa femme et ses enfants, mais au bout du compte, il était reparti pour les colonies car c’était là-bas que se trouvait le blues désormais. Ce n’était qu’un contrat de cinq ans avec l’USO, il essayait de guérir les blessures de la guerre avec sa musique ; il ne restait plus que deux ans et il serait de retour auprès de sa famille, Rita l’avait laissé partir et espérait vivement que cette croisade personnelle permettrait à son mari d’exorciser les démons qui hantaient ses nuits.

Ce jeudi, grâce à la musique et à de bons amis, Simon survécut à la nuit et aux ombres qui s’y cachaient.
Page vue 62 fois, créée le 19.08.2007 20h17 par guinch
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