C’était un scénario de prise d’otages classique, dans une école ; là où hier les pionniers des groupes d’intervention s’élançaient parfois dans l’inconnu, la technologie avait graduellement réduit les paramètres hasardeux.
Les thermographes voyaient à travers les murs, les micros à vibrations entendaient derrière les glaces, les sondes à fibre optique se glissaient dans les trous et les moindres recoins… Et tout ça, c’était la technologie d’hier.
En 2055, les caméras et micros étaient montées sur de petits robots imitant les insectes, et on pouvait même équiper ces derniers de seringues hypodermiques pour injecter des sédatifs foudroyants aux suspects ; la mise en danger d’un agent de sécurité se montrait de moins en moins nécessaire.
Mais il y aurait toujours une place pour l’intervention armée, pour de simples raisons de budget.
L’option du gaz venait en premier dans un scénario se déroulant dans un endroit clos, il fallait néanmoins bien y réfléchir ; si les suspects disposaient de masques filtrants, une action hostile risquait d’entraîner l’exécution d’otages.
Le déploiement des scarabées de surveillance était une procédure standard, leur utilisation offensive, elle ; demandait une coordination parfaite.
La combinaison des agents du SWAT était similaire au matériel utilisé par les forces spéciales à la fin des années vingt, souple, ressemblant à de la peau de requin au toucher ; elle pouvait arrêter des projectiles de petit calibre et isolait son porteur des environnements hostiles. Son revêtement s’accordait à la teinte de son environnement en temps réel ; et des accessoires pouvaient s’attacher à la combinaison de façon modulaire, pour adapter l’équipement des agents à chaque scénario.
Simon avait porté une de ces combinaisons pendant des années, le toucher plus qu’autre chose, lui rappelait cette seconde peau qui le privait de son identité mais faisait alors de lui un surhomme. C’était encore l’époque des débuts de la cybernétique, et même si la technologie était de moins en moins rejetée par le corps humain, il était psychologiquement lourd de devenir un véritable système d’arme. Une fois les implants retirés, une sorte de sensation de manque apparaissait invariablement.
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2028, le conflit pour les ressources africaines présageait tout à fait de ce qu’allait être la guerre invisible dans les colonies. En effet, ces quelques années d’un conflit larvé furent le laboratoire des technologies militaires qui allaient régner par la suite sur les champs de bataille.
La logique de résultat s’était imposée, et la réduction des crédits était une épée de Damoclès pendant au dessus de tous les corps armés ; dans le cas des marines, il était important de montrer au congrès américain que cette désormais petite force, disposant d’un avantage technologique et d’une grande mobilité, pouvait assurer la mission d’un corps expéditionnaire autrefois plus large.
La nouvelle unité intégrée à SOCOM par les marines, le premier détachement de Force Reconnaissance, fut de tous les combats et s’illustra au point où elle devînt un élément clé dans la doctrine militaire coloniale qui se dessinait alors.
Dee-One assura la destruction des batteries de missiles sol-air installées par la Corée du Nord au Nigeria, elle ouvrit ainsi les cieux aux forteresses volantes B-40 de l’opération « Lancer », ce qui fut un tournant de la guerre en Afrique.
On ne parlait plus de « colonialisme », un label servant à faire penser que les exactions des nations industrialisées en Afrique appartenaient au passé ; on s’était contenté de maintenir un état de précarité tel, que les populations locales ne pouvaient qu’accueillir les ingérences étrangères à bras ouverts… Et ce, aux termes et conditions des entrepreneurs étrangers.
C’était tout comme la guerre d’influence que s’étaient livré le bloc de l’Est et l’Ouest au siècle dernier, sauf que cette fois-ci, les armées étrangères ne se privaient pas d’intervenir ouvertement dans cette lutte pour les ressources naturelles du pays. Au final, ce furent les corporations qui emportèrent la mise et garantirent un semblant de paix sur le grand continent.
Cette guerre rapide n’était qu’un galop d’essai, elle fut économiquement rentable et dynamisa le progrès technique ; au yeux des hommes et des femmes qui la subirent, c’était une catastrophe humanitaire et écologique sans précédent. Mais la population de l’hémisphère Nord avait depuis longtemps cessé de considérer les Africains comme des êtres humains à part entière, des décennies de massacre avaient changé les cris d’un peuple en un son d’arrière plan, une simple pièce de la mosaïque du paysage international.
Le vieil appareil de transport V-22 Osprey lâcha son paquet à haute altitude depuis la sûreté de la frontière Camerounaise, la forme noire plongea depuis l’arrière de l’appareil telle une flèche, les bras tendus en avant comme un plongeur. Avant l’apparition des combinaisons à voilures, on appelait ces opérations HALO, pour High Altitude, Low Opening ; c’était une manœuvre dangereuse réservée aux parachutistes les plus expérimentés. Le petit plus était une voilure « squirrel », comme l’écureuil planant d’arbre en arbre ; l’allégement de l’équipement, et la protection de sa nouvelle combinaison permettaient à l’opérateur des forces spéciales de voler jusqu’à sa cible avant d’ouvrir en grand et de se poser.
Ces vols libres à haute altitude étaient tout ce qu’il y a de plus grisant, flottant quelque part entre pure adrénaline et flirt avec le divin.
C’était la seconde mission du sergent Pelles, la première avait été une reconnaissance en groupe ; il avait été entraîné au point de changer toutes les procédures en réflexes conditionnés, mais c’était néanmoins sa première mission en solo.
Pas d’appréhension alors que l’image retraitée par ordinateur de sa visière faisait défiler le vide sous lui, que l’altimètre dégringolait de façon vertigineuse, le plongeur ressentait seulement l’excitation… Anticipant le freinage qui allait être brutal.
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Mais rien de tel ne l'attendait aujourd'hui, c'était à d'autres de plonger vers l'inconnu et Simon Pelles devait rester derrière sa console à les regarder faire, les diriger autant que possible ; le moment de l'épreuve était venue pour le SWAT-5.