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Coporate Administration

Rebecca, rien que le nom lui faisait hérisser les poils sur la peau ; elle essayait, mais rien à faire, Lena ne pouvait pas encaisser la copine de Simon… Toujours rayonnante de sa supériorité tranquille.

Pour améliorer l’humeur de la jeune fille, c’était lundi matin au centre de formation et sa section allait avoir droit au « briefing » de début de semaine… Section, formation, briefing ; même le café posé sur la grande table, tout était fait pour leur apprendre les codes de l’entreprise.

Mais la société pouvait bien resserrer l’étau tant qu’elle voulait, les adolescents resteraient toujours quelque chose d’instable ; la jeunesse avait cette capacité à déborder sur les limites qu’on lui imposait et à déformer le moule pour en faire un endroit un peu plus confortable.

En conséquence, peu de membres de la section de Lena, pompeusement nommée « corporate administration », affectionnaient l’uniforme type salary-man. Lena avait choisi cette section pour ses modules, des noms comme « social engineering », « computer intelligence » et « economic warfare » avaient séduit le hacker amateur.

_ Merde !

Tout le monde tourna la tête vers le voisin de Lena qui s’évertuait à éviter que la mare de café formée sur la table devant lui ne dégouline partout, retirant sa matrice d’affichage souple, semblable à une feuille de plastique, il réussit à faire couler du liquide directement dans le sac de Lena.

_ Tu es un homme mort.

L’interruption de séance dura bien cinq minutes des plus embarrassantes pour le jeune homme, qui finit par s’exiler aux sanitaires.

Il y a dans chaque classe au moins un touriste ; le touriste, est un élève aux capacités naturelles mais dont l’inclination ne le porte pas à s’intéresser le moins du monde aux matières enseignées, généralement un rêveur qui s’est trompé d’époque.

Martin Forrester était un touriste, mais du genre intergalactique ; doué naturellement pour l’informatique, il avait réussi les tests d’admission sans briller, et passait son temps à dessiner, ce qui était sa véritable vocation. Lena s’amusait à penser que Martin était l’exemple type des cent dernières années de l’évolution humaine ; un pur cérébral introverti, que l’on aurait génétiquement altéré pour lui enlever tout instinct animal. A voir ce garçon placide griffonnant sur sa matrice, un mot venait à l’esprit : inoffensif. Bref, il n’avait pas vraiment sa place à « corporate administration ».

C’était la pause déjeuner, la météo était parfaite, et les pelouses du parc ressemblaient à la carte postale d’un campus californien figé dans le temps ; abstraction faite de la cité de verre qu’était le complexe Securitas tout autour. Une ombre portée se dessina près de Lena, et il s’avéra qu’elle appartenait à un brun à la peau pâle et maladivement maigre, Martin Forrester.

_ Salut.

_ Il n’y a pas de cafetière à proximité, c’est bon ? Je suis en sécurité ?

_ Je suis désolé, je venais m’excuser.

_ C’est chose faite.

_ Tu as la dent dure, je peux m’asseoir ?

Le réflexe premier de Lena fut de penser à envoyer bouler Martin, mais elle se reprit immédiatement en se découvrant avec horreur en train d’agir comme une des ces filles « populaires » en high school.

_ Sûr, le sol est à tout le monde Martin.

_ Notre prof de droit ne serait sans doute pas du même avis.

_ Fermez les ports d’accès, Martin Forrester écoute en cours !

_ Quand je ne reproduit pas fidèlement les marées noires du vingtième siècle avec des cafetières, ça m’arrive.

Lena sourit, elle n’avait que rarement parlé aussi longuement avec Martin, et il s’avérait qu’il compensait son manque d’agressivité par une bonne dose d’auto dérision ; ils continuèrent à grignoter au soleil, la jeune homme essayant de maintenir une conversation.

_ Alors, ton père bosse pour la compagnie ?

_ Mes parents ont eu la prévenance de ne pas s’imposer dans ma vie, non c’est un ami.

_ Un ami ?

_ Mon tuteur légal, quoi.

_ La distinction a l’air importante, je demandais juste pour faire la conversation ; tu sais, ma propre famille n’est pas un exemple.

_ Je ne me plains pas, à voir le monde dans lequel on vit, j’imagine qu’ils avaient leurs raisons de ne pas s’embarrasser avec un bébé ; et toi, ce sont des accros du travail tes vieux ?

Martin rigola tranquillement.

_ Chacun sa dépendance, mon père semble être comme ça ; et ma mère est accro tout court, elle est en cure de désintoxe.

_ Mon tour de mettre les pieds dans le plat, on dirait.

_ Ce n’est pas un mystère, j’ai su très jeune qu’elle marchait aux pilules… C’est bien qu’elle ait finalement la chance de s’arrêter.

_ On dirait que nous sommes tous les deux des optimistes.

_ C’est une chance pour elle et pour moi, ça m’a permis de rencontrer mon père.

Lena rajusta sa position pour faire face à son camarade, il avait capté son attention.

_ Comment ça ?

_ Ca ressemble à un mauvais sitcom, ma mère était mannequin, aujourd’hui elle s’occupe de la promotion de grands couturiers… Elle et mon père, ça a été une histoire brève ; j’étais juste un de ses caprices ; quand elle a eu des problèmes avec la justice à Miami, c’est arrivé aux oreilles de mon géniteur qui a mis des gars à lui sur le coup, après enquête, il a découvert sa paternité et pris les choses en main.

_ Ca a l’air d’un mec de caractère, un peu comme mon Simon.

_ Ca l’est, et c’est un type…je ne dirai pas sympa, mais compréhensif ; je suis content de le connaître, j’aurai juste aimé qu’il ne m’inscrive pas d’office dans cette section.

_ J’imagine que tu aurai plutôt aimé faire une école d’art.

_ Exactement, mais d’après mon père, la situation politique risque de changer ; il craint l’instauration de la conscription, alors la seule façon de me mettre à l’abri, c’est de faire de moi un homme des compagnies.

_ Là il psychote grave, vu l’état de la souveraineté nationale américaine, je doute qu’ils aient le culot d’essayer d’instaurer un truc pareil, sinon c’est ici qu’ils devront déployer des troupes.

_ Je sais pas, ça a l’air d’un mec raisonnable, et on obtient pas son poste à l’ancienneté si tu vois ce que je veux dire.

_ Il fait quoi dans la boîte ?

_ C’est le DIROPS.

_ Le quoi ? ? ?

_ Le directeur des opérations.

Un effort de mémorisation de ses cours, donne une idée à Lena de la place du directeur des opérations dans l’organigramme de la société… Et c’était plutôt vers le haut.

 

_ Ah, oui ; quand même.

_ Et ton ami, il fait quoi ?

_ Il chapeaute une unité du SWAT.

_ C’est le nouveau SS5 dont on parle tant ?

_ Il faut vraiment que tu arrêtes avec les acronymes, tu sais.

Plus elle parlait avec lui, et plus Martin se révélait être le genre de touriste à large bande d’écoute ; ce petit salaud devait être doué, par ce qu’il semblait être très au fait du fonctionnement de la compagnie. Mais bien sûr, on ne pouvait pas connaître quelqu’un avec qui on ne prenait pas la peine de discuter… Social engineering, Lena se dit qu’elle ne ferait plus ce genre d’erreurs à l’avenir.

Page vue 56 fois, créée le 19.08.2007 19h59 par guinch
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