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Lunch Break

C’était encore une journée superbe à la Nouvelle Orléans, le détective Rémi Lebeau se trouvait dans l’arrière salle d’un restaurant où il déjeunait avec « des amis », hors de vue et protégé des oreilles discrètes par tout un tas de petits gadgets ingénieux pour lesquels Anthony « le Tigre » Baldi payait une petite fortune.

Le Tigre était vraiment un gars hors du commun, petite frappe dans sa jeunesse, il avait grimpé les échelons du crime organisé en dessoudant des gars pour le syndicat ; jamais inculpé, une fois, un flic l’avait traité de lâche… Baldi avait alors disparu de la circulation pendant des années, pour réapparaître un beau jour dans le commissariat du type en question, dans un uniforme au pantalon serré par des rangers, un béret vert vissé sur la tête et quelques belles brillantes accrochées au poitrail. Il avait alors traité le policier comme une merde sans pour autant commettre d’outrage, le mettant au défi de répéter ce qu’il avait dit autrefois à son sujet.

Mais on ne devient pas un des patrons du crime organisé à la Nouvelle Orléans en prouvant qu’on a de l’honneur ; ce qui avait fait la réputation du Tigre, c’était qu’il exécutait tous ses contrats « close and personnal » ; flingue à bout portant, toujours de face, ou bien même au couteau. C’est ainsi qu’après avoir tâté le terrain, il avait mis à la retraite son prédécesseur, moins compétitif.
En dehors de ce petit détail, Tony était un type très fréquentable ; aussi généreux avec ses amis qu’il était impitoyable avec ses ennemis. Rémi n’était pas son employé, il lui rendait quelques services pas trop compromettants, tout en sachant qu’il investissait là pour une retraite dorée et rapide comme gérant d’une des sociétés façades de l’affaire de Tony.

Les deux hommes se connaissaient depuis la maternelle, s’étant perdus de vue en high school, ils s’étaient rencontrés par hasard dans une boîte de nuit que Rémi surveillait. Un regard cherchant à identifier le visage familier, une poignée de main et quelques verres plus tard ; ils avaient fait le point sur leurs vies, évoqué le bourbier tout en n’ayant aucune envie de s’appesantir sur le sujet.

_ Rémi, ces empaffés de bœufs carottes sont ennuyeux à te suivre comme ton ombre ; on pourrait déjeuner au country club, aller pêcher ou se faire un golf, mais c’est bien simple, ils ne te lâchent jamais.
_ Me dit pas que c’est ce qui te tracasse, tu as des soucis mon bonhomme ?
_ Pourquoi tu dis ça ?
_ T’as avalé ton plat de spaghetti comme un aspirateur, pourtant c’est plus des muscles que tu as, c’est des cordages enroulés autour de tes os.
_ Hé, j’ai un métabolisme efficace.

C’était plus tôt les effets des cocktails chimiques, speed et décélération, que le Tigre s’envoyait depuis ses vacances hors sol ; même pour un gars habitué au meurtre, le carnage à grande échelle devait l’avoir obligé à « s’adapter ». Le garde du corps de Tony était un autre copain, datant lui de l’équipe de football ; loin d’être brillant, Donny était un tas de muscles et de graisse absolument insensible aux coups, il avait battu un mec à mort après qu’il lui ait collé trois balles de 22 dans le corps.

_ Hé Tony, t’as encore reçu un coup de fil de la madame pour le job en Californie.
_ Donny, je t’ai déjà dit qu’on ne parle pas de trucs « gras » quand Rémi est à table avec nous, tu sais que ça le gène… Et d’abord, c’est Mademoiselle, pas Madame.

Rémi fit un signe apaisant à Donny, lequel lui tapa sur l’épaule amicalement.

_ Pardon Rémi, j’oublie parfois que t’es flic maintenant.
_ Pas de mal Donny, ça m’arrive aussi.

__

Assis, sur les gradins en bois qui jouxtaient le terrain de basket ; Simon Pelles et Duke Edwards déjeunaient, tout en regardant les joueurs torse nu mener une partie acharnée.
Le Duke sirotait son soda en faisant de grands bruits de succion avec la paille, jetant un regard amusé devant l’air excédé de Simon.

_ J’adore la Californie !
_ Non, tu adores les jeunes sportifs californiens, il y a une différence.
_ Le soleil, la dictature du paraître, l’exubérance et la fausse nonchalance… C’est une marque de fabrique, sarge.
_ Ne m’appelles plus comme ça, Le Duke, c’est fini cette époque.
_ Tu m’excusera, si je ne verse pas une larme sur notre glorieux passé militaire.
_ Tu es tout excusé ; alors, comment avance ta recherche d’emploi ?
_ C’est un détail, mon gros problème, c’est que je ne suis pas sûr de vouloir travailler pour une corporation.
_ Si tu ne rejoins pas une corpo, tu peux tirer un trait sur la vie dans un complexe urbain ; les taxes, les assurances, les banques… Toutes les adhésions et les tarifs sont soumis à ton appartenance à une des compagnies du groupement d’intérêts du complexe.
_ Je sais, mais après des années d’institutionnalisation, je ne me sens pas prêt à troquer un uniforme contre un autre… Salary man, ça me tente moyen.
_ Ne me dis pas que tu penses à bosser en cuisine ou comme DJ ?
_ Et pourquoi pas ?
_ Ecoute, il y a tout un tas de postes pour lesquels tu es qualifié dans ma compagnie ; et tu verrai le troupeau de geeks qui gèrent le centre des opérations, tu ne sera pas obligé de porter un costard.

Duke fit une mine un peu plus sombre.

_ Ecoute Driver, le problème c’est que je n’ai pas eu ma lettre de recommandation… Et avec cette histoire de cour martiale, même si j’ai été acquitté, il est peu probable que je passe le cap d’une enquête de moralité.

Simon donna un coup de pied dans le banc d’en dessous, attirant un instant l’attention des joueurs de basket.

_ Et merde ! J’aurai du me douter que le L-tee Tereshkova ferait un truc du genre… J’ai abandonné mon poste d’instructeur à Pendelton pour être promu ici à la Securitas ; ça doit être sa façon de me faire savoir qu’elle considère que je suis un lâcheur.
_ Ce n’est pas ta faute si la fille gâtée d’un général, pense que les dérogations dont elle bénéficie, sont la règle pour le commun des mortels… On ne peut pas se permettre le luxe d’appliquer ses standards moraux élevés, il faut bien vivre. Je parie qu’elle ne sait même pas que tu as une gosse, preuve combien les êtres humains l’intéressent.
_ Lena n’est pas ma môme, Le Duke.
_ Oh, on marque la distinction, qu’est-ce que je dois comprendre ? Y aurait-il une quelconque connotation romantique dans la nuance ?

Le regard noir que lui lança Simon fit sourire Duke de plus belle.

_ Ca va, je m’excuse, je te taquinais simplement… Mais puisqu’on en est aux sujets épineux, dis-moi, c’est sérieux la brouille entre Ganja et toi ?
_ Je ne sais pas, il me pompe l’air ; avec lui j’ai toujours l’impression d’avoir affaire à un gosse, il te met devant le fait accompli… Evidemment que je vais le couvrir, mais ce n’est pas une façon de mouiller ses potes sans leur dire dans quelle merde ils pataugent.
_ Allez, c’est pas sérieux ; on a traversé des trucs bien pires que ça, c’est pas pour se prendre la tête une fois de retour au pays.
_ Oui, pas sérieux ; exactement comme la fois où Ganja a revendu le contenu de cinq containers de gaze pour les remplir avec de l’herbe et lui faire passer l’astro-quarantaine.
_ Et que le major n’a rien relevé parce que nous avions embarqué plusieurs tonnes de grain « saisies » aux civils chinois pour les revendre sur le marché noir. On a une morale à tiroirs il me semble.
_ J’ai jamais gardé un seul rond de ma part du pactole, tout est passé anonymement à Colonial-Aid, tu peux me croire Le Duke.
_ Et je te crois Driver, je dis juste que moi, j’ai gardé le fric ; et donc que tu pourrai étendre l’amnistie amicale à Ganja, tu ne penses pas ?

Duke était le spécialiste pour arrondir les angles, il n’avait pas tort en soulignant la relativité des fautes de chacun ; revenant sur les événements, Simon s’était emporté pour de mauvaises raisons ; les flics de la Nouvelle Orléans n’avaient rien pour l’ennuyer, et Rémi avait simplement pété la main à une enflure de première.

_ Je pense que cette histoire est tombée au mauvais moment, j’étais remonté à cause d’événements récents et j’ai simplement relâché la pression sur Ganja, je lui jetterai un coup de visiophone pour aplatir les choses.
_ C’est cool, j’imagine qu’être un vieil hétéro célibataire avec la responsabilité d’une ado de dix-sept ans, c’est pas la joie tous les jours non plus.
_ Sédentarise toi avec un mec avant toute chose, et tu aura le droit de revenir m’en parler... Et je ne suis pas vraiment célibataire, juste engagé dans une relation très libre.
_ C’est exactement ma philosophie, Le Duke n’est pas l’homme d’un seul homme, que veux-tu… J’appartiens au patrimoine national.

Simon regarda son ordinateur bracelet et termina d’une traite le fond de son thé glacé.

_ Il faut que je retourne au bureau, je te dépose quelque part ?
_ Non, merci ; je vais rester glander à la plage Driver.
_ Ok, appelles-moi si tu restes dans le coin.
_ Bien sûr, et je te traînerai dans les bars de West Hollywood ; quoi que, ça ferait assez « montreur d’ours » tu ne penses pas ?
_ Oublies ça, et ne t’en fais pas pour ta lettre de recommandation ; je m’en occupe.

Simon partit décidé vers le parking où était garé le monstre, dut-il monter à Washington lui-même, il veillerai à ce que d’autres ne payent pas pour ses erreurs.
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