C’était samedi soir, le club était rempli de jeunes gens qui se déchaînaient sur un énième recyclage de la musique du siècle dernier ; ça sonnait dur, et il y avait là tout pour oublier les aléas de l’existence. Des drogues, la perte d’identité au sein du collectif, la promesse du sexe facile… Mais après des années d’amusement, tout cela semblait être devenu terne et fade ; la musique trop forte ; les danseurs repoussants par leur similitude, et l’odeur de parfums outranciers teintés de sueur.
Assise dans un fauteuil non loin du bar, Lena observait les visages souriants des gosses de son âge, grimés et parés de bijoux high-tech… Les produits d’une contre culture, qui n’était autre qu’une culture alternative aux courants principaux, dictant elle aussi ses codes et ses modes. Leurs paroles noyées, dans le brouhaha ambiant, sonnaient comme une bande magnétique passée au ralenti, ce n’était pas la drogue, ni la fatigue ; c’était simplement la lassitude.
Le barman lui sourit, c’était un beau brin de gars, typé latin… Mais si elle jouissait d’habitude de se sentir désirée, et objet des regards ; ce soir tout cela lui pesait, l’ennui se changeant en dégoût, les étreintes se fondant les unes dans les autres… Comme un énorme sandwich de chair, trop lourd à digérer. Elle sentait la dépression peser sur tout son corps comme un chape de plomb ; elle pourrait y remédier en prenant la bonne molécule, boire, oublier et s’envoyer en l’air avec qui bon lui semblerait sur le moment. Mais le lendemain, le « blues », comme l’appelait Simon, reviendrait d’autant plus fort.
Elle se faisait l’effet d’une gosse pourrie gâtée, ayant tout pour être heureuse, mais nourrissant seulement une passion pour ce qu’elle ne pouvait avoir… Quand de telles pensées l’assaillaient, elle songeait à Christie ; et alors tout semblait reprendre sa place. Mais ce soir, elle ne se sentait à sa place nulle part.
Lena finit par proférer un vague mensonge, puis s’éclipsa de la boîte ; elle attrapa un auto-taxi et fit le mur du cimetière. C’était une drôle d’idée ; on prenait souvent conseil auprès de ses morts dans les anciennes cultures , mais aujourd’hui, c’était là un geste dicté par quelques décennies de clichés cinématographiques. La jeune fille ne trouva que le silence et l’obscurité, et quand elle voulut parler, sa voix mourut dans sa gorge ; c’était stupide, tout ce qu’elle pourrait bien dire ne serait que pour elle-même. La culpabilité du survivant, c’était une part du malaise qui habitait Lena depuis la mort de Christie ; ça et sa dépendance nouvelle vis-à-vis de Simon.
Où était-il ce soir ? Probablement avec sa copine psy. C’était un type bien, il méritait d’avoir la paix de temps en temps… Et même, si le caprice d’attirer son attention, rôdait toujours au creux du ventre de sa pupille ; elle se rendait bien compte que c’était un geste immature, allant à l’encontre de ce que Simon pouvait bien attendre d’elle.
Assise près de la pierre tombale, Lena fut saisie par le froid et une infinie sensation de solitude qui confinait au vertige ; ce monde lui semblait tout à coup aussi étranger, que les étoiles froides brillant dans le ciel, ces choses intangibles qui pourtant étaient la vie de beaucoup de gens. Et combien de ceux, enterrés ici, étaient morts là-haut ? Les croix blanches du cimetière militaire portaient les noms de constellations lointaines, à des milliers d’années lumières de là.
Un moment passa, entendant le sifflement du vent dans les arbres ; Lena se leva, et se dirigea vers le mur d’enceinte, utilisant le raccourci du portable de Simon sur son propre ordinateur.
Sa voix, dans le noir ; elle se demandait où il pouvait bien être, comme une sorte de génie coincé dans l’ordinateur autour de son poignet droit.
_ Allo ?
Il ne regardait jamais qui l’appelait avant de décrocher, c’était le genre de subtilité sociale que Simon négligeait.
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Les ongles de Rebecca griffaient la peau de son dos, à l’ultime instant, alors qu’une lame de fond explosait au creux des reins de Simon, elle les enfonça dans ses flancs. Ils faisaient toujours l’amour de façon furieuse, et avide ; elle ne disait rien, mais leur relation avait quelque chose de maladif… En tant qu’individus, ils se trouvaient intéressants ; mais au fond d’eux, ils se haïssaient respectivement parce que l’autre semblait révéler tous leurs défauts et leurs contradictions.
_ Tu es un nymphomane.
Le souffle court, son corps moite et tiède reposant sur elle, comme une couverture vivante ; Simon l’embrassa dans le cou, et elle gloussa de plaisir et d’amusement mêlés. C’était son soldat, son barbare ; complètement déconnecté des complexités de l’existence, toujours focalisé sur l’assouvissement de ses besoins primaires… Elle enviait parfois sa capacité à se satisfaire de choses simples ; mais cela semblait aussi le rendre imperméable à ses arguments au cours des discussions qu’ils pouvaient avoir. Si seulement ils avaient pu rester ainsi, libres de toutes les différences qui les séparaient, s’accepter ; mais c’était hors de question, chambouler leurs visions respectives du monde, porter atteinte à leur identité, ils étaient tous deux bien trop individualistes pour ça.
_ Je t’ai entendue te plaindre ?
Elle lui caressa la joue du dos de la main, captant son regard brillant dans la pénombre.
_ Oui, j’aimerai que tu prennes un peu plus ton temps.
Il lui sourit, comme si tout allait bien, puis l’embrassa longuement… Il n’avait aucun problème à se montrer patient, tant qu’il était hors d’elle ; cependant, une fois dans le feu de l’action, un kaléidoscope violent et incontrôlable se déchaînait dans sa tête, et le seul moyen d’échapper à ce tourment, était dans la poursuite acharnée du plaisir.
_ Becky, même si tu t’habillais comme une Amish, tu me mettrai encore à la limite de la combustion spontanée.
_ Bien essayé, mais la flatterie ne suffira pas… Au travail, soldat.
Il se laissait doucement glisser au bas du fauteuil, quand son ordinateur bracelet sonna… L’appareil était en dérangement sauf pour une liste très réduite de numéros, Simon hésita un instant et Becky lui fit grâce d’une pause.
_ Décroche, je vais nous préparer une petite collation… Avant la suite.
Il embrassa l’intérieur de la cuisse puis se redressa pour aller chercher son appareil.
_ Allo ?