Une horloge sous cloche de verre émettait un tic tac absolument horripilant, Simon Pelles se demandait ce que les gens appréciant ce bruit pouvaient bien lui trouver ; le bureau ressemblait plutôt à un salon, branché et cosy.
Assise dans le sofa de couleur sable en face de lui, Rebecca était comme à l’accoutumée belle à tomber par terre ; il évitait de la regarder trop directement car alors, tout un tas de pensées érotiques se déversaient sur son esprit, l’empêchant de réfléchir et de répondre aux questions qu’elle lui posait.
Dégrafant son bouton de col, il revînt à elle.
_ Il n’y a pas conflit d’intérêt ou un truc du genre, je ne doute pas que tu sois objective et très professionnelle, mais ça ne devrait pas être à quelqu’un d’autre de faire mon expertise ?
_ Tu peux demander quelqu’un d’autre si ça te met mal à l’aise, mais je voulais vraiment la faire.
_ Pourquoi ça ?
_ Et bien, pour voir si tu cadrais au profil que je me suis fait de toi.
Simon fit glisser sa cravate et la plia proprement dans sa poche de poitrine, sur ce coup-là il n’était pas verni, surtout au vu de leur dernier rendez-vous… Mais il pourrait toujours réclamer un autre psy pour faire l’expertise, s’il ne le faisait pas, c’est parce qu’il appréciait l’attention que Becky lui portait.
_ Bon, et bien allons-y alors.
_ Quelle vont être, à ton avis, les incidences de ce nouvel emploi sur ta vie ?
_ C’est nouveau, je vais devoir apprendre le côté management ; d’un point de vue terre à terre, je vais gagner beaucoup plus d’argent.
_ Et ton entourage, qu’est-ce qu’ils en pensent ?
_ Si tu fais référence à Lena, elle est très contente ; elle pourra faire des caprices beaucoup plus coûteux désormais.
_ Ca ne te gène pas de devenir le patron du mari d’Angela ?
Simon fit la moue, les piques continuaient… Est-ce que l’attitude d’Angie ce matin avait à voir avec ça ?
_ Angie et Mike n’étaient pas mariés à l’époque, si c’est ce dont tu veux parler.
_ Je pensais plutôt au fait que Michael était pressenti pour le poste de superviseur de l’unité cinq, jusqu’à ce que tu sois nommé.
_ Je ne le savais pas, je n’ai pas demandé ce poste ; on dirait que tu crois que ça m’amuse, d’avoir baisé un brave type de toutes les façons possibles.
_ Tu te sens coupable ?
_ Et c’est reparti ! Oui, bien sûr que je me sens coupable.
_ Pourquoi avoir demandé une accréditation opérationnelle ?
_ Je ne vais pas demander à ces hommes de faire des trucs que je ne ferais pas à leur place, pour être le patron, il faut qu’ils voient que je suis taillé du même bois ; que je suis un des leurs.
_ Est-ce que tu ne penses pas que tu essayes d’être un homme que tu as été avant d’être blessé et retiré du service ?
Simon se maîtrisa, il avait envie de foutre en l’air un ou deux bibelots, comme cette cochonnerie d’horloge ; sa voix fit un bond quand il répondit très en colère.
_ Alors c’est comme ça, je suis un petit soldat cassé à ton avis, bon à foutre à la poubelle ?
_ Ce n’est pas mon avis qui nous intéresse ; et en aparté Simon, je ne me suis jamais plaint de ta virilité, non ?
Simon soupira, excédé ; il avait envie de sauter sur Becky, de lui prouver encore qu’il était Simon Pelles, un tueur et un briseur de cœurs comme s’en ventaient les marines. Mais au fond de lui, il savait qu’elle mettait le doigt sur quelque chose d’important ; il ne pouvait pas s’imaginer être quelqu’un d’autre, un type qui irait au bureau tous les matins sans cracher au visage de la mort. C’était stupide, il avait peur quand les balles se mettaient à siffler, comme tout le monde ; mais il n’arrivait tout simplement pas à accepter de vieillir en paix, car c’était mourir d’une certaine façon.
_ Il fait chaud ici, je peux avoir un verre d’eau ?
_ Bien sûr.
Il l’observa, allant chercher une carafe et des verres ; tout chez elle semblait le provoquer, ses paroles, son langage corporel, jusqu’à la façon dont ses magnifiques cheveux bouclés cascadaient sur ses épaules… Peut-être avait-il vraiment besoin de se faire réviser la tête, car il nageait dans l’irrationnel, il avait rarement désiré une femme avec autant de violence. Il engloutit le verre d’eau et s’en servit aussitôt un second, c’est une douche glacée qu’il lui aurait fallu.
_ Tout va bien Simon ? Tu es tout rouge.
_ Oui, c’est sûrement mon dosage anti-UV qui est passé de travers ; continue.
_ Crains tu d’avoir à nouveau à utiliser une arme pour tuer quelqu’un ?
C’était un question dont Simon lui-même était curieux de connaître la réponse.
_ C’est toujours un gâchis, mais j’imagine que ça dépend des circonstances…
_ Est-ce que ton expérience de guerre, pourrait induire chez toi des réflexes inappropriés pour un agent de sécurité ?
La question fit sourire Pelles, on lui avait souvent posée, la faute aux films d’action où un héros solitaire « ancien des forces spéciales » se mettait à briser des os et abattre des armées de méchants dans des explosions cataclysmiques.
_ Si je risque de dévisser accidentellement le choux de quelqu’un sur un coup de sang ? Non, pas de risque.
_ Et ces jeunes noirs, il y a trois mois ?
_ Ils essayaient de me tuer.
_ J’ai entendu dire que les hommes du SWAT sont entraînés à tirer sur l’épaule à l’opposée du cœur pour neutraliser leurs victimes sans les tuer.
_ Je ne suis pas encore au SWAT, ils sont très bien entraînés… Et c’est beaucoup plus difficile de tirer sur quelqu’un que sur une cible en carton, donc quand on défend sa vie, on tire dans la masse.
_ Bien, il y a quelque chose que tu aimerai évoquer ? Je veux dire, en dehors de l’évaluation, si tu veux parler.
Simon eut une petit rire nerveux, frottant la paume de ses mains l’une contre l’autre.
_ Il est bien insonorisé ce bureau ?
Rebecca lui jeta son stylet en plastique en souriant.
_ PARLER, et au psy… Profite que c’est gratuit.
_ J’ai un très bon prêtre, je te l’ai dit ; mais on peut considérer que j’ai un grave problème de libido en la présence d’une certaine femme, comme une obsession, tu vois ce que je veux dire ?
_ Mmm, j’imagine… Et si cette certaine femme n’a que vingt minutes d’ici son prochain rendez-vous ?
_ Alors ce sera une mise en bouche, sans jeu de mots foireux, et elle devra m’accorder un rendez-vous ultérieurement… C’est comme qui dirait une urgence, là.