Simon avait vidé son casier à l’atelier, évitant de croiser Lenny sous peine de devoir lui expliquer la chose ; à ce moment précis, il n’y avait qu’une personne à qui il voulait parler, et c’était Francis. Jour de repos, il devait donc être à l’église ; Simon se dit que ce serait là une bonne occasion de se confesser, avant d’inviter son ami à déjeuner.
Le soleil, filtré de ses rayons nocifs, passait par le pare-brise du camion, réchauffant son corps ; c’était une sensation agréable. En fait, Simon aimait bien la Californie, ce n’était pas un hasard s’il était venu s’installer ici ; outre le fait que San Drad était idéale pour prendre un nouveau départ.
Se garant près du petit parc pour enfants qui jouxtait l’église de son quartier, Simon prit une grande inspiration ; c’était une belle journée, il avait toutes les raisons de se réjouir… Si seulement il arrivait à se débarrasser de sa sensation de culpabilité ; il grimpa les marches d’une allure décidé.
En tant que prêtre, Francis avait écouté de façon compréhensive ce que Simon avait à dire, mais en tant qu’ami, il ne mâchait pas ses mots alors qu’ils se faisaient un hot-dog au coin de la rue.
_ C’est des conneries Simon, tu es verni mon ami ; le patron, le vrai, je veux dire Dieu, t’as à la bonne.
_ C’est vénal comme décision, j’étais fier de ce que je faisais à Pendelton.
_ Je te connais, tu vas t’éclater au SWAT ; Ayao a raison, tu es fait pour ce job… Et ce n’est pas dégradant d’assurer la sécurité publique, tu vas amener ta contribution à faire de cette ville un endroit plus sûr.
_ Arrête, si j’ai bien compris, je resterai le cul posé derrière un bureau… Je ne te parle même pas du salaire.
_ Tu y crois toi, Simon Pelles restant derrière son bureau ? Même si tu n’avais aucune raison d’aller sur le terrain, tu t’en inventerai une… Tu l’as bien fait alors que tu arrivais à peine à marcher.
_ Je ne suis plus une jeunesse, je bouge comme un robot et ça fait des années que je ne suis plus dans la course.
_ Vraiment ? Et comment appellerais-tu ce que tu as fait dans ton appartement il y a trois mois, quand ces jeunes ont voulu t’assassiner ? Dis ce que tu veux, mais c’est glissé sous ta peau, Simon Pelles est un combattant.
_ Mais…
_ Arrête un moment, la guerre là-haut continuera sans toi Simon ; tu as fait plus que ta part, il est temps de penser à toi et à ta famille. Ce job, c’est votre avenir à Lena et toi. Cesse donc de chercher des raisons de te fustiger tout le temps, tu n’es pas Atlas avec le monde sur tes épaules ! Tu n’es qu’un homme, accepte-le, et apprends l’humilité devant l’infinie création de notre seigneur.
_ Ce que tu es en train de me dire, c’est qu’il m’approuve, que c’est le destin qu’il m’a tracé ?
_ Hé petit homme, j’ai une relation très particulière avec le grand patron ; si je te dis qu’il est ok et qu’il te dis fonce, tu peux me croire.
_ C’est lui le patron, si il dit « saute », je demande « à quelle hauteur Seigneur ? ».
La fin de journée fut agréable, Simon s’acheta un nouveau costume et emmena Lena dîner au restaurant ; le programme des jours suivants allait être un peu plus tendu. Pelles s’était mis en tête d’obtenir l’accréditation opérationnelle d’agent de terrain, mener par l’exemple avait toujours été sa façon de faire ainsi que celle des officiers qu’il avait respectés. L’épreuve de tir serait une formalité, les tests physiques pourraient peut-être poser problème ; pour clôturer la liste des réjouissances, il faudrait obtenir l’aval d’un des psychologues de la compagnie.
Il était neuf heures de matin, le test de tir fut expédié en trente minutes ; à dix heures, Simon se présenta au gymnase pour passer les épreuves sportives. L’endroit était très bien équipé et Simon y avait passé de nombreuses heures ces derniers mois, pour retrouver une certaine harmonie dans ses mouvements ; en bon perfectionniste, il n’était pas satisfait du résultat… Mais pour cinq mois après un retour en gravité naturelle, c’était vraiment plus qu’il n’aurait pu espérer.
Le moniteur de sport de la compagnie était un russe du même gabarit que Simon, une armoire à glace très sympathique du nom de Sergueï ; ses cheveux courts coupés en brosse, comme sa gueule taillée au couteau, laissaient l’impression qu’il sortait tout droit d’un camp des Spetsnaz ; mais Sergueï Ivanevitch était en fait un ancien athlète olympique, et un humaniste convaincu… Sorte d’anachronisme en ces temps où l’individu était noyé dans la masse.
Le fait que les jambes de Simon aient été remplacées par des prothèses cybernétiques n’avait pas de précédent concernant les épreuves sportives, l’intéressé avait fortement insisté pour que le barème reste inchangé ; prouver à ses collègues son aptitude et s’intégrer au collectif étaient les seuls intérêts de l’accréditation opérationnelle, Simon ne serait quasiment jamais sur le terrain.
La compagnie avait accepté, à condition qu’un kinésithérapeute travaillant pour la compagnie assiste aux épreuves, c’est sans surprise qu’Angela Mullins fut choisie ; ce qui surprit plus Simon, fut de constater l’absence de son habituelle énergie… Elle semblait l’éviter, ne lui adressant la parole que concernant le monitoring de ses prothèses.
Après quelques échauffements, Pelles attaqua bille en tête sur l’endurance ; les trois derniers tours furent extrêmement douloureux pour son dos, mais il serra les dents et continua, plaçant la douleur dans un coin de sa tête, la répertoriant comme si elle n’avait été qu’une information alors qu’elle lui cisaillait les terminaisons nerveuses.
Serguei et Angela se consultèrent et après un petit moment de repos, la natation fut la bienvenue car l’eau chaude était un vrai baume pour les muscles dorsaux très sollicités ; avec ses embouts palmés, Simon se fit un plaisir de coller la notation dans les meilleures de l’épreuve.
Le grimpé de corde était honteusement facile, durant les premiers temps de son convalescence, Simon avait compensé l’absence de ses membres inférieurs ; la surprise vînt du saut en longueur, en effet, même si la position n’était pas des plus naturelles, la puissance des prothèses A4 se révéla un atout non négligeable.
_ Je ne sais pas si on va pouvoir la garder…
Sergueï était visiblement amusé, regardant Simon assis très avant dans le sable.
_ Je comprends, pourtant elles sont bridées aux paramètres d’usine.
Angela confirma et la note resta valide ; c’en était fini, le résultat même s’il n’était pas comparable aux performances de Simon avant son accident, restait bien au dessus de la notation moyenne des agents de terrain. Simon était très satisfait, il invita ses examinateurs à déjeuner, mais Angela s’excusa auprès des deux hommes. Sergueï et Simon déjeunèrent à la cafétéria panoramique du complexe associatif.
_ Il y a quelque chose entre vous deux, non ?
_ Angela m’a suivi quand je suis arrivé il y a cinq mois, je peux te dire que les premiers temps ont été difficiles ; j’étais frustré, je voulais des résultats immédiats, j’étais amer ; pas facile à vivre comme patient.
_ Ce n’est pas ce que je voulais dire, Simon Josephovitch.
_ Je vois, non il n’y a rien entre nous deux, Sergueï Ivanovitch.
_ En tout cas, laisse moi te dire que si tu voulais des résultats, tu as réussi… C’était plutôt bon, tu tiens la forme pour un quinquagénaire.
_ Le frigo, ça conserve… Sans rire, j’ai été plongé en animation suspendue si longtemps, que je ne serai pas surpris si un jour, on découvrait de vilains effets secondaires.
_ Un ami qui travaille pour Biotech m’as dit que l’on avait constaté des baisses significatives de la fertilité chez les hommes qui ont été plongés en animation suspendue de façon chronique ; ça et des déficiences génétiques chez leurs enfants.
_ C’est sérieux ?
_ Sans rire, je te le présenterai à l’occasion ; ce n’est pas son domaine spécifique mais on entend toujours des choses autour de la machine à café.
_ Il travaille dans quoi ?
_ Motricité des systèmes artificiels ; Fernando est un athlète handisport international, il a perdu un bras et ses deux jambes dans un accident de la route.
_ Fernando, tu parles de Fernando Vargas, le champion du monde 2025 de Taekwondo ?
_ Cela le flattera sûrement que tu t’en souviennes ! Aujourd’hui il pratique un bon nombre de sports à haut niveau ; c’est un homme très positif, il vit beaucoup plus intensément depuis son accident.
_ J’adorerai le rencontrer, ce mec est mon héros !
_ Il vit à Miami depuis l’entrée en guerre de Cuba, mais il est toujours entre deux navettes ; il vient souvent ici.
_ Tu as mes coordonnées, n’hésite pas à m’appeler ; il faut que je file, j’ai rendez-vous à quinze heures avec un psychologue de la compagnie.
_ Bon courage, Simon Josephovitch.