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To find the north, head south.

C’était une mâtinée magnifique, malgré la fin de l’hiver, la température était douce dans la région ; Simon avait exceptionnellement sauté sa séance d’exercices matinaux pour cause de sommeil en retard, Lena n’émergerait pas avant midi de toute façon.
Du fond de son lit, il ne pouvait s’empêcher de repenser à la veille ; c’est ce que voulait Blanchard, faire appel à son sens moral pour lui retourner le cerveau… Mais même s’il allait en toucher deux mots à Rémi, tout ça n’était pas son affaire.

Son regard vagabondait dans la pénombre de la chambre, des montants en bois du lit, au crucifix suspendu au mur ; les meubles avaient ici l’odeur de la cire et du temps qui passe. Des souvenirs de ses ébats avec les deux filles de la veille venaient troubler ce moment de sérénité ; il ne l’admettait pas, mais il lui fallait toujours une forme de violence pour que sa vie semble réelle.

« Tu es accro à cette merde Driver, le rush d’adrénaline, le sentiment intense d’être vivant. »

Il pataugeait dans le péché jusqu’au cou, ce qui était la norme de cette société. Et comme il pouvait apprécier la culpabilité qui venait après ses actes ; c’était à la fois du masochisme et une sorte de lâcheté, car la pénitence lui apportait le pardon. Il y avait bien sûr d’autres interprétations, mais c’était la façon dévoyée dont il vivait sa religion ; sa béquille spirituelle. Il n’était pas vraiment sincère dans son cœur.

Parfois, sa vie semblait n’être qu’une longue errance sur un champ de bataille embrumé ; une route pavée de bonnes intentions : sauver des vies, défendre des idées… Justifications pour assouvir un besoin atavique de violence, aller-simple pour l’enfer, s’il existait autre part que dans le monde des hommes.

Simon finit par se lever, il fallait qu’il aille promener le chien ; il lui passa une laisse, pensant aller traîner vers Jackson Square. La promenade au grand air lui fit du bien, chassant son besoin de mortification. Néanmoins la question subsistait en lui, s’il se mettait au vert, loin de toute activité reliée à la violence ; combien de temps faudrait-il pour que l’insomnie le rattrape, pour qu’il replonge ? Il se faisait l’impression d’un type totalement inapte au bonheur, certaines personnes ne devaient pas être faites pour vivre en temps de paix ; en tout cas, le Simon Pelles qui se respectait, avait été forgé sur l’autel de la guerre… Sans cette fonction martiale, l’être humain qu’il était n’avait plus beaucoup de valeur à ses yeux.

Il s’arrêta pour donner un peu d’argent à un mendiant dans la rue, le type portait une veste de l’armée ; c’était comme faire face à un jumeau issu d’un futur possible, ce mec était un outil hors d’usage que la société aurait abandonné… Une fois à la retraite, il faudrait que Simon vive vraiment pour autre chose ; ne pas ressasser tout un tas de souvenirs en s’enivrant pour oublier qu’il s’agissait du passé. Dans quatre ans Lena serait majeure, peu après elle ferait sa vie ; que lui resterait-il alors ? Son job à la Securitas ? Bien sûr il aimait la mécanique lourde, mais ce n’était pas suffisant pour occuper un homme comme lui. Passant devant une vitrine, il détailla son apparence dans le reflet que lui renvoyait la vitre.

« Regardes-toi, la date dit périmé, mais le produit a encore l’air frais. »

Les effets pernicieux de l’animation suspendue, le temps perdu créait ce décalage que les psys appelaient syndrome de désorientation asynchrone… Ils mettaient toujours des mots techniques sur des concepts pourtant simples.

« Cinquante ans passés et je m’en sens même pas quarante. »

Il eu un soupir de dédain face à ce reflet sur lequel il s’était subitement déchargé de ses doutes, puis il reprit la marche ; il allait faire une petite visite de courtoisie à Rémi au boulot, histoire de l’inviter à déjeuner… Et tirer les choses au clair concernant les événements de la veille au soir.

Ils étaient assis sur un banc, dans un parc ; ils mangeaient des torpilles, ces fameux sandwiches aux crevettes et aux huîtres ; c’était vraiment une belle journée, et le ciel n’était traversé que par quelques nuages pressés.

_ Alors sarge, c’est quoi le problème ?
_ A toi de me le dire, Ganja ; c’était quoi ce cirque hier soir ?
_ Rien, je te l’ai dit ; c’est pas tes oignons.

Simon mâcha patiemment puis posa son sandwich ; il joint ses mains, les laissant pendre entre ses genoux comme il aimait le faire pour réfléchir.

_ Depuis hier soir, un ou deux trucs ont changé ; j’ai été filé par deux de tes collègues des affaires internes, et l’entrevue n’a pas été des plus cordiales Lebeau… Alors je ne te poserai cette question qu’une dernière fois, pourquoi est-ce que tu as brutalisé ce type dans les toilettes du club ?
_ Mais tu es dingue ou quoi ?

Cette fois-ci, le très paisible Ganja était agité ; bien sûr, il pouvait se faire piéger au micro canon dans un endroit dégagé comme celui-ci.

_ Oublie, je me fout de la raison ; non mais qu’est-ce qui t’a pris de me mêler à ça ? Tu es vraiment une triple buse, un bougre d’abruti… Je suis encore sous les drapeaux, j’ai un boulot dans une compagnie soucieuse de son image, et une gamine à charge ; tu sais ce que ce genre de trucs peut me coûter ?
_ Driver, cette conversation est terminée.

Rémi Lebeau se leva pour s’en aller ; Simon Pelles ne lui en laissa pas la chance, il saisit la base d’un des pouces de l’afro-américain et la fit tourner, forçant le reste des articulation de son bras à suivre. Puis affermissant sa prise il le poussa vers les toilettes publiques sans ménagement, le jetant presque contre la paroi une fois passé la vieille porte battante en bois. Lebeau était furibond, mais il resta à se masser la main, regardant Pelles lui barrer la sortie comme une statue.

_ Là, on peut parler.
_ Qu’est-ce que tu va faire, me battre comme plâtre pour que je parle ?

Le regard froid que lui jetait son ancien sergent était assez pour répondre à sa question, Pelles n’aurait pas besoin d’en arriver là, il avait ses méthodes, plus douloureuses et moins visibles.

_ Ecoute, ce minable taxait les filles en plus de ce que leur prend leur manager ; il fallait que ça cesse. Bon dieu, je lui ai juste pété les doigts dans la porte des chiottes, on a fait pire que ça tout de même !
_ Tu penses que j’ai quoi entre les oreilles, une flaque d’eau ? Tu veux me faire croire que les flics des affaires internes te coursent comme un lièvre, simplement parce que tu as joué au justicier ? Ils étaient sur toi bien avant ça, et ils ne se soucie pas d’un minable comme ce Rocque ; moi je crois plutôt que tu l’as amoché, parce qu’il se taxait sur les filles d’un type qui te graisse la patte.
_ Mais pour qui tu te prends à me balancer des trucs pareils au visage, hein ?
_ Juste un ami en pétard qui te le fait savoir, Ganja… Si tu veux que je te couvre, tu me préviens que ça va canarder ; pourquoi étais-je là au juste ? Pour te servir d’alibi au cas où tu aurais taillé une boutonnière à ce gus ?
_ Je ne te demanderai jamais un truc pareil, Driver.
_ Je l’ai fait Rémi, j’ai dit à ces deux emmerdeurs des A.I. que je n’avais rien vu, rien entendu ; ça ne remet pas le score à zéro entre nous, mais je te déconseille fortement de me refaire un plan du genre…
_ Alors on est cools ?
_ Non, j’ai une dette envers toi Doc, mais désormais c’est tout ce qu’il reste entre nous.

Simon jeta un dernier regard chargé de déception à son ami et tourna les talons, il était venu à la Nouvelle Orléans en quête d’un moment d’insouciance et avait accumulé les galères… Doc avait toujours été un type réglo selon les critères de Pelles, il n’avait pas marché dans les combines du major et donnait un coup de main aux gens quand il en avait l’occasion ; peut-être y avait-il des raisons suffisantes pour expliquer ses actions de la veille ? Mais pas la façon dont il s’était servi de son ami, ni celle dont il l’avait tenu dans l’ignorance, preuve d’un manque de confiance ou tout du moins d’une conscience coupable.
C’était la preuve que même les meilleurs hommes pouvaient chuter, il n’en existait aucun de capable d’une vertu à toute épreuve, aucun qui aurait répondu aux critères idéaux énoncés par la bible ou le corps des marines. Tout ça, c’était du flan ; on pataugeait dans le vice, et le mieux que l’on pouvait faire, était de rester aussi longtemps que possible à la surface ; mais finalement, le plongeon était inévitable… Et à rester trop longtemps submergé, on finissait par boire la tasse.

Simon rentrait à l’hôtel, la petite serait déçue mais il valait mieux abréger leur séjour ici ; depuis qu’ils avaient passé la frontière de l’état de Louisiane, ce n’était que mésaventure sur mésaventure. Il considéra l’idée un petit moment, puis finit par appeler Rebecca.

_ Docteur Zermati à l’appareil.
_ Salut Becky.
_ Simon Pelles, ça va faire deux semaines ; je me demandais si tu me rappellerais jamais.
_ Dans le doute, tu aurai pu le faire toi… à la façon dont tu t’es enfuie l’autre soir, je ne pensais pas que te rappeler servirait à grand chose.
_ Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis, alors ?
_ Une récente démonstration qu’à un moment ou un autre, on foire tous dans les grandes largeurs, c’est humain.
_ Mmmh, ça sent la belle tranche de vie, grillée à point.
_ Quelque chose du genre sordide, en effet… Tu serai prête à arrêter de me considérer comme un de tes patients ?

La remarque provoqua un petit moment de silence, Rebecca n’avait pas été tendre, mais d’un autre côté Angela avait prévenu Simon que son amie était spéciale… En l’occurrence, s’il fallait aller au clash, Simon était prêt à provoquer l’affrontement.

_ Je ne sais pas si j’y arriverai.
_ Tu sais que tu es un cas, dans le genre, toi aussi… Tu es déjà arrivée à fréquenter quelqu’un plus d’un soir, sans sauter dans un taxi pour t’enfuir ?
_ Tu es en colère, je crois que le message est passé ; mais je suis en pleine journée de travail ,donc je n’ai pas forcément le temps pour ces petits jeux puérils, Simon.
_ Visiblement, il faut clarifier encore un peu mon message Rebecca, ça ne prendra pas plus d’une minute de ton précieux temps, alors écoute. Tu me plais malgré tes crises analytiques, et j’ai envie de te revoir de temps en temps ; surpasse ton complexe de supériorité, et appelle moi quand tu en aura envie.
_ Et tu crois vraiment que ça va marcher en jouant les cowboys ?
_ Ne sois pas hypocrite, c’est surtout mon côté brute qui te plaît ; je dois bien avoir une chance sur quatre que tu te rendes compte combien tout ça est stupide.
_ Une chance sur quatre ? Et bien raccroche, on verra si tu tiens un bon pronostic.

Simon eut une sourire en coin et lui raccrocha au nez… Qu’importe si elle rappelait, il avait fait ce qu’il pouvait. Il connaissait peu de choses de Rebecca, elle avait un corps de déesse grecque, portait un regard redoutable sur le reste de l’humanité, et disposait d’un tempérament de feu ; le tout formait une femme intriguante et attirante, mais qu’il faudrait savoir traiter avec un recul prudent.

Arrivé à l’hôtel, Simon dut faire face à la déception manifeste de Lena, mais lorsque son tuteur disait sentir l’odeur du souffre, elle se devait de lui faire confiance, l’expérience avait prouvé son talent pour sentir approcher les ennuis. Ils firent leurs bagages et remontèrent dans le monstre ; Simon laissa une lettre à l’attention de son ami Duke, qui la trouverait en arrivant à la réception de l’hôtel. Ils n’avaient plus rien à faire à la Nouvelle Orléans.

_ Et maintenant, on tire un trait sur nos vacances, Simon ?
_ Il nous reste quatre jours, on peut faire expédier le camion à San Drad depuis Houston… J’ai entendu dire qu’à cette époque de l’année, l’eau est à 24° aux Bahamas.
_ Tu sais te faire pardonner, c’est sûr.
_ C’est important d’être bon pour ça, quand on déconne aussi souvent que moi.
Page vue 57 fois, créée le 19.08.2007 19h14 par guinch
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