« Ca risque de vite devenir un problème. »
Regardant ses stagiaires se débrouiller avec la nouvelle planche d’interface du commandement de l’unité, Simon songeait à sa jeune pupille et aux affres de l’adolescence. Il était difficile de délimiter des frontières et les tenir sans la déresponsabiliser, Lena était très mature et il espérait qu’en tant que jeune adulte, elle arriverait à faire elle-même la part des choses entre ce qui était sans danger et une connerie monumentale.
Mais quand tout allait bien et que la routine prenait tranquillement le pas, Lena faisait toujours une connerie, car elle voulait attirer son attention.
Il était frustrant de constater qu’il pouvait mater les plus virulentes des recrues, et se retrouver désarmé face à une gamine de dix-sept ans. Il s’était jeté dans l’aventure de l’éducation sans préparation, il avait espéré que son expérience militaire ferait l’affaire, et ça avait été la fameuse connerie monumentale.
Jaime était de bon conseil, mais il n’aimait pas trop en dire sur sa vie privée à une personne qu’il n’avait jamais rencontrée ; le constat s’imposait de lui-même, une femme était nécessaire dans sa vie… Le seul problème étant, qu’il n’était pas bien sûr de vouloir autre chose qu’une aventure sexuelle pour l’instant.
Simon s’arrêta pour corriger la solution de tir pour l’artillerie qu’avait entrée un des élèves sous-officiers, puis il reprit sa ronde derrière les pupitres installés le long des murs de la salle.
Les allusions sexuelles de Lena étaient son pire cauchemar ; des années auparavant, s’il l’avait croisée dans un bordel des colonies, il ne lui aurait pas même demandé son âge. Mais c’était là-haut, et aujourd’hui sur Terre, il avait la responsabilité de donner un foyer et la sécurité à Lena, il s’y était engagé devant un juge et devant Dieu.
_ Atten hut !
La salle se dressa au garde à vous dans un bruit de chaises et de bottes, l’officier plaça sa casquette sous le bras et ordonna à ses subalternes de reprendre leurs activités. Simon plaça les mains dans son dos, prenant une position réglementaire alors qu’il détaillait le nouveau venu.
_ Bonjour sergent-major.
_ Bonjour capitaine, mes félicitations pour votre promotion.
_ Merci, j’ai bien reçu votre courrier ; venez me voir tout à l’heure au bureau de passage, nous nous occuperons de votre requête concernant le caporal Edwards.
_ Merci madame, à vos ordres madame.
Il la salua et reprit l’exercice dès qu’elle eut quitté la salle. Illiana Tereshkova n’avait pas beaucoup changé, jeune et toujours aussi stricte ; c’était un officier respectant scrupuleusement les procédures, peut-être un peu trop parfois. Mais elle était intègre. Si elle s’était retrouvée à la place de Fargo sur Livingstone 4, il n’y aurait jamais eu de massacre. Ses idéaux étaient vite entrés en conflit avec la réalité, surtout lorsqu’elle avait été affectée comme officier en second sous les ordres du major Jackson « le chacal » Cable. Elle avait fini par le faire tomber pour ses trafics, selon la rumeur, mais cela lui avait coûté sa place au sein d’une unité combattante ; elle officiait aujourd’hui au bureau du personnel naval, au pentagone. Sa carrière serait néanmoins un succès, son père, le brigadier général du même nom, y veillerait sûrement. Bref, pour tirer quelques ficelles, Illiana Tereshkova était bien placée, le seul problème étant justement son intégrité à toute épreuve. Simon avait mis du temps avant de pouvoir inculquer au jeune et bouillant lieutenant quelques leçons de sagesse issues du terrain, il espérait que son influence modératrice serait toujours d’actualité.
Le sergent major Pelles rejoint le bureau prêté aux officiers de passage après l’heure du déjeuner, il y trouva le capitaine en train de travailler sur une pile de dossiers, avec son thermos de thé et un sandwich peu engageant.
_ Repos, sergent major.
_ Est-ce du thé russe, madame ?
_ Bien sûr, je vous en prie, servez-vous et prenez un siège, Driver.
Les débuts de l’entretient étaient prometteurs, Simon s’installa et se servit un gobelet de thé bien fort.
_ Tout ce travail serait à vous faire regretter le front, capitaine.
Elle lui sourit, cela évoquait quelques-uns des bon moments qu’ils avaient pu passer hors sol.
_ Sans aucun doute, comment allez-vous Driver ?
_ Ah, vous voulez parler de mes jambes ? Plutôt bien, j’ai presque regagné mon entière mobilité ; j’ai toujours l’air d’un crapaud sur le parcours du combattant, mais je travaille dur pour y remédier.
_ Vous avez fait l’actualité à San Drad récemment.
_ Bien malgré moi, je ne me souvenais pas que la Terre était devenu un endroit aussi dangereux.
_ Conseiller détaché auprès de Force Reconnaissance ? N’étiez-vous pas sensé être en convalescence à cette époque ?
Simon sentit que la conversation venait de prendre un autre tournant, le dossier dans les mains du capitaine était le sien… Ce serait bien son genre, d’essayer de gratter pour mettre à jour les magouilles de Fargo pour réintégrer le sous-officier blessé.
_ En tout cas, si je ne l’étais plus, certaines personnes ont eu tôt fait de m’y renvoyer madame.
_ Vous ne pouvez pas vous empêcher d’aller au feu tout le temps, hein sergent ?
_ Un marine est avant tout un soldat d’infanterie, madame ; de plus, j’ai apprécié de pouvoir essayer de venir en aide à un vieux camarade de Force Recon sous les ordres du colonel Fargo.
_ C’est vrai, vous avez servi sous les ordres du lieutenant colonel Fargo autrefois ; mais je m’étonne, vu son appréciation de l’époque, qu’il ait fait appel à vous pour une telle mission.
_ Le colonel et moi-même avons nos différents concernant la philosophie du Corps madame, mais nous n’avons jamais douté du professionnalisme des hommes et des femmes avec qui nous servons.
_ Enfin, je suis contente que quelqu’un ait reconnu votre professionnalisme, il eut été dommage de perdre le bénéfice de votre expérience de terrain, Driver.
_ Merci madame.
Elle referma le dossier, fixa ses yeux d’un bleu vif dans ceux de Simon puis finit par passer à un autre point.
_ Bien, vous vouliez donc que je rédige une lettre de recommandation pour le caporal Edwards ?
_ Si le capitaine l’estime légitime ; le caporal Edwards a été rendu à la vie civile de façon honorable, une recommandation de son officier supérieur serait d’une grande aide à sa reconversion.
_ Je sais que vous estimez le Duke, mais je me demande au vu de ses liens avec l’ex major Cable, s’il serait honnête de ma part de rédiger un lettre de crédit le concernant.
_ L’implication du Duke se limitait à chiper des informations et des périssables pour agrémenter le quotidien du major et de la troupe en général, il est de loin le moins coupable de nous tous.
_ Sous-entendez-vous que je me sois aussi rendue complice des activités illégales du major Cable ?
_ Permission de parler librement capitaine ?
_ Allez-y.
_ Bien malgré vous ; mais je vous ai expliqué à l’époque que, lorsqu’on se trouve seuls à des années lumières de la civilisation, tout peut arriver… Et surtout le pire. Le major Cable et certains de ses complices principaux, n’auraient eu aucun scrupule à organiser un accident mortel pour assurer leurs arrières… Heureusement pour nous, votre filiation vous rendait intouchable.