L’ancien Chinese Theater, un monument historique du temps où la ville s’appelait encore Los Angeles et où Hollywood avait dominé l’industrie du cinéma. L’endroit était en cours de rénovation, il allait devenir un musée.
Kurt se glissa dans la salle en empruntant une des passerelles techniques menant au balcon, si le ripoux et le sniper lui avaient tendu un piège, ils seraient postés là. Personne, Kurt continua sa progression, se rapprochant du rebord du balcon pour voir la salle en dessous. Au bout d’un moment, il repéra Gaines planqué dans un coin, derrière un pilier.
Il n’avait pas d’arme visible, peut-être attendait-il vraiment son contact ; peut-être que Catherine ne lui avait pas menti, qu’elle avait encore des sentiments pour lui, à sa façon. Kurt se mit en mouvement, il allait contourner Gaines et le surprendre, ensuite il attendrait l’autre à sa place.
Kurt resserra la sangle de son pistolet mitrailleur pour qu’il pende sans le gêner ou faire de bruit, puis il sortit son couteau et s’avança dans le dos de Fred Gaines… Il y aurait une sorte de justice poétique à poignarder cet homme dans le dos.
Les VPB se dispersèrent, lorsqu’ils furent en position autour du théâtre, quatre agents sortirent de chacun des véhicules, mettant en joue avec leurs fusils d’assaut les issues du bâtiment ; un VTOL orbitait haut au dessus du quartier et d’autres effectifs étaient en route.
Simon gara le Monstre à distance.
_ Essaye de récupérer la transmission de Kurt, tu ne bouges pas du camion, tu y reste bien enfermée surtout.
_ Ne t’inquiète pas, j’ai mon revolver, il y a ce fusil et un gros chien… Le tout dans un camion blindé, je devrais être en sécurité, non ?
_ C’est de toi dont je me méfie, pas de l’extérieur.
Il la quitta sur un sourire et se dépêcha de rejoindre les agents avant qu’un cordon ne soit dressé, traversant la rue, il s’arrêta surpris devant un agent de sécurité plutôt curieux.
_ Qu’est-ce qu’il y a ?
_ Vous avez vu, j’ai courru !
_ Ah…
_ Laissez tomber, est-ce qu’on sait si le fugitif Kurt Jenks est à l’intérieur du bâtiment ?
_ Je ne suis pas autorisé à vous dire ça.
_ On peut attendre l’arrivée des gars du SWAT, mais le plus vous m’en direz, le mieux je pourrai les aider.
_ Mais qui êtes vous ?
_ Sergent major Pelles, des marines ; le type à l’intérieur est un ancien de chez nous.
_ Je vois, vous êtes le consultant ; oui on nous a informé que le fugitif était là, il tient peut-être un des nôtres en otage.
C’était Hollywood, le district de Fred Gaines ; si Kurt devait y passer, Catherine aurait des explications à fournir. Mais à l’intérieur, les choses avaient pris une tournure toute autre… Kurt, la pointe du couteau tournée vers Gaines, se tenait immobile ; Gaines était menotté au pilier et un fil de contact courrait sur son entrave, relié à un engin explosif.
_ Salut, Fred… On dirait que tu t’es fourré dans un sale pétrin.
Gaines n’en menait pas large ; son crâne, aux cheveux coupés ras, saignait et il osait à peine bouger.
_ Pouquoi moi ?
_ C’est bien toi Fred, dans la merde jusqu’au cou et tu geins au lieu de te demander comment t’en sortir… J’aimerai vraiment que Catherine te voies à ce moment précis, macho-man.
_ J’ai rien à voir dans vos affaires, entre ce type et toi, toutes vos histoires d’hors-sol ça ne me regarde pas.
_ Mon bon vieux Fred, tu vois, je pense que je pourrai te sortir de là… Et puis avec tous tes copains là dehors qui attendent de me flinguer, ce serait sûrement une bonne idée.
_ Vraiment ?
_ Peut-être, je m’y connais en explosifs pour un faiseur de steaks… mais il faudra juste que tu répondes à une petite question, et c’est pour savoir si je peux te faire confiance alors sois honnête ; tu baisais ma femme depuis combien de temps alors qu’on étaient encore mariés ?
Gaines se mordit la lèvre, se demandant si l’homme en face de lui allait le tuer.
_ Quatre mois.
Kurt eut un rire teinté de lassitude, détaillant en fait les différentes partie de l'assemblage mortel d'électronique auquel était rattaché Gaines.
_ Tu vas m’aider ?
_ Non, j’ai menti… Tu vois ce truc, là? C’est un déclencheur de proximité, une application de la détection de mouvements, nous allons mourir Fred.
Le SWAT était en route, ils arriveraient au mieux dans dix minutes… Simon pesa le pour et le contre, se maudit intérieurement puis s’élança sur les marches menant au théâtre, poursuivi par les cris mécontents des agents du district Hollywood. Il n’avait aucune autorité valable pour faire ça et c’était une tentative sûrement vouée à l’échec, mais il était le seul type à pouvoir se tenir entre Gunner et les agents de la Securitas.
Le chantier avait une allure sinistre dans la pénombre, son 45 en mains, la casquette rangée dans sa poche, Pelles avançait prudemment, essayant de contrôler cet espace cauchemardesque… La voix distante de Gunner l’interpella.
_ Restes où tu es sergent !
_ Ca va Kurt, je range mon arme.
_ C’est pas vraiment le problème qu’on a ici.
_ Dis-moi tout Gunner, est-ce que Fred Gaines est avec toi ?
_ Oui, il est menotté à une bombe ; du Vec-tex, je dirai deux bon kilos ; il y a un module de détection des mouvements, je pense qu’il doit aussi y avoir une minuterie… Je l’ai trouvée, il reste six minutes… Elle a du s’activer quand je suis rentré dans son périmètre. Je ne resterai pas là si j’étais toi, deux kilos, il y a de quoi souffler tout le pâté de maison.
_ J’ai mon kit « screwdriver » sur moi Kurt, est-ce qu’on a une chance de se la faire à quatre mains ?
_ En temps normal, je te dirais peut-être ; mais je ne pense pas que Fred ou moi valions que tu prennes ce risque, alors aujourd’hui c’est non.
_ Je ne vais pas te laisser ici Gunner.
_ Je n’irai pas en taule ou chez les dingues, laisse tomber sergent ; faut que tu te fasses à l’idée que tu pourra pas me ramener à la maison cette fois-ci ; je suis aussi mort que Teddy Bear l’était.
Gaines hurla.
_ Ne l’écoutez pas, j’ai une femme, aidez-moi !
Il y eut un bruit mat, un gargouillis et il ne dit plus rien.
_ Qu’est-ce qui s’est passé Kurt ?
_ Rien, je me suis dit que tu aurai pu être tenté, alors j’ai rayé Fred de l’équation.
_ Tu l’as tué ? !
_ Il était déjà mort de toute façon.
_ On en est où maintenant ?
_ Quatre minutes trente, tu rendrais service à tout le monde en allant les prévenir que ça va faire boum.
_ Est-ce que tu sais qui est ce type qui t’a piégé, le sniper ?
_ Ah, tu es au courrant... Ce batard utilise ton nom à tort et à travers, tu sais ; il doit t'en vouloir. Caucasien, un mètre quatre vingt, plutôt élancé ; cheveux noirs en queue de cheval, je n’ai pas vu ses yeux, lunettes d’interface. La quarantaine, pas d’accent… Ca aide pas, hein ?
_ Pas des masses, Jimmy Dee a décrit le même type.
_ Cette petite ordure s’en est sorti vivant ?
_ Il va finir aux travaux forcés hors-sol.
_ Alors il y a une justice… Il faut vraiment que tu partes maintenant, me force pas à te tirer dessus pour t’encourager.
Il n’y avait vraiment plus rien à faire, Simon était déchiré par la frustration, sa totale impuissance face au sort qui était réservé à Kurt… Non, avant d’aller là-haut, Kurt Jenks n’était pas un mauvais gars.
_ Il y a quelqu’un à qui tu aimerai que je passe un message ?
_ Non, personne à part ce salaud de mercenaire… attend, il me revient un truc en mémoire, il avait fait des tas d’encoches sur la crosse de son fusil, tu l’as vue ?
_ Non, il l’avait changé et il a bousillé le fusil pour qu’on ne puisse pas l’identifier.
_ Fous le camp maintenant ! On a plus le temps.
_ Il y a juste un dernier truc que je dois te dire Kurt…
Il avait du mal à le dire, mais ce n’était pas le moment de prendre son temps.
_ Je t’ai pardonné, fils.
_ Semper fi, sergent.
_ Semper fi.
Simon se précipita vers la sortie, aussi vite que ses jambes artificielles pouvaient le porter ; comme elles semblaient lourdes et se déplacer avec réticence ! Le temps avait une consistance différente, l’air semblait plus pur et brûler les poumons à chaque inspiration, chaque pas était une épreuve insurmontable qui tirait des litres de sueur à l’homme dont la mort était sur les talons. Il se jeta l’épaule la première contre la porter, hurlant de toutes ses forces.
_ NE TIREZ PAS !
Les mains sur la tête, il dévala les marches comme un cheval au galop.
_ Il y a une bombe à l’intérieur, elle va sauter, tous à couvert !
L’onde de choc fut terrible, le bâtiment explosa, les vitres du quartier furent soufflées malgré leur conception anti-sismique en plastique intelligent, les VPB retournés sur le flanc ; Simon Pelles vola en direction d’un mur de l’autre côté de la rue. Il y eu un autre choc, tout était mou, le ciel gris ; Simon tendit son esprit vers Dieu avant de s’évanouir.
« C’est une sale habitude, seigneur. »