La Sentence écoutait avec satisfaction le debriefing de son patron, la mission San Drad était terminée ; la décision avait été prise ce matin, l’homme choisi par Père était à présent en place à la Securitas.
_ Bien major, il faut juste que je nettoie les dernières traces ; je prendrai le vol de 23h pour l’Australie.
Tout cela s’accompagnait d’un bonus financier non négligeable, voilà où allait la loyauté de Gilles Smith, un permis de tuer et de jolies sommes de blé… Tout le monde n’avait pas la chance de faire un métier passion, qui de plus payait bien.
Dans l’état des choses, les dernières traces menant au financier des Golden Boyz devaient être effacées ; la première partie était « clés en main » pour la Sentence, le Père avait prévu depuis longtemps comment supprimer le français… Mais pour Jenks, il faudrait arriver à l’isoler et le faire abattre par la Securitas ; la cible s’était montré prudente et pleine de ressources, il allait falloir la frapper au cœur. Avec les nouvelles entrées du Père à la Securitas, ce serait un jeu d’enfant.
Gilles Smith boucla son sac et se mit en route, ce serait une excellente journée.
On sonna à la porte de Catherine Gaines, elle ouvrit et un homme élégant en costume noir la salua, son badge annonçait qu’il s’agissait d’un membre du service de protection rapprochée de la compagnie.
_ Denis à votre service, madame.
_ Ca ne devait pas être Frank, aujourd’hui ?
Entrant sans y être invité dans l’appartement, l’homme lui adressa un clin d’œil et un sourire dangereux.
_ Frank est « malade », n’ayez pas l’air aussi déçue, vous ne perdez pas au change Catherine.
Ce n’était pas une armoire à glace, athlétique mais élancé, il était surtout gracieux, précis dans ses gestes… Et voir un agent de la Securitas avec une queue de cheval, c’était assez inhabituel, et intéressant.
_ Alors c’est ici que Fred habite…
_ Vous connaissez Fred ?
_ Oh, juste comme ça, relations professionnelles ; vous savez ce que c’est.
Il vérifia une à une les pièces.
_ Ca m’a l’air bien sécurisé, vous avez une arme Catherine ?
_ Oui, dans le tiroir de ma table de chevet, celles de Fred sont dans le coffre mural.
_ C’est bien d’être prudents, je peux utiliser votre omni ? Je dois passer un coup de fil.
_ Allez-y, je vais nous faire du café pendant ce temps.
Caïn décrocha le téléphone, il n’y eut rien, puis un bruit semblable à celui de ces très vieux modems du vingtième siècle… Il raccrocha et se rendit auprès de son employeur.
_ Bernard ?
_ Qu’est-ce qu’il y a Caïn ?
_ Père vous dit bonjour.
L’arrière salle du Blackpool était devenue un véritable campement ; la grande Alice s’était faite charcuter par un praticien assez louche, la jambe immobilisée, elle se morfondait à présent sur un des canapés.
Le dénommé Kurt était aussi resté planqué, bricolant régulièrement sur le black box de Lena alors qu’elle n’avait plus le droit d’y toucher. Elle tapait un billard ou jouait à un jeu vidéo avec un des gars de temps en temps, on lui amenait tout ce qu’elle pouvait vouloir, mais elle n’en restait pas moins prisonnière. Ecrasée d’ennui, elle s’approcha de l’omni pour regarder ce que faisait Kurt ; il lui jeta un regard suspicieux et elle haussa les épaules.
_ Promis je ne touche à rien, je me fais chier comme un rat mort dans votre palace, c’est tout.
_ Je ne suis pas un Gentil Organisateur ma grande.
_ Pousse pas, c’est tout de même à cause de toi si on en est là… Moi je n’avais rien demandé à personne, et on ne t’a pas forcé à vendre des armes.
Elle était furieuse, il ne l’impressionnait pas, Alice ne le laisserai pas la cogner de toute façon ; elle les observait du coin de l’œil. Kurt retourna à ses affaires, Lena le regardait faire ; il se débrouillait avec un omni. Pour l’instant l’homme avait pénétré un réseau touffus de sites commerciaux, cherchant sûrement une boîte postale sécurisée ou un entrepôt de données qui devait être caché en son sein. Lena alluma le module de lecture du code et mit quelques minutes avant de repérer une anomalie dans le motif.
_ Sacré boulot.
_ Tu as l’air de t’y connaître môme, moi je ne fais qu’utiliser comme on m’a appris à le faire.
_ Plus sérieusement, qu’est-ce que tu compte faire pour réparer ce merdier ? Je n’ai pas envie de passer le reste de ma vie coincée ici.
_ Seuls des indics à l’ancienne peuvent nous rencarder sur le type qui est derrière tout ça, c’est un étranger en ville, les gars des gangs arriveront forcément à le trouver. En attendant je regarde si mon patron n’a pas essayé de me contacter.
_ Pfff, j’aurai du écouter Simon au lieu de me laisser embarquer dans cette histoire.
_ C’est un mantra que je connais bien ; le sergent Pelles a toujours raison, le sergent Pelles est toujours du côté de la justice, costaud et moralement irréprochable ! C’est sûr que c’est un sacré sous-officier, mais en tant qu’homme on peut se poser la question ; si tu comptes rester dans son entourage, prends bien garde à ne pas le décevoir… Par ce que le sergent Pelles n’a pas le pardon facile.
_ Je ne comprends rien à vos trucs de bidasse de toute façon. Sans blague ! Vous êtes là avec votre regard noir, drapés dans votre silence, et vous attendez du reste du monde qu’on vous respecte pour ce qui vous est arrivé hors-sol ; mais on était pas là-haut avec vous, et si vous ne nous expliquez pas, on ne risque pas de comprendre.
Elle n’avait pas tort, peut-être qu’il n’en serait pas arrivé là s’il n’avait pas tenu Catherine en dehors de ce monde-là, des ombres dans sa tête, des raisons de sa souffrance. Mais comment dire aux gens que vous aimez, que vous n’êtes pas ce grand type sympa qu’ils s’imaginent ? Comment leur dire que vous ne supportez pas votre propre reflet dans la glace, par ce que c’est celui d’un tueur ? Peuvent ils comprendre que la moindre pétarade vous projette au sol ? Que la vue du sang vous révulse ? Que même quand tout va bien, des cauchemars viennent vous visiter en plein milieu de la nuit ?
_ Pour ce que ça vaut, je suis vraiment désolé de qui a pu t’arriver par ma faute… J’étais pas comme ça avant de revenir de là-haut, il y a juste certaines souillures qui ne se lavent jamais complètement.
_ Ok…
Elle ne savait pas quoi lui répondre, elle ne le connaissait pas et doutait de jamais vraiment pouvoir lui pardonner la mort de sa meilleure amie. De son côté il tourna rapidement la page alors qu’un message était arrivé sur sa boîte de réception. Lena regarda le code, ce n’était pas un cryptage, plutôt un virus… Un Sioux de version très avancée, il effaçait en temps réel ses traces ; il se détruirait probablement à la fin de la lecture.
Le visage d’une belle femme aux cheveux colorés apparut sur l’écran, Lena put saisir sur celui de Kurt une pointe de surprise et de bonheur qui furent rapidement écrasés par la méfiance, cette femme avait du lui faire du mal.
_ Kurt.
_ Comment as-tu eu cette adresse Cat ?
_ Ton ami Simon Pelles, il m’a mise en contact avec des gens.
_ Ecoute, tout ça… Je sais que tu t’en fous mais j’ai été piégé d’accord ?
_ Ne dis pas ça, tu sais bien que je m’inquiète pour toi.
_ Tu ne devrais pas, pas plus que tu n’aurai du entrer en contact avec les gens qui t’ont donné cette adresse… J’ai l’habitude des situation dangereuses, je m’en sortirai bien.
_ C’est ce que m’a expliqué ton ami… mais je devais te dire quelque chose d’important.
Kurt jeta un regard à Lena qui l’envoya à l’autre bout de la pièce, il voulait son intimité.
_ Qu’est-ce qui se passe Cat ?
_ C’est Fred, quelqu’un lui a dit qu’il te trouverait dans le parking… Je pense qu’il veut te tuer ; il y a ce type sinistre qu’il doit rencontrer.
_ Catherine, est-ce que c’est Fred qui t’a dit de m’appeler ? C’est un piège ?
_ Tu aurais tes raisons de ne pas me croire, je sais que je n’ai pas toujours été très honnête avec toi Kurt… Mais il me fait peur.
Et dans son expression, la peur était bien présente.
_ Dis moi où et quand, je m’occupe du reste.
La Sentence coupa l’émission de l’omni-home et applaudit doucement d’une main contre la crosse de son pistolet.
_ Bluffante, on dirait que vous avez fait ça toute votre vie… Vous n’avez pas regardé dans ma direction une seule fois. Et puis vous n’avez pas jouée la carte du chantage sentimental, il l’aurait tout de même vue venir celle-là.
_ Vous êtes un salaud.
_ Vous dites ça pour la forme, Catherine. Mais vous n’aviez plus l’usage de ce mari-là de toute façon, alors sauver l’actuel et surtout votre vie vaut bien la peine d’un petit sacrifice ; voyez ça comme du recyclage ! Soyez bien gentille à présent, si vous voulez revoir Fred en vie, vous attendrez que je vous le renvoie… Si vous contactez la Securitas et que vous leur parlez de notre petit rendez-vous, je devrais le tuer, lui aussi. Pour être sûr, j’ai neutralisé votre omni et vos ordinateurs bracelets ; l’assurance couvrira tout ça, très bon régime d’assurance l’affiliation Securitas, vous avez bien choisi votre second mari, Cat. Au revoir.
Smith sortit de l’appartement, verrouillant la porte derrière lui ; puis il grimpa jusqu’à l’étage supérieur et s’installa sur le balcon du puits de lumière. Dépliant ses lunettes de soleil, il sortit un livre de poche, objet très rare, et se mit à bouquiner.
Moins de dix minutes après, ayant utilisé un double des clés, Catherine Gaines sortit et se précipita chez ses voisins.
_ Et on se demande pourquoi je ne me suis jamais marié… Elle fera un très belle veuve Gaines, la garce.
L’homme referma son livre et se dirigea vers le complexe associatif; les infos retransmettraient tout, alors autant assister à la fin de Kurt Jenks confortablement installé devant une bière bien fraîche.