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Dragon

Simon s’éveilla en sueur, paniqué et nageant dans une vague sensation nauséeuse.

_ Ca devait être un sacré mauvais rêve.

Francis était assis, en bas de tenue de rue et en débardeur ; cigarette aux lèvres et mine fatiguée ; hormis eux, la salle de repos était vide à cette heure-ci de la nuit.

_ On appelle ça « chevaucher le dragon », ça arrive à tous les combattants, c’est le stress post-traumatique… Parfois, la peur ou la culpabilité viennent bien après les faits ; parfois l’adrénaline est si forte que tu passes en pilotage automatique et les souvenirs conscients de ces moments, ne te reviennent que bien plus tard, sous forme de cauchemars.
_ Bonne expression, je m’en souviendrai… J’ai quelques uns de ces monstres cachés dans mon placard aussi, c’est inévitable. Mon truc, tu t’en doutes, c’est la bonne vieille culpabilité chrétienne.
_ On pense à tous ces gosses qui ont été renvoyés à leurs familles dans des sacs, à cause de nous.
_ Quand notre seigneur a gravé dans la pierre « tu ne tuera point », il ne plaisantait pas Simon.

Pelles trouva ses jambes très rigides ; se redressant il activa la commande manuelle de détente située à l’articulation pour pouvoir s’asseoir dans une position naturelle.

_ Elles bougeaient d’une drôle de façon, quand tu dormais encore.
_ Ce nouveau logiciel est sensible, ça me facilite beaucoup la « prise en main ».

Simon se massa le bas du dos, il avait beaucoup forcé sur ses muscles et marché sans l’aide de sa canne… Il commençait à en payer le prix, des taches noires dansant dans son champ de vision.

_ Tu devrais vraiment arrêter d’être paranoïaque et prendre tes cachets.
_ Je ne veux pas prendre le risque de devenir accro à ces trucs.
_ Si tu suis les prescriptions, ça ne devrait pas arriver ; moi je crois plutôt que tu te fais ton propre petit chemin de croix personnel Simon, purification par la souffrance, c’est très malsain.

Il n’y avait rien à répliquer, si Simon ne croyait pas en la psychanalyse, il ne pouvait pas mettre en doute l’avis de son confesseur et de son ami.

_ Récemment, j’ai lu un article dans la presse ; son auteur est un gosse qui a servi dans mon peloton lors de mon dernier tour. Pour sauver la vie de ce petit imitateur d’Hemmingway, j’ai pulvérisé du Napalm enflammé sur une gamine de dix ans, qui courrait vers lui avec une boîte à chaussures… Et aujourd’hui il se permet d’écrire sur la morale et sur la barbarie, dont nous avons fait preuve durant cette campagne. Des soirs je m’imagine dans un jardin d’enfant, avec des tas de gosses qui jouent ; puis tout d’un coup j’ai un lance-flammes dans les mains et je les brûle tous, ils ne peuvent pas s’enfuir car il y a un grillage autour du parc. C’était mon « dragon » de ce soir.

Il avait la bouche sèche, comme ce jour-là dans l’atmosphère ionisée de la colonie chinoise… Il n’arrivait pas à se sortir de son cauchemar. Francis le regardait en silence.

_ Ca va ?
_ Non, j’ai envie de boire.

Ce n’était pas la soif, c’était l’envie de sentir un liquide brûlant lui râper la gorge, le réchauffer et emporter dans la brume tous les souvenirs de cette journée.

Simon récupéra sa casquette et se leva.

_ Je vais me trouver un bar, tu viens ?
_ Ce qu’il te faut, c’est un café bien fort, pas un whisky.
_ Merci de conseil, mais j’ai une adresse à essayer… Le Whisper, tu vois où c’est ?
_ Pas loin de l’enfer, chantier de la nouvelle aile de l’astroport ; rade à mercenaires… Ne va pas là-bas tout seul, et encore moins dans cet uniforme.
_ Ne t’inquiète pas Obi-wan, je laisserai mes droïdes à la porte.

Francis se leva, écrasant sa cigarette dans un cendrier en aluminium.

_ Accompagne moi au vestiaire, on devrait pouvoir te trouver au moins une chemise.

Le monstre s’arrêta sur la zone dégagée servant de parking au Whisper, étrangement, il faisait plutôt couleur locale au vu des autres véhicules blindés ou lourdement customisés présents devant le bar. Des projecteurs éclairaient la zone sablonneuse, et au moindre coup de vent on mangeait de la poussière comme dans un western. Le bar lui-même était un gros bâtiment préfabriqué, seule son enseigne discrète le différenciait de tous les autres locaux du chantier d’Aerotech.

Francis était en civil, Simon n’avait eu qu’à changer de chemise pour faire de son treillis et ses rangers des vêtements passe-partout ; tous les deux avaient emmené leur pistolet, mais ici c’était presque obligatoire afin de passer la porte. Il n’y avait pas de portier, la clientèle garantissait elle-même l’absence d’échauffourées « sérieuses » ; les bagarres étaient tolérées tant qu’on s’en tenait à la mutilation « bon enfant », aux cicatrices décoratives et qu’aucune arme à feu n’était brandie.

Il était tôt le matin, dans la salle enfumée, la grande matrice murale était branchée sur une chaîne sportive, alors qu’un moniteur au dessus du bar semblait réservé aux infos et au cours de la bourse. Du reste, il n’y avait pas de photographies aux murs, juste quelques trophées et souvenirs exotiques en provenance des colonies.

Les deux hommes s’installèrent au bar, sentant les yeux des différents clients les analyser. Le barman s’approcha, Simon jeta un sifflement admiratif devant le choix éclectique disposé devant lui.

_ Je vous sers ?
_ Blackbush double sec.
_ Café.

Le type ne fit aucun commentaire, se contenta de servir ses clients qui réglèrent comptant et cash ; puis devant le regard insistant du client blanc, le barman entama la conversation sans enthousiasme.

_ Première fois que je vous vois ici.
_ Jamais eu besoin de venir jusqu’à aujourd’hui.
_ Et qu’est-ce qui vous amène ?
_ Je cherche un vieux frère d’armes, Gunner Jenks.
_ Désolé, connais pas.

C’était la réponse automatique, celle qu’on sert aux flics et aux journalistes ; il fallait s’y attendre. Simon sortit lentement son arme, enleva le chargeur et fit sauter la cartouche présente dans le canon ; puis il posa l’arme et la balle sur le comptoir. Tout du long, le barman ne parut pas plus impressionné que devant un paquet de cigarettes.

_ J’ai besoin de high vees et il faut que je laisse un message pour Kurt ; il doit contacter Pelles ASAP.

_ Pour les HV’s, parlez à Caïn, à l’étage.

Simon remit le chargeur en place et rangea son arme au creux de ses reins, puis il posa un billet supplémentaire à plat sur le comptoir.

_ Merci.

Simon détesta grimper cet escalier de fortune, Caïn ne fut pas difficile à trouver, il portait son nom sur son visage ; un homme dur, à la peau pâle et aux vêtements aussi noirs que ses cheveux. Francis était resté au bar en couverture, il espérait avec impatience la fin de cette improvisation car il imaginait transpirer la peur.

_ Vous êtes Caïn ?
_ C’est exact.
_ Je cherche des munitions calibre 45 à haute vélocité.
_ Et qui vous a dit de venir me voir ?
_ Le barman, à l’origine je comptais rencontrer Kurt.
_ Vous ne devez pas souvent regarder les informations.
_ Les mêmes infos qui ne font état d’aucun conflit dans les colonies ?
_ Nous ne sommes pas vraiment des détaillants, je doute que vous ayez des affaires à faire avec nous.
_ Ca doit être une double méprise alors, par ce que je n’ai rien d’un petit joueur monsieur Caïn… Je représente des gens très irrités par l’apparition de leurs biens dans votre chargement saisi par la Securitas.

L’homme à l’allure fantomatique resta de marbre, ses yeux plongés dans ceux de son interlocuteur… Un instant, Simon crut avoir Dawn en face de lui, dans ces moments où elle jouait les voyantes pour amuser les gars du peloton… Observation et recoupement, aucune magie là-dedans. Simon adopta une position similaire à celle de son interlocuteur, puis posa sa question tout de go.

_ Vous êtes un synthétique, pas vrai ?

Cette fois-ci, la remarque fit sourire, chose déplacée sur son visage, le dénommé Caïn.

_ Encore exact, finement observé quoi que je sois déçu que vous ayez réussi à me distinguer d’un biologique.
_ Votre employeur doit avoir de sacré moyens, vous êtes au moins un A4, j’aurai repéré un modèle A3 dès le début de notre conversation.
_ Mon employeur a des moyens, tout comme le votre j’imagine car il m’est apparu que vous ne mentiez pas ; je peux arranger une entrevue, mais qui êtes-vous ?
_ Sergent major Pelles, USMC.
_ Et qu’est-ce que le gouvernement américain pourrait bien vouloir à mon employeur ?
_ Lui poser quelques questions à propos d’un de nos hommes et d’un fusil qui n’aurait jamais du se trouver dans le camion saisi par la Securitas.
_ Retournez au bar sergent, prenez un verre sur le compte de la maison et je vais voir ce que je peux faire.

Simon rejoint Francis au bar, faisant signe au barman de remettre la même chose.

_ Alors James Bond, comment ça s’est passé ?
_ Au poil, cet endroit n’est pas la rue, ils écoutent ce que tu as à dire avant de tirer.
_ Qu’est-ce que nous faisons là, d’ailleurs… Je veux dire, vraiment ?
_ On fait comme nos clients, on prend des libertés avec les règles.
_ Je n’aime pas ça, Simon.
_ Et je t’en remercie d’autant d’être venu pour couvrir mes arrières Francis.
_ Milo s’est fait tuer par ce qu’il a fait cavalier seul, je ne laisserai pas la même chose t’arriver.
_ Si tu avais été dans ce véhicule de patrouille avec lui, tu serai mort et il n’y aurait eu personne pour m’empêcher de raser la ville au bulldozer jusqu’à ce que je mette la main sur le responsable.
_ Qu’est-ce que tu veux dire ?
_ L’histoire du lance-flammes n’est qu’un de mes dragons amigo, il faudra que je me démène pour mériter mon ticket d’admission au paradis.

Simon finit son verre, le whisky coulait juste comme il faut, après la première gorgée il se changeait en une sorte de réglisse liquide… Caïn sortit de la porte menant à l’arrière-salle et s’approcha des deux hommes.

_ Avez-vous faim, monsieur Pelles ?
_ Refuser une invitation serait impoli.
_ Votre ami reste ici, je prends votre arme.

Simon lui tendit le colt poignée en avant, Caïn devait être un sacré morceau de technologie, il l’avait scanné de la tête aux pieds sans en avoir l’air et savait exactement qu’il n’avait que cette arme sur lui… de même qu’il avait sûrement repéré l’arme de Francis et identifié l’agent de la Securitas. Il conduisit le marine jusque dans la cuisine où un homme fort et en robe de chambre sortait de la nourriture depuis des placards en bois. Avec un accent français qu’il ne s’ennuyait même pas à dissimuler, le vieil homme invita Simon à s’asseoir à la grande table.

_ Quand je me réveille en pleine nuit, je me fais toujours un petit encas ; et vous ?
_ Un verre d’eau me suffit la plupart du temps, pour les cas plus difficiles, je mise sur le whisky.
_ Vous êtes anglais, je croyais que les anglais buvaient du thé.

Simon sourit, essayant de cacher sa stupeur… il ne pensait plus avoir d’accent depuis bien longtemps, ce type avait du se renseigner sur lui alors.

_ Je n’ai qu’un mauvais whisky pour flamber dans les cuisines, il faudra vous contenter de vin monsieur Pelles.
_ C’est parfait.

Le vieil homme déposa différents plateaux sur la table, de la charcuterie, du pain, du fromage et des fruits ; il s’installa et servit du vin dans des ballons.

_ Servez-vous.

Simon ne se fit pas prier, la nourriture avait l’air d’origine naturelle, et de qualité ; après une bouchée de chèvre frais et une gorgée du vin rouge aux accents rocailleux ; le marine remercia son hôte.

_ Excellents produits, je n’avais pas eu la chance d’en goûter depuis New Ghandi.
_ Je vois, vous étiez donc là-bas vous aussi ?
_ Oui monsieur.
_ L’Amoureux, Bernard L’Amoureux… Ne cherchez pas, le nom ne vous dira rien, j’en avais un autre à l’époque.

Ils continuèrent à manger un moment, puis L’Amoureux fit une pause avec un air amusé, il nettoya ses lunettes et considéra Simon un moment.

_ Alors monsieur Pelles, qu’est-ce donc que vous cherchez chez moi ? Et pitié ne me sortez pas votre histoire de balles de pistolet… Je ne suis pas un épicier.
_ Quelqu’un a saboté un de vos deals et piégé Kurt Jenks, amenant à toutes les parties concernées un tas de mauvaise publicité. Je veux aider Kurt et retrouver le responsable.
_ Le problème monsieur Pelles, c’est qu’il y a ce que VOUS voulez, et ce que votre gouvernement veut.
_ C’est devenu une affaire officielle, j’exprime la volonté de mon officier supérieur.

Bernard l’Amoureux avala une bonne gorgée de vin rouge, puis comme s’il craignait d’être entendu, se mit à parler plus bas.

_ Je me suis renseigné et je crains malheureusement que le serpent ne se morde la queue monsieur Pelles … Voyez-vous, celui que vous cherchez est l’un des vôtres. Croyez-moi, j’aurai normalement répondu à une provocation comme celle du parking souterrain avec fermeté, mais pour cette fois, je vais passer ma marchandise et mes employés perdus dans la rubrique « pertes & profits » de mon livre de comptes.
_ Soyez plus clair monsieur L’Amoureux, vous parlez d’un autre marine ?
_ J’admire la loyauté qui existe entre vous et votre ami Jenks, j’ai d’ailleurs fait la promesse à Kurt que vous ne seriez pas embêté… Pour cette raison, je vais vous donner un avertissement gratuit monsieur Pelles. C’est une partie pour gros joueurs, retirez vous tant qu’il en est encore temps.
_ Je ne suis pas sûr que nous nous comprenions monsieur L’Amoureux, si vous me menacez, vous faites quelque chose de stupide. Honnêtement vous ne me faites pas l’impression d’un homme stupide, alors éclairez-moi encore un peu.
_ Votre enquête était finie avant même de commencer, votre hiérarchie rappellera bientôt ses chiens ; tout ce merdier n’est autre qu’une opération des vos propres barbouzes.

Tout d’un coup, Simon avait perdu l’appétit.

_ Merci pour l’encas monsieur L’Amoureux, désolé de vous avoir réveillé en pleine nuit.

Simon sortit, Caïn lui rendit son arme. Amer, le marine donna une tape sur l’épaule de Francis, il était temps de rentrer chevaucher le dragon… La matrice derrière le comptoir diffusait un flash d’informations, l’actuel directeur de la Securitas venait d’être rappelé au siège social de Stockholm ; un manager de crise, du nom d’Ayao Hiroshi, avait pris sa place à la tête de la branche Nord-Américaine de la compagnie.

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