Le sergent major Pelles se trouvait dans un ensemble de bureaux modulaire, qui avait été emménagé pour les investigateurs affectés à la traque du fugitif. Le colonel Fargo était penché au dessus d’une matrice affichant la carte de la ville, il tentait à partir des points de rencontre précédents (et présumés) entre Jenks et les agents de la CRU, d’établir un possible couloir de retraite vers lequel diriger les recherches.
Simon pour sa part, préférait s’intéresser au fond de l’affaire, il avait demandé à visionner les enregistrements des CRU lors des interventions, premier clash, les deux fois, les enregistreurs semblaient avoir subi une panne… Il avait voulu voir le détail de la saisie, et là, le détail lui avait sauté aux yeux. Il demanda à voir la pièce à conviction 114, un fusil de précision M10-A2 d’un noir lustré.
_ Colonel, pouvez vous venir voir, je vous prie ?
L’officier abandonna à regret sa carte et suivi des investigateurs, approcha de la table où Pelles examinait l’arme.
_ Un fusil de précision semi-automatique de dix millimètres, haute vélocité et à contrôle de détonation ; ce modèle lourdement modifié d’Ares SWS troisième génération n’est fabriqué qu’en très peu d’exemplaires par les armuriers de la base des marines de Quantico ; utilisé par les tireurs d’élite du SSP et de Force Reconnaissance, il porte la dénomination officielle M10-A2.
_ Nous savons cela sergent, venez en au fait.
_ La crosse, colonel, la crosse de cette arme est neuve ; c’est une pièce d’Ares SWS et non de M10-A2.
_ Et alors ? Jenks aurait bien pu la changer.
_ Jenks n’était pas un tireur d’élite, mais il n’était pas stupide non plus ; prenez en compte sa taille et son poids, vous verrez que la butée de cette arme n’est pas réglée pour lui, d’ailleurs, je ne serai pas surpris qu’elle soit encore à sa spécification d’usine.
Fargo avait pataugé dans le bourbier plus d’une fois, c’était un soldat très compétent à défaut d’être un homme exemplaire ; il savait comment un de ses marines aurait configuré son arme, et ce n’était pas de cette façon. Le silence régna un instant, finalement interrompu par un des investigateurs.
_ Nous n’avons trouvé aucune empreinte sur l’arme, les numéros de série sont effacés, les puces ont toutes été retirées ; ne peut on pas en conclure qu’il comptait revendre cette arme, car elle était « trop chaude » suite à l’embuscade pour laquelle elle a servi ?
_ Peut-être, mais est-ce que quelqu’un a comparé les empreintes des balles trouvées dans les corps des quatre agents avec la base de données balistique des marines ? Si le tireur n’a pas rayé son canon, et je ne pense pas qu’un tireur d’élite prendrait le risque de fausser son arme de cette façon, nous pourrons identifier cette arme.
_ Je vais lancer cette requête, on pourra peut-être remonter leur réseau ; l’ATF et le NCIS seront sûrement très intéressés.
Le colonel n’aimait pas vraiment la direction que prenait la discussion, mais c’étaient aussi ses conclusions ; il essaya néanmoins de ramener le sujet sur la traque du fugitif.
_ Sergent, nous sommes ici pour neutraliser Kurt Jenks, laissez donc cette enquête aux agents de la Securitas.
_ Excusez moi colonel, mais un des quatre agents que cette arme a abattus était mon ami.
Les investigateurs ne soufflèrent mot, mais Simon savait qu’il les plaçait ainsi de son côté ; l’un d’eux consultait ses notes.
_ A ce propos sergent, Francis Greene m’a confié que ce trafic pourrait être lié à l’approvisionnement en armes de guerre du gang des Golden Boyz.
_ Je ne serai pas surpris, si les numéros de série de certaines armes trouvées dans le camion de Jenks, correspondaient au même lot, que ceux des armes saisies lors de la perquisition qui a suivie mon agression.
Le puzzle s’assemblait, Simon commençait à comprendre la raison qui avait poussée Kurt à refaire surface dans sa vie, au centre médical, toujours la culpabilité… Ca ne devait pas être facile de vivre avec tout ça sur ses épaules, mais c’était le résultat de ses choix, Kurt devait l’assumer. Tout ce que Simon pouvait faire pour lui, était essayer de s’assurer que Kurt soit pris vivant, et ça ne semblait pas vraiment être à l’ordre du jour.
Le lieutenant colonel Fargo se pencha à nouveau sur la carte.
_ Sergent, à votre avis ; son prochain mouvement ?
_ Je dirai qu’il va chercher à se ravitailler, tout en s’écartant de la zone des recherches.
_ Ou bien tenter de nous devancer…
_ Le colonel pense que le fugitif a un objectif précis ?
Fargo afficha un air surpris.
_ Evidemment, essayer de tuer l’agent Gaines ou bien se rapprocher de sa femme.
_ Gaines ?
Les deux marines échangèrent des regards d’incompréhension…
_ Fred Gaines, l’agent de la Securitas avec qui l’ex-femme de Jenks s’est remariée ; l’homme que vous avez prévenu sergent, c’est par lui que votre nom est ressorti dans cette affaire. Avec vos indications, il a pu effectuer la saisie d’armes qui a mené à la fuite de Jenks.
Simon sentit ses entrailles se nouer, son visage devînt un masque dur et il appuya ses deux mains sur la table.
_ Colonel, je n’ai jamais contacté ce Fred Gaines… Et entre nous, j’aimerai bien avoir une discussion avec ce monsieur s’il prétend le contraire.
_ Allez-y sergent, faites vite.
Guidé par un des investigateurs, Simon traversa les couloirs pour rejoindre la salle où les CRU étaient débriefés… Il était furieux, sa canne touchait à peine le sol pour rythmer sa marche, ses nouvelles jambes avançaient d’elles-mêmes comme les fameuses bottes de cette chanson de Jefferson Airplane. La porte s’ouvrit sur un groupe d’agents de sécurité en train de prendre un café dans une sale de repos.
_ Lequel d’entre vous est Gaines ?
Un type plutôt costaud se leva, crâne rasé et de taille moyenne ; dans son regard, Simon lut quelque chose de mauvais, il connaissait ce genre d’hommes.
_ Il faut qu’on parle, en privé.
Le ton était agressif, la tension figea la salle… Gaines devait se trouver supérieur quand il arborait son uniforme, et il n’était pas habitué à ce que celui d’en face en ait un aussi. L’investigateur, supérieur hiérarchique des agents leur fit signe de sortir.
_ J’assiste à l’entretient, sergent.
_ A votre guise.
L’homme referma la porte, ils n’étaient plus que tous les trois ; Simon resta debout.
_ Asseyez-vous Gaines, est-ce que ma voix vous est familière ?
_ Je devrai vous connaître ?
_ Certainement, vu que vous prétendez que c’est moi qui vous ai servi Kurt Jenks sur un plateau.
_ C’est vous Pelles ? Sûr, votre voix est différente au téléphone.
_ Normal si on considère que ce n’est pas moi qui vous ai téléphoné, maintenant j’aimerai que vous me répétiez ce que cet imposteur vous a dit.
_ Que Kurt était un psycho, enfin ça on le savait déjà… Et qu’il voulait me flinguer, c’était sérieux.
_ Vous ne seriez pas ressorti vivant de ce parking, si ça avait été le cas, Gaines… Mais j’imagine que le fait que vos enregistreurs soient tombés en panne n’a rien à voir avec le fait que vous partagiez la même femme, Kurt et vous.
Gaines se leva droit comme un I, menaçant… Simon sentait le chien méchant caché sous cette peau d’homme, il avait envie de le cogner.
_ On partage rien du tout, votre petit pote est un looser Pelles, Cat est ma femme maintenant… Et son ex tueur de flics finira par avoir ce qu’il mérite. Vous croyez vraiment que vous m’impressionnez avec vos médailles ? Vous êtes un boiteux, votre pote un cinglé ; ici c’est le monde réel, la frime ça suffit pas.
C’était trop, Simon disjoncta ; attrapant le doigt que Gaines tendait vers, lui, il tordit et toutes les articulations suivirent ; Gaines se plia et tomba à genoux, Simon respira un grand coup et s’arrêta à temps pour ne pas lui casser d’os, il maintînt la pression et baissa les yeux sur Gaines.
_ Je n’ai rien à carrer de vos histoires de lit, Gaines ; pas plus que de votre opinion sur la guerre dans les colonies ou ceux qui la font. Vous êtes très chanceux que Kurt Jenks vous trouve trop insignifiant pour vous en vouloir, lui comme moi avons rencontré des tas de types dans votre genre, là-haut… Et ils ont tous fini de la même façon, ils sont tombés sur plus méchant qu’eux.
L’investigateur se rapprocha, et Simon relâcha la pression sur la main de Gaines.
_ Que votre molosse nous donne toutes les infos pour remonter jusqu’à l’émetteur des faux appels… Et sortez le de la rue, lui et ses copains les vengeurs masqués se sont déjà fait assez de mal comme ça. Contre un adversaire bien entraîné et bien armé, il vous faut des spécialistes.
_ On les a, je m’occupe du traçage téléphonique et je vous rejoins en salle de réunion, sergent.