Gilles Smith poussa la porte du bureau de recrutement avec un sourire d’ironie… Il était bien content que les marines l’aient fichu à la porte, cela lui avait ouvert de nouvelles possibilités. Le sergent de permanence débitait ses mensonges patriotiques à de la chair fraîche, la sentence se servit un café et fit mine de feuilleter des brochures ; un môme assis dans le couloir lui jetait des regards, essayant d’établir le contact.

_ Qu’est-ce qu’il y a, tu veux ma photo ?
_ Excusez moi monsieur, je viens m’engager… Vous aussi ?
_ J’ai tellement fait de frigo le bleu, que j’en ai encore froid au fondement parfois ; alors tu veux aller ramper dans la boue à San Diego ?
_ Oui monsieur, je voudrais devenir tireur d’élite, comme dans la brochure.
_ Le plus beau métier du monde, tu as une bonne vue ?
_ Dix dixièmes, et je suis déjà un bon tireur.
_ Tu sais ce qu’on dit petit, l’arme la plus redoutable du monde, c’est un marine et son fusil.
_ Oui monsieur !
_ Il n’y a rien de plus bandant que de faire sauter la tête d’un coco à six cent mètres… Tu l’alignes, tu le suis, tu bloques ta respiration et en une simple pression de détente, tu projette sa cervelle à plusieurs mètres à la ronde. Ah, rien que pour ça je retournerai bien faire un tour dans ces satanées colonies !

Le gosse était blême tout d’un coup.

_ Mais je te rassure, la plupart du temps tu as le droit de jouer un peu avec eux ; tu prends l’homme de pointe, tu lui fais exploser la rotule, puis tu le cribles de balles pour le faire hurler, jusqu’à ce que ses copains se décident à sortir de leur trou pour le secourir ; et là, c’est comme du tir de foire ! Et il faut les voir ramper, c’est simplement hilarant.

Le gosse prit la porte sans un mot, Smith sourit en finissant son café, toujours une place de gagnée dans la queue. Le sergent fit signer le môme puis tourna son attention vers la sentence, moins enthousiaste car il se doutait bien que ce n’était pas un client.

_ Je peux vous aider ?
_ Bonjour sergent chef, oui je voudrais retrouver la trace d’un frère, je me suis dit que vous pouviez peut-être m’aider ; tenez c’est sa photo.
_ Vous étiez dans quelle unité ? Ca faciliterait les recherches.

Le gars avait menacé Jimmy Dee à propos de Pelles, ça valait le coup d’essayer.

_ Force reconnaissance, premier détachement.
_ La crème, de la crème.
_ Peu, mais fiers !

Le sergent se détendait, sachant qu’il rendait service à un autre marine.

_ J’ai votre copain, Kurt Jenks ; dernière adresse connue : résidence Wall Mart services, troisième étage, appartement 7… Le courrier nous a été retourné, on l’envoie à son ex femme à présent.
_ Vous pouvez me donner son adresse ? Vous savez, je dois la vie à Kurt.
_ Catherine Gaines, résidence Securitas, bâtiment Kennedy, cinquième étage, appartement 12.
_ Merci sergent, semper fi !
_ Semper fi, frère.

Gilles fit un beau sourire au recruteur et sortit, ce lien avec la Securitas était un don du ciel… Il fallait voir jusqu’où cela allait. Une communication audio plus tard, c’était chose faite.

_ Bonjour, je souhaiterai parler à Catherine Gaines ?
_ C’est son mari, vous êtes ?
_ Simon Pelles, voilà je suis un ami de son ex mari et…
_ Ecoutez, vous allez dire à Kurt que c’est fini ; elle a refait sa vie et je ne veux plus entendre parler de lui, Cat n’est pas responsable si il fout sa vie en l’air.
_ Evidemment, mais vous savez, j’ai peur qu’il ne fasse une bêtise et…
_ Bon débarras !
_ Pas ce genre de bêtises monsieur Gaines, est-ce que vous savez quel genre de métier faisait Kurt avant ?
_ Vous voulez dire avant de faire griller des steaks ?
_ C’était un marine, et un excellent tireur ; c’est mon ami, mais…
_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?
_ J’ai peur qu’il n’essaye de s’en prendre à vous, c’est très sérieux monsieur Gaines… La dernière fois que je l’ai vu, il avait un fusil.

L’actualité aidant, Gaines passa du mari protecteur à l’homme inquiet pour sa vie. Intérieurement, Smith exultait, il décida d’aller se payer un déjeuner digne d’un roi pour célébrer sa dernière journée avec son fusil ; il regarda attentivement les coordonnées affichées sur le téléphone.

Frederic et Catherine Gaines…

«Tu as épousé la mauvaise femme, mon pauvre Fred.»

_ Je vous remercie de me prévenir monsieur Pelles… Vous ne sauriez pas où trouver Kurt ? Pour lui parler, l’empêcher de faire une bêtise.
_ J’ai essayé mais ça ne sert à rien.
_ Peut-être quelqu’un de plus spécialisé pourrait…
_ Ecoutez c’est déjà assez difficile de vous parler, on ne se trahit pas entre nous.
_ Vous pouvez me faire confiance, je travaille pour la Securitas, nous savons maîtriser ce genre de situations.

La sentence se ménagea une pause silencieuse, faisant mine d’hésiter ; la bassesse humaine était un domaine qu’il commençait vraiment à maîtriser… Il ne lui restait plus qu’à appeler Jimmy Dee et lui demander d’organiser un autre rendez-vous avec Kurt.

_ J’ai votre parole que vous ne lui ferez aucun mal, c’était un bon soldat vous savez.
_ Bien sûr, vous avez ma parole.
_ Je vais voir ce que je peux faire, je vous contacterai dès que je serai arrivé à le retrouver.
_ Merci, j’attendrai de vos nouvelles… Et, évitez d’en parler à Catherine, elle est fragile et j’aurai peur que ça ne lui fasse plus de mal, que de bien.

Gilles Smith raccrocha au bord du fou rire ; il avait envie de bière fraîche et de crustacés, il enfourcha sa moto et partit en direction du front de mer.