Suite au succès de l’opération cambriolage, qui avait porté un coup majeur à l’effort chinois de contrôle terrestre de New Boston ; les deux sections engagées sur le front avaient cédé la place à celles disposées à l’arrière. Les gars de Pelles avaient fait un tour de brousse de plus que les autres, à cause du lancement de l’opération Sniper pour laquelle ils étaient les plus qualifiés ; aussi le soulagement était général chez ces marines de pouvoir retourner souffler quelques jours au camp retranché de Bear Town.

Bear Town était organisée dans la montagne autour d’un réseau de cavernes, il y avait une infirmerie avec des lits, des réserves ainsi placées à l’abri des bombardements ; trois des APCs avaient été enterrés autour du site avec leur réseau de capteurs, de robots mitrailleuses et quelques lance-missiles sol-air. Bear Town disposait aussi de vraies latrines, d’une source d’eau fraîche à proximité et de la reproduction fidèle du bar de 237 dans son réseau de cavernes.

La priorité allait au déchargement de la navette, il faudrait ensuite inventorier les prises de l’opération ; mais ça pourrait attendre que les gars se lavent et dorment un peu. Simon se contenta de s’assurer avec son équipage que la navette était bien camouflée, puis il prit son sac et se traîna jusqu’à son APC, situé à dix minutes juste après la crête Nord. Il salua le Duke, de garde à la console tactique, puis installa son duvet sur le sol pour dormir.

_ Bonjour sergent, vous sentez le fauve vous savez ?
_ Bonne nuit Duke, si tu sors, passe le contrôle de tir sur automatique et ferme la porte derrière toi.

Huit heures de sommeil plus tard, Simon descendit dans la vallée ; la serviette sur l’épaule et son fusil à la main, il jonglait avec un morceau de savon… L’eau du torrent était sûrement fraîche, mais se baigner serait vraiment agréable. Estevez l’avait devancé, nu sur un gros rocher, il taillait des bouts de bois avec son couteau.

_ Hola, l’indien.
_ Salut sergent.
_ Tu tailles des flèches ?
_ Je garde mes munitions pour Charlie, mais il faudra bien chasser si ça dure.
_ On pourrait se faire un four couvert ; un peu de viande fraîche, ça nous changerait des rations.

Simon abandonna ses affaires près de la berge et commença à s’immerger dans l’eau.

_ Ces écosystèmes standard sont bien faits, mais je serai presque heureux qu’ils réitèrent l’erreur d’introduire des lapins sur une colonie… Ces satanés bestiaux sont si faciles à capturer.

Ils discutèrent un moment, les discussions avec l’indien étaient toujours un peu spéciales, puis remontèrent la crête jusqu’à l’APC, devenu bunker. Dans l’air clair du matin, les accords de cornemuse portèrent jusqu’aux marines qui se regardèrent l’air inquiet ; les Irlandais avaient organisé un service funèbre pour leurs morts, on avait eu peu de temps pour ce genre de choses ces dernières semaines dans la forêt. Simon enfila sa veste de BDU et descendit jusqu’à la pinède d’où les plaintes de pipe provenaient. Les morts étaient représentés par leur arme, plantée dans le sol canon en avant ; sur la crosse on avait placé le béret de la victime orné de sa plume de paon, et au pied devaient être rangées ses bottes.

L’androïde du 5ème peloton dit quelques mots, ses bases de données en matière de psychologie et de théologie en faisaient sûrement la personne la mieux placée pour faire un service cohérent en l’absence d’un aumônier… Simon s’interrogea ; en effet, Dawn était sûrement plus humaine que la majorité des gens faits de chair et d’os qu’il avait pu rencontrer ; à entendre l’androïde citer les écritures, on pouvait même se demander si elle n’avait pas vraiment la foi. C’était là une pensée troublante ; Simon plaça son arme en bandoulière dans le dos et garda le silence.

_ Et à présent, prions.

Les service terminé, Simon se dirigea vers l’espace aménagé en mess, dans les grottes ; exceptionnellement, des plateaux repas à réchaud chimique récupérés à 237 étaient disponibles, avant que l’absence de congélation ne les laisse pourrir contrairement à la nourriture lyophilisée ou en conserve. Simon s’attabla devant un hachis tiède et du pain de maïs, O’Reilly et d’autres gens présent au service firent de même ; le sergent chef irlandais s’approcha.

_ J’avais presque oublié ce à quoi vous ressembliez sous votre barbe crasseuse et votre peinture de camouflage, Gunny Pelles.
_ C’est fou ce qu’un peu d’eau, une lame et du savon peuvent faire, pas vrai ?
_ Oui, le luxe de la civilisation.
_ Nourriture chaude, nuit complète et eau à volonté ; je pense que nous avons du sérieusement entamer les réserves de nos amis communistes en faisant sauter 237.
_ Vous aimez ça, la brousse, certains de vos gars et vous semblez avoir passé votre vie à faire ça.
_ Estevez et moi étions dans les forces spéciales, quand à Smith, il a toujours aimé faire cavalier seul en territoire ennemi, il a cent cibles confirmées à son actif… Quasiment tous les marines du 5ème n’en sont pas à leur premier déploiement, où alors sont des surdoués à problèmes disciplinaires ; il suffit de voir le Duke, c’est un génie excentrique… pas vraiment fait pour se couler dans le moule des marines.
_ Et comment vous trouvez nos gars ?
_ Vous m’exaspérez, on utilise quasiment le même matériel et le votre ne tombe jamais en panne !
_ Par ce qu’on en prend soin, on ne jette pas les caisses dans la boue comme des brutes et on enroule nos câbles sans faire de cassures. Enfin, je pensais plutôt au combat, comment vous trouvez nos gars au feu ?
_ J’ai pas à m’en plaindre ; ils suivent les ordres, ils comprennent vite et ils tirent juste.
_ Vous êtes le roi du compliment, Gunny.
_ Je reformule, plutôt bons pour des irlandais.

Simon finit son plateau, il n’avait plus faim ; il devait bien avoir perdu six kilos depuis l’invasion. Il regarda attentivement le visage de son vis à vis, c’est vrai que l’on oubliait les détails de la physionomie des autres ; avec la camouflage, tout ce qui différenciait les gens c’était leurs yeux, leur voix et leur odeur. O’Reilly était spéciale, pas de doute.

_ Vous êtes toujours comme ça ? L’archétype du juteux qui fait partie des meubles ?
_ C’est ce qu’on attend de moi ; et puis c’est l’armée, pas un club social… D’ailleurs, question peau de vache, vous n’êtes pas mal non plus, O’Reilly.
_ Laissez tomber sergent, un moment, j’ai cru que vous n’étiez pas qu’une grosse machine à tuer virile et américaine.
_ J’ai réussi à vous faire oublier que j’étais anglais, c’est un début, non ? Honnêtement, vous faites du bon boulot, vous et vos gars.

Simon prit son plateau et le déposa dans le container utilisé comme poubelle, après deux mois de solitude, il avait besoin d’aller s’isoler un moment aux toilettes.