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Friendly fire

Il y avait peu d’endroits où Simon Pelles se sentait aussi mal à l’aise qu’à l’hôpital ; cela faisait trois jours qu’il était gardé dans cette chambre, avec un agent de la Securitas en faction à la porte. Il ne pourrait sortir que lorsque ses nouvelles prothèses seraient livrées, faites sur mesure, cela prenait déjà un peu de temps. Heureusement, le contrat d’assurance standard comprenait les agressions par arme à feu, comme entrant statistiquement dans les causes de dégâts les plus probables, pouvant être causés aux biens d’un client résidant aux USA.

Simon se morfondait, il n’avait toujours aucune nouvelle de Lena et Hans, Angela était passée en coup de vent et cela lui avait laissé un goût amer… De plus, la peur d’avoir encore une fois frôlé la mort le faisait penser à ses choix moraux, comme évoqués par Jaime ; elle non plus ne donnait pas signe de vie.

La NRA avait adressé ses meilleurs vœux de guérison à Simon, accompagnés d’un bouquet de fleurs ; les gars de l’antenne locale du Corps lui avaient envoyé une bouteille de whisky du Tennessee et une médaille en carton en forme de cible, une plaisanterie traditionnelle pour un survivant de fusillade. La presse locale avait extensivement couvert l’anomalie que représentait la survie d’une victime des gangs, un exemple positif pour les habitants de la vieille ville… Simon ne voyait pas la mort d’Edmond Lee, et celle de trois gosses paumés comme quelque chose de positif.

Au bout d’un certain temps, Simon remarqua une personne à la porte ; un grand type aux cheveux sales en queue de cheval, avec un veston sport probablement enfilé pour l’occasion. Ils se regardèrent une instant en silence, ce type avait un regard délavé et le visage creusé d’un homme qui ne dort pas. Au bout d’un moment il salua Simon d’une voix cassée.

_ Bonjour Sarge.
_ Salut, Gunner.
_ Ca fait une paye, hein ?
_ Ca fait bien quinze années de sédentaire.
_ J’ai vu aux infos que c’était toi le type de la fusillade, alors je suis passé ; je savais pas que tu étais sur Terre.
_ Entre, le vide à la place de mes jambes te donnera une meilleur idée de la raison qui me cloue ici.

La grande masse de Kurt Jenks pénétra dans la chambre, il saisit une chaise et s’installa.

_ Ca t’es arrivé où ?
_ En 52, à la limite du réseau, système d’Hericulis ; le dépôt d’armement Walden. Un tir de panzer Chinois et le tableau de bord de mon corbillard s’est replié sur mes jambes, comme un piège à Ours.
_ Comment tu t’en es sorti ?
_ Bonne manœuvre évasive, on a eu que des blessés légers ; la section a débarqué et trois des gars m’ont désincarcéré en découpant l’armature au chalumeau.
_ Le chinois ne vous a pas finis ?
_ La panoplie de contre-mesures de l’APC a tenue le coup, puis notre VTOL est arrivé pour bousiller le chinois avec des missiles Hellfire… Je peux te dire que j’ai écris une jolie lettre de remerciement aux ingénieurs d’Armatek, leur APC m’a souvent mené la vie dure question entretient, mais il me l’a rendu au centuple ce jour-là. Et toi, qu’est-ce que tu deviens ? Tu sais que tu as une tête à faire peur ?
_ J’ai presque l’air aussi vieux que toi, Sarge ; j’ai été débarqué section 8, j’ai craqué, c’était en 50… Tu avais raison finalement.
_ A quel propos ?
_ On est punis pour tout ce qu’on a fait de mal un jour ou l’autre.
_ Ah oui ? Et dis moi Jenks, il t’es arrivé quoi de si moche ?
_ La trouille, je dormais plus ; puis ma femme m’a plaqué et c’est revenu, les cauchemars, l’angoisse.

Simon se redressa un peu, dévisagea Kurt jusqu’à ce qu’il baisse les yeux.

_ Va voir un psy Jenks, je ne vais pas chialer par ce que tu entends les pleurs de ce bébé la nuit ; tu as encore tes jambes espèce de petit trou du cul, et tu geins pourquoi ? Parce que ta rombière t’a plaqué ? Ecoute bien fils, le Corps, c’était ma vie ; aujourd’hui je ne suis plus bon à rien qu’à me faire tirer dessus par des mômes armées de fusils chinois, je vais me faire crever sur cette putain de Terre… Je ne verrai pas cette sale guerre se finir ; tout ce que j’aurai fait n’aura servi à rien, ma vie…

Simon était rouge de colère, Kurt livide et pour une bonne raison, l’évocation des fusils chinois venait se rallonger à une longue liste de crasses qu’il avait fait à Simon Pelles, le type qui lui avait appris beaucoup et sauvé la vie.

_ Je vais y aller, sergent ; je ne venais pas pour que tu me pardonnes, juste voir comment tu allais.
_ Je n’ai rien à te pardonner Gunner, c’est entre ta conscience et toi… Certains trucs sont irréversibles, mais tu as encore toutes tes cartes en mains, alors contente-toi d’arrêter de déconner.
_ J’y penserai.

Kurt sorti, Simon se demanda combien de types comme lui erraient dans les rues… Autrefois un soldat d’élite et aujourd’hui, l’ombre d’un homme. Dans son lit d’hôpital, Pelles se cripsa, pensant qu’il n’était plus lui aussi qu’une moitié d’homme ; mâché, digéré et recraché par le grand broyeur vert. Simon prit le visiophone sur sa table de chevet et appela Francis, il avait besoin de conseils spirituels et du soutient d’un ami.

Francis vînt le visiter après son service, il dut jouer de son badge pour entrer après les heures de visite.

_ Alors, comment ça va ?
_ Je devrai sortir d’ici deux jours, et ça ne me réjouit plus tellement ; j’ai peur.
_ C’est normal, on a essayé de te tuer ; personne ne te demande d’être un surhomme Simon.
_ Il y a ça, et j’ai l’impression que tout s’effondre comme un château de cartes ; je n’ai nulle part où aller, pas de job, pas de famille…
_ Pourquoi dis-tu ça ? Tu as des amis, tu es un homme bon.
_ J’en doute, je veux dire… Je ne suis pas un type bien Francis ; si j’ai survécu c’est par ce que c’est mon boulot, c’est ce que je fais : tuer des gens.

Francis ne pouvait pas arguer, il avait vu la reconstitution CSI de la fusillade de l’appartement ; un homme seul et handicapé, seulement quatre coups de feu ; contre trois des assaillants morts, qui pourtant avaient tiré une cinquantaine de cartouches et une grenade. Simon avait rapidement transformé son appartement en piège mortel.

_ Dis moi Simon, quand tu étais hors-sol ; combien de vies de soldats ou de civils américains a tu sauvées ?
_ Aucune idée, un mort ça se compte ; survivre c’est juste un boulot à plein temps. Ce que je dis, c’est que depuis que je suis revenu ici, j’ai tué quatre gosses, provoqué la mort d’une autre et d’Edmond Lee ; j’ai beau essayer, je ne sais rien faire d’autre.
_ Tu es revenu depuis un mois, la vieille ville est une poudrière ; je te trouve trop exigeant, laisse toi du temps pour te bâtir une vie sur Terre… Tu ne repartira pas de toute façon, il faut que tu mettes le passé et ta vie de soldat derrière toi ; je ne dis pas que tourner la page sera facile, juste que c’est quelque chose qu’il te faut faire, dès maintenant.
_ Tu sais pour Angela ? Et bien tu avais raison.
_ Tu parles à ton ami ou bien au prêtre, là ?
_ Il faudra bien que je le confesse un de ces quatre, même si elle n’est pas mariée.
_ Ne la blâme pas, Simon ; Angela est une gentille fille, elle cherche juste certaines choses qui lui ont fait défaut dans sa vie.
_ Qu’est-ce que tu veux dire ?
_ Ne le prends pas mal, mais j’étais quasiment certain qu’elle s’attacherai à toi d’une façon ou d’une autre ; son père était un officier dans la 101ème aéroportée, lors de son dernier retour, Angela était encore une adolescente… Il a déjeuné avec sa famille, a embrassé sa femme et sa fille ; puis il est sorti fumer une cigarette en regardant la mer. Il n’est jamais retourné à l’intérieur du restaurant, il s’est tiré une balle dans la tête.

Simon était blême, son estomac faisait des nœuds ; il ne savait plus pour qui il était le plus désolé.

_ Mon Dieu.
_ Le fiancé d’Angela est un type bien, un jeune collègue des unités d’intervention ; lui aussi un ancien militaire, de la Navy, je crois. Mais il a son âge et il n’est jamais parti hors-sol. Avec toi elle a récupéré quelque chose que la vie lui avait volé, du moins c’est en partie ce que je crois.
_ Je ne dois plus la revoir.
_ C’est peut-être un peu excessif, mais ce n’est sûrement pas le plus mauvais choix à faire, Simon.
_ Je ne sais pas Francis, je devrai peut-être retourner en Angleterre, essayer de renouer avec mon père avant qu’il ne soit trop tard.
_ Ton père ?
_ Mon père était architecte, le jour où je me suis engagé dans les marines, il a définitivement cessé de m’accorder une quelconque attention ; puis ma mère est morte pendant mon quatrième déploiement, et il ne m’a jamais pardonné de ne pas avoir été là.
_ Je ne t’ai jamais demandé, mais pourquoi avoir quitté l’Angleterre pour venir ici ?
_ Rupture difficile, cheveux longs et idées courtes, envie de rêve américain… Un très mauvais cocktail qui m’a fait foutre en l’air mes études, ma vie de famille et mon avenir.
_ Alors, tu as été jeune ! Ma parole, j’ai bien imaginé un instant, que tu étais né avec cette coupe de cheveux et un treillis camouflé.
_ Et toi, qu’est-ce qui t’a amené au séminaire ?
_ Le besoin de force mon ami ; j’ai fait un peu de bénévolat avec des ONG en Afrique, rapidement je n’avais plus assez en moi pour donner à ces gens, il me fallait l’aide d’une puissance supérieure.
_ Et depuis tu sauves le monde ?
_ Une âme à la fois. Ne désespère pas Simon, beaucoup de hors-sol ont vécu ce que tu es en train de traverser ; tu as juste besoin d’un peu de temps, pour trouver à nouveau tes marques ici. Quand tu sortira, on te logera provisoirement dans une résidence surveillée du complexe Securitas ; tu y sera bien.
_ Je vais y réfléchir.

Le jour suivant, Simon essaya de se remettre en selle, l’avocat d’Edmond Lee passa lui faire signer des papiers concernant la liquidation du Jupiter et de son matériel ; Le vieil Ed avait désigné Simon comme associé dans son affaire, et un représentant du conglomérat attendait directement la signature des papiers pour racheter le terrain. Simon était gêné de toucher de l’argent qu’il n’estimait pas avoir mérité, et la disparition du garage était bien dommage ; le matériel ne valait pas grand chose à la revente, Simon batailla juste un peu pour s’assurer de récupérer le « monstre », un souvenir de sa courte collaboration avec Edmond Lee.

L’héritage inattendu d’Edmond Lee eut un autre effet, Simon discuta rapidement avec le prothésiste de Biotech et opta pour un modèle supérieur à ses anciennes prothèses. C’étaient des A-4B, dérivées de la même technologie utilisée pour construire les androïdes ; elle étaient très chères, mais entre le remboursement de l’assurance pour ses anciens modèles et son petit pécule, Simon pouvait se permettre d’investir dans ce qui lui procurerait sans conteste un mieux-être.

La pause eu lieu le sur lendemain et Angela vînt pour assister au calibrage ; le logiciel était plus complexe, il fallut ajouter de nouvelles nanites dans la colonne vertébrale de Simon, ensuite on programma les anciennes sur les spécifications d’usine des Biotech A4-B. La démarche était saccadée, mais Simon fut très satisfait de pouvoir bouger des doigts de pieds individuels, au lieu de l’unique sabot de ses anciennes prothèses.

_ Je ne l’aurai pas cru, mais c’est un tout autre monde… Très différentes de mes jambes précédentes.
_ C’est par ce que sur celles-ci, vous disposez de toutes les articulations, et que chacune d’entre elles est pilotée par une puce silicone différente ; c’est un peu comme un avion, vous avez des redondances en cas de panne. Ces modèles sont si proches de l’anatomie humaine, que je peux vous garantir une intégration suffisante pour une petite foulée, en quatre semaines seulement !
_ Ca va docteur, je vous les aies déjà achetées.
_ Bien, dans ce cas, je vous laisse ; les détails de votre bon de sortie sont à voir avec ces messieurs de la Securitas, d’un point de vue médical, vous êtes apte. Bonne chance monsieur Pelles.

C’était une des premières bonnes nouvelles depuis son entrée à la clinique, Simon se sentait plus léger ; et ça se reflétait aussi sur le visage d’Angela… Ils se sourirent un moment en silence, et Simon eut un pincement au cœur à l’idée de ce qu’il devait faire.

_ Alors, monsieur est heureux ?
_ C’est une question épineuse, je ne sais pas comment te répondre.
_ Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
_ J’ai bien réfléchi à ta proposition de l’autre fois et je vais l’accepter, j’aimerai que tu me recommande un de tes collègues.
_ Je comprends, si c’est ce que tu veux.
_ Angie, j’ai cinquante deux ans et je suis fatigué de vivre au jour le jour ; j’ai besoin de plus qu’une relation entre deux portes… Et puis tu l’as dit toi-même, je suis de ces imbéciles qui chevauchent un cheval blanc imaginaire.
_ Tu n’es pas un imbécile Simon.
_ Oh que si, cette séparation me coûte beaucoup plus que ne m’aurait coûté l’abstinence ; tu es une chouette fille, c’est juste que tu n’es pas une fille pour moi… Et ça, je le savais dès le départ.
_ C’est une façon douce de me dire ce que tu penses de moi.
_ Je ne suis pas doué pour ce genre de choses, ne vas pas penser que je te juge ; tout ce que je sais, c’est que je ne peux pas continuer dans cette voie.

Elle était blessée, c’était tout à fait normal et il n’y avait rien à y faire qui n’aurait aggravé la chose.

_ Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
_ Je ne suis pas passé loin de la mort ; si j’avais du faire face à mon créateur, et bien je n’aurai pas eu la conscience tranquille.

«Et toutes choses considérées à ce moment précis, je ne t’aimais pas.»

Simon garda le silence puis commença à ranger ses affaires, Angela essaya bien de formuler un au revoir, mais il n’y avait rien de plus à dire ; l’un comme l’autre savaient que leurs chemins étaient divergeants. Simon sortit en dernier et fit signe à l’agent de garde.

_ On y va ?

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