Lena était un peu abattue devant l’ampleur de la tâche ; mais la caravane était spacieuse, et ça ne lui coûterai presque rien.
_ Tu n’aura qu’une partie de la facture d’eau à payer, le Jupiter est autonome pour l’électricité ; c’est une affaire en or, ils n’ont pas pu exproprier Ed lors de la construction du complexe, il n’est pas le locataire du conglomérat.
_ Merci Simon.
_ Ne me remercie pas, ce n’est qu’un petit remboursement pour les emmerdes que j’ai causées dans le quartier.
_ Bien sûr.
Elle n’insista pas, si elle avait acquis une certitude à propos de Simon Pelles, c’est que lorsqu’il avait décidé d’une chose, il était quasiment impossible de le faire changer d’avis… Et il avait décidé que la mort de Christie était de sa faute. Taciturne, il s’écarta de l’arrière cour pour retourner à l’intérieur du garage où on livrait le matériel. Hans, le nouveau voisin de Lena, sortit du vieux camping-car sans moteur qui lui servait de logement ; il avait été sympa de laisser la caravane, plus grande, à Lena.
_ Hey Hans, je peux t’emprunter le jet ?
Un des avantages à vivre dans l’enceinte d’un garage était la foule d’outils utiles qui y traînaient, dont de quoi nettoyer les voitures les plus sales.
_ Bien sûr, je dois aller aider à décharger les machines mais si tu as besoin d’un coup de main plus tard, fais moi signe.
Hans était un type en or, ça sautait aux yeux pour qui savait regarder ; une véritable armoire à glace couvert de tatouages, mais sensible aux autres, à se demander comment il avait pu survivre à la prison sur Mars. Lena couvrit ses cheveux avec un bandana et enfila des gants de soudeur, la guerre contre la crasse était déclarée.
_ Ah, le banc de test DX-4000… Ce truc est génial !
Il n’y avait quasiment aucun équipement neuf, Edmond Lee avait le nez pour faire de bonnes affaires ; il avait racheté des équipements mis au rebut par son ancienne compagnie, les détournant la plupart du temps de leur usage initial ; mais c’était un ingénieur et un bon, en témoignait le système de panneaux solaires et l’éolienne qui alimentaient la centrale du Jupiter Garage. Le petit homme voûté semblait avoir retrouvé une nouvelle jeunesse, baigné de la vie des nouveaux occupants de son grand garage.
_ Simon, venez voir les plans pour notre première création !
La station technique était un appareil d’aiguillage aérien trois points, de première génération, Lee avait remplacé l’ancienne informatique par des pièces d’Omni-Home vieux de trois ans et branché le tout sur le réseau wireless connectant la plupart des machines du garage.
_ Voilà, les données sont incomplètes par ce que le premier véhicule n’avait pas de connectique de maintenance, il est trop vieux ; je rentrerai les informations à la main dès que j’aurai fait des relevés laser… En gros, l’idée est d’utiliser le chassis de ce vieux fourgon blindé ; j’ai récupéré le moteur d’un tracteur Renissan hydrogène seconde génération, en lui ajoutant un turbocompresseur, ça devrait en faire un objet intéressant.
_ Puissant, voir incontrôlable.
_ Là, regardez ; on isole la moitié du compartiment arrière pour le moteur… On change toute la transmission en raccourcissant celle du tracteur, je rajoute huit nouveaux jeux d’E-Prom tout terrain pour contrôler la distribution. On vide l’ancien capot pour en faire un coffre et le tour est joué.
_ Vous vivez dans une réalité totalement différente de celle des autres hommes Ed, vous savez ça ?
_ Et c’est moi le patron Simon, laissez le cerveau faire son travail, et faites donc le votre.
_ A vos ordres, Ed.
Il y en avait pour des dizaines heures de travail, faire homologuer l’engin ne serait pas une mince affaire non plus. L’entreprise était enthousiasmante, mais Simon avait un nœud dans les entrailles à chaque fois qu’il quittait le garage ; Hans prenait le vieux break de Ed et le conduisait jusque chez lui, Simon gardait l’œil rivé au rétroviseur, surveillait les alentours à chaque feu rouge. Hans repéra son manège et lui posa la question lors du troisième jour.
_ Pourquoi tu regardes tout le temps dans le rétro ?
_ J’ai des affaires en suspens avec une bande de petites frappes locales.
_ Du genre ?
_ Un mort partout, c’est à cause de ça que j’ai demandé à Ed de loger Lena.
_ Ed a un calibre dans sa piaule ?
_ Oui, un juxtaposé de douze, je l’ai vérifié, il est en état.
_ Bon à savoir.
Hans n’allait pas dire à Pelles qu’il avait lui même un flingue, mais il pouvait toujours lui raconter ce que les flics savaient déjà.
_ Un petit négro de Watts a essayé de me faire ma fête, à Venice le jour de mon arrivée ; je m’en suis sorti de peu… Putain de ville.
_ Un gosse de Watts ? Tu sais à quel gang il appartenait ?
_ Vaguement, une bande de branquignoles avec des cravates en soie.
_ Bienvenue au club des amis des Golden Boys, le monde est petit, Hans.
_ J’ai pas peur de ces petits cons, sur Terre je crains trois trucs : les yakuzas, la mafia russe et les africains de souche ; ça c’est des durs.
_ J’imagine que tu sais de quoi tu parles.
_ Tout juste… T’es arrivé, Pelles.
_ A demain, Hans.
Hans rentra au garage, jetant à son tour des coups d’œil dans le rétro ; il serait bien sorti faire une virée à West Hollywood, mais tout ça lui avait donné à réfléchir. Il gara la voiture et ferma les grilles ; passant par le garage, il salua Ed Lee et gagna la casse. La caravane et le camping car formaient un L ; il y avait à présent un salon de jardin installé entre les deux, et une guirlande électrique les reliait, avec ses ampoules de couleur éclairant joyeusement ce petit coin. Les lampes devant les portes s’allumèrent en détectant le mouvement de Hans, Lena sortit sur le pas de la sienne.
_ Hey ! Alors, qu’est-ce que tu en dis ?
_ Plutôt chouette, j’aime bien la guirlande.
_ Tu prends un verre ? Ca fera crémaillère officielle.
_ T’as pas invité oncle Simon ?
C’était un peu gênant, Lena s’alluma une cigarette et commenta.
_ Te méprend pas, c’est un type ok ; mais ces derniers jours on a du mal à se supporter.
_ Je comprends, je vais chercher Ed.