La base 237 était un dépôt sans envergure, ses seules structures en dur étant un bunker et le tarmac ; avec une poignée de satellites en orbite, ce terrain de manœuvres était la seule présence gouvernementale sur New Boston ; quelques milliers de colons de nationalité américaine ou britannique étaient éparpillés sur la petite planète, spécialement pour exploiter l'yttrium que leur achetait Vector Corp.
New Boston se trouvait à cheval entre les concessions spatiales du Royaume-Uni et des Etats-Unis d’Amérique ; elle n’avait aucune importance stratégique reconnue, on y jetait cependant un œil pour la forme, mais il était peu probable que Charlie vienne y faire un tour tant elle se trouvait en arrière par rapport aux lignes de front.
Cette mission de surveillance était dévolue alternativement à des forces US mobiles, lire que c’était bon pour les marines, les GI’s avait le cul trop sucré pour ça ; ou à des forces britanniques. Au vu du peu d’action sur New Boston, la garnison avait des ordres visant à s’entraîner, et les occupants successifs de 237 avaient développé tout un tas de SOP pour tuer l’ennui. Aussi, la base 237 était l’équivalent du club Méditerranée couleur kaki, et son bar était connu à des parsecs à la ronde.
Ce fut la première mission du 5ème peloton pour ce déploiement dans les colonies, il était classique que l’on donne un mois à une unité pour faire un tour de chauffe avant d’être envoyé au front ; aussi les ordres du capitaine portaient-ils l’intitulé manœuvres de cohésion.
L’ordinateur de l'USS Detroit décongela son équipage vers la fin de sa décélération critique en approche de New Boston, HPA moins trente six zéro zéro heures ; après un repas rapide pour remettre en route les systèmes digestifs, le peloton s’activa pour préparer son équipement alors que le capitaine interrogeait les ordinateurs locaux à distance. A HPA moins douze zéro zéro heures, le briefing établit que la base 237 était active et occupée par des forces alliées ; quatre heures plus tard, le capitaine put établir que les commandements spatiaux américains et britanniques s’étaient foutus dedans, le cinquième peloton se retrouvait colocataire de la base 237 avec le second détachement de reconnaissance motorisé des Irish Guards.
Tant pis pour les manœuvres d’entraînement ; le largage se fit dans de bonnes conditions et le matériel fut débarqué dans un coin de hangar avec l’aide des Irlandais, suite à quoi un barbecue fut organisé pour fêter ça. Deux fois plus de personnel, signifiait deux fois moins de corvées et de tours de garde ; ça signifiait aussi plus d’argent aux tables de poker, au craps et pour des paris en tous genres.
Le Detroit, sans garnison à relever, resta en orbite comme position de défense fixe ; ça signifiait devoir y faire un tour de temps en temps, mais ce n’était pas pour déplaire aux pilotes qui aimaient avoir l’occasion de voler à vide, sans avoir leur coucou chargé comme une grosse vache avec un transport de troupes blindé.
Pelles partageait son temps entre les manuels d’opération de son APC et Oscar Wilde, branché sur la télémétrie de ses robots sentinelles, il bouquinait en passant en boucle de la musique rétro, la console tactique du transport de troupes étant devenue son petit bureau. Pour faire plaisir à l’Etat Major et mettre à profit les efforts du contribuable, le capitaine ordonna que l’on renforce le périmètre de défense de la base mis en place par son homologue Irlandais, Pelles trouva donc des volontaires.
Le sergent OR-7 des Irish Guard était une femme du nom de Mary Catherine O’Reilly, un sacré juteux qui ne rigolait pas ; c’était aussi un bon conducteur de panzer, la version du modèle 157 d'Armatek qu’utilisaient les britanniques étant quasiment identique à celle des marines américains. Elle n’adressait que rarement la parole à ses homologues US, et seulement pour ce qui concernait l’aspect professionnel ; chacun chez soi et les moutons seront bien gardés, c’était un peu sa devise, visiblement elle se méfiait des marines qu’elle considérait comme des gung-ho’s, une bande de cowboys avec la ferme croyance que Dieu les avaient fait invincibles. Pelles la croisait au service du dimanche, il apprit qu’elle était catholique comme lui. Ce ne fut pas pour autant un point de rapprochement, ils ne firent vraiment connaissance que lors du tournoi de boxe de la base.
Le tournoi n’avait pas grand chose à voir avec le noble art de la boxe, on ne respectait que rarement les catégories de poids, l’arbitre fermait les yeux sur certains vilains coups et question protections on devait se contenter d’un protège dents. Les bookmakers s’arrangeaient généralement pour monter des histoires en épingle entre deux gars jusqu’au défi public, et lorsque la situation éclatait, on proposait bien sur de régler ça dans le cercle. Le choc des juteux était une affiche qui rapporterait sûrement pas mal d’argent, Flint était un des deux anciens de Force Recon, un Irlandais de Boston ; il avait monté le tournoi avec un autre combinard nommé Kinsley. Le sergent Rajeev étant psychorigide, aucune chance qu’une histoire d’orgueil ne prenne sur lui, c’était même risqué d’asticoter le bonhomme ; aussi Flint s’attaqua au cas de Pelles, il vînt faire ami-ami en évoquant des souvenirs communs dans les commandos et en profita pour lui glisser son poison à l’oreille.
_ Ah, comme je vous le dis %%Gunny%%, c’est Kinsley qui me l’a raconté ; mais oui le mécano blond avec un oeil qui dit merde à l’autre, c’est mon cousin. Enfin bref, son juteux lui a dit que vous et Le Duke on vous voyait souvent dans votre APC…
Le Duke, dit aussi le marine rose, était Gay et fier de l’être ; électronicien émérite en provenance de CEW, il avait deux autres dons : la musique, il était DJ avant d’entrer dans la grande machine verte ; et la popote, apprise d’un ex boyfriend français. Indispensable, il en profitait pour se rendre insupportable en jouant les folles dès que l’occasion s’en présentait.
De l’autre côté, le sergent chef O’Reilly appris comment l’arrogant d’en face, qui en plus était un ANGLAIS, trouvait son blindé mal entretenu et sa façon de conduire désastreuse ; mais bien sûr que pouvait-il attendre de mieux de la part d’une femme?
La moutarde mit du temps à prendre, le temps que les rumeurs soient diffusées et reviennent aux oreilles des intéressés par l’intermédiaire de bouches multiples ; un dimanche midi, à la sortie de l’office, O’Reilly et Pelles eurent quelques mots.
_ Hey, brit! Vous n’aimez pas ma façon de conduire à ce qu'il paraît? Pogue mahone! C'est par ce que je suis une femme que vous ne me le dites pas en face ?
Sans forcément savoir que pogue mahone voulait dire en irlandais va te faire foutre , le ton et la gestuelle ne laissaient aucun doute.
_ Et vous, c’est par ce que vous êtes mal baisée que vous prenez plaisir à raconter des saloperies sur les autres ?
Tout l’entraînement du monde en matière de corps à corps, ne peut vous prémunir contre un mètre soixante neuf de femme irlandaise en colère, plus spécifiquement contre son genoux droit rencontrant vos parties génitales à vive allure. Pelles finit appuyé contre le mur du baraquement, partagé entre son envie de vomir et son incapacité à respirer. Flint, en aimable témoin de la scène en profita pour réconforter son sergent et proclamer haut et fort que tout ça se réglerait dans le cercle.
Et ce fut la dérouillée du siècle… O’Reilly s'évertuait à casser la distance pour caresser les côtes de son adversaire, pour essayer de placer un bon coup au foie. Pelles, lui, plaçait toujours un jab au passage de son adversaire, avant de l’envoyer valser sur le sol pour reprendre de la distance. Finalement l’Irlandaise fila un mauvais coup de pied à l’encolure du genou de Pelles, lequel tomba et se fit marteler de coups au visage ; il ne s’en sortit qu’en balayant son adversaire pour lui placer une clé d’étranglement avec les jambes, la faisant lentement tourner au violet. Il fallut arrêter le combat qui n’avait vraiment plus rien d’amical.
La situation s’était dégradé au cours du mois, l’ambiance s’en ressentait et les juteux étaient remontés comme des diables sur ressort lorsque la sirène d’alarme de la base retentit… Quelque chose qui n’avait pas du arriver depuis l’installation du système douze ans plus tôt.