- Station Spatiale USS Saratoga , Secteur Hericulis
- 3 Juillet 2039
- 06:00 Heure Locale
Le transport auquel était affecté le cinquième peloton était l’USS Detroit, un vaisseau de seconde ligne fait pour transporter des troupes et du fret, accessoirement il devait pouvoir se défendre ; si on pouvait attendre du Detroit une capacité à soutenir un assaut au sol, il ne faudrait sûrement pas lui demander d’affronter le bâtiment de première ligne d’une marine de guerre. Vu depuis le dock militaire au point Lagrange-2, c’était un méchant bloc de métal sombre avec un propulseur aux fesses, le tout hérissé d’antennes et de systèmes d’armes en tous genres.
«Et voilà, ce cercueil de métal va être ta maison pour les cinq ans à venir… Tu vas lui confier ta vie tout ce temps, en espérant te réveiller en vie à chaque fois que tu ira au frigo.»
La pensée n’était pas rassurante, si les gars de Force Recon étaient choyés et transportés dans les bâtiments les plus modernes et les plus furtifs, le reste des têtes de mule avait droit à tout ce que les forces spatiales américaines ne voulaient plus… A la limite du concept des Liberty Ships du siècle précédent.
La sentinelle en faction devant l’ombilical d’embarquement gratifia le sergent artilleur d’un salut rapide, Simon y répondit et lui présenta rapidement son ordre de mission, ce qui semblait désintéresser la sentinelle au plus haut point.
_ Tu appartient au détachement du Saratoga, marine, ou bien au 5ème ?
_ 5ème peloton Sergent.
_ Alors à l’avenir, quand on te présente un justificatif pour embarquer sur notre rafiot, tu prends la peine de l’authentifier.
_ Oui sergent.
Simon abandonna le volet disciplinaire, il n’avait pas levé la voix, ce genre de numéro n’était pas son truc ; il quitta la gravité artificielle du dock pour effectuer sa transition zéro-G jusqu’à l’intérieur du Detroit. Même si ce dernier accusait un peu la rigueur des longs voyages spatiaux, il était propre comme un sou neuf, vu de l’intérieur. A l’aide de lignes de couleur peintes sur le côté des coursives, Pelles s’orienta jusqu’aux quartiers de l’équipage pour trouver son officier commandant.
Le CO du cinquième peloton était, chose surprenante, un capitaine ; un métisse asiatique à la trentaine bien sonnée ; il tapotait négligemment sur le clavier de son terminal, fumant un cigare, en totale violation des règles de sécurité incendie du bord. Simon toqua sur l’écoutille ouverte et l’homme lui fit signe d’entrer, le sous officier le salua puis lui présenta son ordre de mission.
_ Sergent artilleur Pelles au rapport, mon capitaine.
_ Asseyez-vous Pelles.
La chaise squelettique en ferraille accueillit la masse du marine en grinçant un peu, malgré le revêtement antidérapant tapissant le pont.
_ Bienvenue au 5ème peloton, je suis le capitaine Cable ; autant vous mettre au parfum, ce vaisseau est bien ce à quoi il ressemble, un placard. J’ai jeté un œil à votre dossier, vous vous êtes fait débarquer de Force Recon lors de votre second déploiement. Vous ne serez pas dépaysé Pelles, ici tout le monde a une bonne raison d’avoir été casé au placard ; l’Etat Major ne nous aime pas et on le lui rend bien.
Simon garda le silence, ce qui ne gênait pas son interlocuteur ; l’homme avait un regard perçant et il jouait de son cigare pour ménager des pauses dans son discours, visiblement c’était un officier très assuré.
_ Moi aussi j’ai une bonne raison d’être au placard Pelles, voyez-vous, je viens du renseignement ; vous constaterez que parmi tous les déchets qui constituent notre unité, tout le monde est compétent dans son domaine, ce qui explique que nous n’ayons pas été mis à la porte ou envoyé à Fort Leavenworth. C’est là une excellente opportunité pour rebondir Pelles, vous serez mon sous-officier le plus gradé, aussi je compte sur vous ; je veux faire de ce peloton une unité efficace, si efficace que l’Etat Major ne pourra plus se passer d’elle, vous saisissez ?
_Oui monsieur.
_Le corps des marines est une énorme machine verte, pour obtenir des rouleaux de papier cul il faut deux formulaires en six exemplaires avec le visa de trois personnes différentes ; bref, si vous voulez quelque chose, faites le vous-même. Ce que je veux vous dire, c’est qu’ici tout se réglera en interne.
_J’ai compris ma leçon la dernière fois, monsieur.
_Tant mieux, parce que ce qui se passe sur le champ de bataille, reste sur le champ de bataille. Nous faisons un job de merde, mais il a des compensations coutumières. Le droit militaire ne les reconnaît pas, mais notre hiérarchie n’a aucun besoin de venir mettre son nez dans les pratiques de notre unité… Nous lui donnerons des résultats et elle tournera la tête.
Cable n’avait pas besoin de son montrer antipathique pour être menaçant, tout dans sa confiance en lui signifiait que les choses allaient dans son sens de facto ; il avait l’évidence d’un rouleau compresseur, ceux qui restaient en travers de sa route, finiraient immanquablement écrasés, c’était juste une question de bon sens. De son côté, Pelles, même s’il avait un certain sens moral, éprouvait vis à vis de sa hiérarchie et de l’action de son gouvernement d’adoption, une loyauté que les réalités des opérations spéciales et de la guerre avaient sérieusement refroidie.
_A vos ordres, mon capitaine.
_Bien, je suis content de voir que nous nous comprenons ; nous ferons de l’excellent travail ensemble.
Et alors que le peloton se préparait au déploiement, Simon eu le loisir de vérifier les propos de son supérieur, le 5ème était constitué de beaucoup de repris de justices, individus à tendances psychopathes et en général d’individualités affirmées. A se demander comment tous ces gens avaient pu faire leurs classes, ou se soumettre à une quelconque autorité ; mais les temps étaient durs, c’était la guerre et beaucoup d’argent était en jeu… Le désormais très populaire service pénal aurait été inconcevable cinquante ans plus tôt. Néanmoins, les marines avaient gardé une part de leur identité d’antan ; l’esprit de corps était très fort, «semper fidelis», et cet état de fait suffisait à unir les têtes de mule, ça et un encadrement musclé.
Mais le 5ème n’était pas qu’un nid à problèmes, c’était aussi un vivier à compétences ; quitte à ne pas écoper de la crème, Cable avait visiblement opté pour les plus compétents des salopards. Il y avait deux autres anciens de Force Recon, un tireur d’élite du SSP, un électronicien du CEW, quelques anciens scaphandriers de combat, démineurs, paramédicaux… Il n’y avait qu’à faire son choix. Le peloton se divisait en deux sections de huit hommes sous la supervision d’un sergent, Rajeev, le second sergent de Cable, n’avait pas l’air sympa ; votre juteux typique qui beugle à la première occasion.
Le reste du staff se composait des équipages de navette, des adjudants détachés au peloton par l’aile aérospatiale du Corps, et pour finir, le fin du fin : le synthétique du bord, un androïde à l’apparence d’une asiatique d’une quarantaine d’années.