• Cimetière Evergreen, Complexe Urbain de San Drad, Terre
  • 23 Septembre 2054
  • 10:27 Heure Locale

Christie fut enterrée le mardi matin suivant, n’ayant pas de costume pour la circonstance, Simon se rabattit sur son uniforme qu’il avait techniquement encore le droit de porter, du moins jusqu’à la fin de sa convalescence et la signature de ce fichu E-114. La famille Delgado, contrairement à ce qu’avait pu imaginer Simon, n’était pas une bande de cas sociaux peu soucieuse du devenir de la petite Christina ; non, c’était une famille nombreuse du bario, certes, mais dignes et aimants ; Christie avait juste fait ce qu’il fallait pour que ses frères et sœurs plus jeunes aient une meilleure chance, en quittant la maison. Lena entraîna Simon au moment d’aller présenter ses condoléances aux parents de Christie.

_ Lena.
_ Madame Delgado, je suis vraiment désolée.

Le père Delgado était un petit homme robuste et sombre, il serra fermement la main de Simon.

_ Senor Delgado, toutes mes condoléances.
_ Merci sergent.

Simon présenta ensuite ses condoléances à l’épouse, et celle ci lui demanda comment il avait connu sa fille, Lena lui coupa l’herbe sous le pied.

_ C’est mon oncle Simon, il s’est installé en ville récemment.
_ Oh, c’est bien Lena, j’étais inquiète que tu te retrouves sans nulle part où aller.

Ce n’était ni le moment, ni l’endroit pour régler la question, Simon se tut et resta aux côtés de Lena jusqu’à ce qu’ils quittent le cimetière.

_ Oncle Simon, c’est un peu éculé comme truc, non ? Je ne me demande pas si la vérité aurait été moins suspecte ?
_ Désolée, les Delgado sont des gens bien et je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent.
_ Tu vas te faire vider de ton appartement, si je comprends bien.
_ Il y a des chances, je n’arriverai pas à payer le loyer avec un mi-temps à l’épicerie, et ces enfoirés du conglomérat payent une prime aux propriétaires pour chaque logement libéré, ces vautours tiennent déjà leurs bulldozers prêts à défoncer toute la vieille ville.

Simon n’avait jamais vu Lena sérieuse, c’était un triste spectacle ; il lui tapota l’épaule d’une façon aussi amicale que possible.

_ Et ta famille ?
_ Tu crois que je m’en serai inventée une si j’en avais eu sous la main ?
_ Il y a des foyers de la jeunesse en ville ?
_ Non merci, les corporations subventionnent ces endroits ; si tu as un potentiel académique, ils t’engagent, si tu n’en as pas, ils t’engagent quand même… Je n’ai pas envie de me retrouver à faire la pute pour les cadres ou les mineurs d’une installation hors-sol.

Simon garda le silence, conscient que tout ce qu’il pourrait trouver à dire serait une connerie. Pour quelqu’un sans famille et sans argent, la Terre n’était pas un endroit viable.

_ Je trouverai bien un plan pour me retourner, t’inquiètes pas.
_ Si tu dis ça pour me culpabiliser, ça ne marchera pas ; même si je voulais m’encombrer d’une gamine de seize ans, je n’aurai pas la place pour te loger.
_ Ton bon cœur te perdra, Simon.
_ Je sais.
_ Tu pourrai m’adopter, je suis sûr que chez les militaires ils ont un programme d’aide aux familles ou un truc du genre.
_ Non, je ne serai plus sous les drapeaux dans très peu de temps.
_ Je suis dans la merde, hein ?
_ On dirait bien que oui, gamine.
_ Je suis trop jeune pour m’engager ?
_ On en est pas encore au point que l’Etat Major soit assez désespéré pour fermer les yeux sur la limite d’âge, dans quelques années, ça pourrait être une autre histoire… Mais pas maintenant. De plus, je te déconseillerai d’aller te faire trouer la paillasse là-haut.
_ J’espérais un job plus tranquille, plante verte dans un bureau, un truc du genre.
_ Tu confonds les marines avec l’armée, chez nous, le moindre gratte-papier est d’abord un fusiller.
_ C’est décidément pas un bon plan.
_ Tu m’enlèves les mots de la bouche.

L’époque était sans merci, et Simon Pelles n’avait jamais eu l’âme d’un révolutionnaire, encore moins d'un héros.

_ Tu as combien de temps avant qu’ils ne te mettent à la porte ?
_ Deux semaines, je pense.
_ Je demanderai autour de moi, mais n’espère pas de miracle ; défonces-toi pour te trouver un plan de rechange.
_ Merci quand même.

Lena prit le bras de Simon et ils terminèrent en silence le chemin jusqu’à l’arrêt de bus.