• Lakewood District, Complexe Urbain de San Drad, Terre
  • 20 Septembre 2054
  • 15:50 Heure Locale

Samedi, le complexe associatif de la Securitas fourmillait d’activité ; Simon s’estima heureux de ne pas être venu en compagnie de Francis ou de Milo, ils auraient passé l’après-midi à serrer des mains. Au lieu de ça, Simon était allé essayer ce qui, ces vingt dernières années, s’était mis à remplacer le cinéma ; l’induction sensorielle. Bien sûr, ce n’était pas, dans l’absolu, inintéressant ; mais comme pour le cinéma, l’industrie de l’induction sensorielle produisait des œuvres fades et relativement sans intérêt ; Simon en ressortit avec une légère migraine. L’heure de la séance de rééducation approchait à grands pas, et mine de rien, il commençait à l’anticiper avec une certaine nervosité.

_ En forme aujourd’hui monsieur Pelles ?
_ A votre avis Angela ?
_ Je ne sais pas, voyons, enlevez vos vêtements, penchez vous en avant et dîtes « Ah ».
_ En forme, je vous assure.
_ Allez, allongez vous sur la table un instant que je vous branche au moniteur.

Elle enfonça l’aiguille dans la membrane du port de maintenance, Simon souffla longuement pour évacuer la sensation de douleur.

_ Ah, et bien ils m’ont déjà l’air mieux placés que la dernière fois ces petits robots, on a beaucoup marché depuis la dernière séance ?
_ Pas des masses ; je fais les exercices que l’on m’a conseillé à l’hôpital tous les matins, un peu d’équilibrage de temps en temps… je ne serai pas contre d’avoir une activité physique plus régulière.
_ Bientôt ; d’ici six semaines vous pourrez marcher tout seul, peut-être même tenir une petite foulée sur sol plat.
_ Vous savez ce qui est dur Angela ? C’est que c’est une prévision optimiste, un truc génial qui devrait me remonter le moral… Petite foulée sur sol plat.
_ Il n’y a pas que le jogging et le trekking dans la vie, en tout cas ça ne peut aller qu’en s’améliorant… Mais assez de bavardages, cinq longueurs aux barres parallèles monsieur Pelles, et faites moi plier ces genoux.

L’exercice était toujours aussi dur, les muscles artificiels ayant une réponse molle et sans sensibilité ; et pourtant, les mouvements de base visant à faire plier la rotule, venaient plus naturellement à défaut d’être faciles.

_ Vous êtes un sportif monsieur Pelles ?
_ Pas par goût, du moins pas au début ; la pratique aidant, j’ai appris à apprécier être en forme, et puis je n’aurai pas essayé le saut en parachute ou la plongée sous-marine sans impératif professionnel.
_ Exercice d’équilibre sur le tapis à bulles, maintenant.
_ Ca par contre, si à la fin je m’estime content de marcher presque normalement, j’ai comme dans l’idée que je n’en ferai pas mon hobby pour autant.

Et c’était reparti, mouvements du bassin pieds à plat, puis sur une jambe…

_ Vous savez monsieur Pelles, il y a eu de nombreux grands sportifs qui ont atteint des performances supérieures à celle de la majorité des valides, et le tout à l’aide de prothèses beaucoup moins perfectionnées que les vôtres.
_ Je sais, je suis du genre geignard ; non mais c’est vrai, de quoi je me plains ? Ce ne sont que des jambes que j’ai perdues, ça et une carrière dans le seul boulot que je connaissais vraiment !
_ J’essaye juste de vous encourager, ne tirez pas sur le messager si les nouvelles sont mauvaises.

Simon grommela, dans une posture ridicule et instable sur un appui.

_ Qu’est-ce que vous dites ?
_ Arrêtez de m’appeler monsieur et je serai tout de suite de meilleure humeur.
_ Oh, je vois… Simon, ça vous va mieux comme ça ? Vous allez arrêter de faire votre mauvaise tête ?
_ C’est une tradition, on ne nous donne pas du monsieur, et ça me met mal à l’aise.
_ Je ne faisais que vous témoigner un peu de respect, après tout vous êtes mon aîné d’une bonne trentaine d’années.
_ C’est dingue Angela, vous avez vraiment le don de tourner les choses, vous savez ça ?
_ Douée, c’est tout moi ; bien, maintenant au sol, on va faire un peu de vélo.
_ Je vous hais.
_ C’est le métier qui rentre !

Une heure trente, un peu moins fatigué mais néanmoins à plat, Simon profitait d’un massage, étalé comme une pâte à tarte sur la table.

_ Je sais, c’est pareil pour tout le monde, on voudrait que la rééducation ne consiste qu’en ça.
_ Unnnnnnh.
_ Ne bavez pas, Simon.
_ Hon, hon.
_ Dites c’est obligatoire de se faire tatouer quand on entre dans l’armée ou quoi ?
_ Plus on est nombreux et plus on est cons, ajoutez au mélange des quantités déraisonnables de mauvais alcool et on se retrouve avec un volatile tatoué sur le postérieur, une chtouille d’enfer et une gueule de bois à vous faire regretter d’être vivant.
_ C’était où cette super soirée ?
_ Au Paradisio, un hôtel, casino, restau-bar et bordel de New Ghandi. C’était en 2035, juste après qu’on ait filé une raclée à Charlie sur place ; et juste avant qu’il ne nous en colle une grosse, lors du débarquement initial sur Helen 225.
_ Et la fille s’appelait comment ?
_ Ce serait moins sordide si je me souvenais de son nom, ou si c’était effectivement bien une fille.
_ Je ne veux rien savoir de plus!

Simon ricana tranquillement.

_ Et dire que je vous ai touché avec mes pauvres petites mains, filez à la douche espèce de gros dégoûtant !
_ Oui m’dame !
_ Mardi prochain, dix heures !
_ J’amènerai mon sens de l’humour pour l’occasion !

Guilleret pour la peine, Simon s’assombrit peu à peu sous la douche en se sentant gagné par l’angoisse du samedi soir, quelque chose qu’il n’avait pas ressenti depuis très longtemps.