- Lakewood District, Complexe Urbain de San Drad, Terre
- 17 Septembre 2054
- 18:16 Heure Locale
Simon rentrait à peine chez lui, l’après-midi touchait à sa fin ; il croisa une de ses voisines, la blonde, dans l’escalier.
_ Bonjour.
_ Salut, dites j’espère que votre copine vous a dit que j’étais désolé pour l’autre soir…
_ Oh, oui ; je n’avais pas vu que vous aviez… Un problème aux jambes.
_ On peut dire ça, en effet. D’ailleurs je me demande quand ils se décideront à réparer cet ascenseur, c’est assez peu pratique.
_ Mmm, je dirai que ce n’est pas pour demain, tout ce qui touche à la vieille ville est laissé à l’abandon.
_ Génial.
_ Alors comme ça, vous venez dîner ce soir ?
_ En fait…
_ J’allais faire les courses, vous voulez que je prenne quelque chose de particulier pour vous ? Ca vous évitera de devoir redescendre.
_ C’est très gentil à vous, mais honnêtement je ne vois pas trop quoi amener.
_ Evitez les fleurs, je trouve ça mignon mais Lena déteste ça, ça coûte horriblement cher et en plus ça ne se garde pas ; les chocolats, on se jettera dessus dès que vous aurez le dos tourné, mais on maudira votre nom si l’une de nous deux prend ne serait ce que cinq cent grammes de plus à la pesée. Je pense que le mieux, ce serait encore une cartouche de cigarettes ; elle, elle fume ces horreurs aux clous de girofle, ne me demandez pas, c’est son trip post-goth romantique… Moi, je suis votre junkie Malboro classique. Ca fait deux ans que j’attend que Lena sorte de l’enfance vous savez, mais toujours aucun signe d’amélioration notable en vue.
Simon garda un sourire à tout épreuve, il était largué et cette gamine causait comme une mitraillette.
_ Vous savez quoi ? Je vous fais confiance, prenez ce qu’il faut, tenez voilà cinquante billets.
_ Monsieur est royal, ce soir, 21h ; vous pouvez venir en tenue décontractée.
Elle dévala les marches avec une agilité que Simon lui envia. En poussant sa porte, Simon resta un moment debout sur le seuil à contempler son intérieur.
«Ca ne ressemble à rien.»
Pendant quelques courtes minutes, il envisagea la possibilité d’un effort de décoration, puis l’abandonna pour l’immédiat réconfort d’une sieste réparatrice accompagnée d’un antalgique. La fonction réveil de l’omni-home s’activa, baignant progressivement la pièce dans une lumière bienfaisante, lançant la lecture d’un clip audio sélectionné par l’utilisateur. Simon s’étira, remua les doigts de pied.
«Merde.»
Il les avait sentis bouger, mais son regard lui confirmait bien que ses jambes se terminaient au niveau des cuisses . Un soupir, il fouilla sa chambre du regard et se redressa sur les coudes ; les prothèses attendaient bien patiemment, raccordées à leur chargeur.
«Futur mécanicien éclopé, tentant de s’envoyer son kiné et vivant à côté de deux ados hystériques, le tout dans un quartier où on tire au lance roquette sur les voitures de polices, et où il faut un flingue pour aller acheter ses œufs… Je ne suis pas sûr de vouloir être réveillé.»
Il se força à ricaner en réponse à sa blague mentale, se trouva stupide et entreprit de se lever ; c’était l’heure et il ne voulait pas avoir l’air d’un zombie.
L’appartement des filles du 22B n’était pas bien plus grand que celui de Simon, la seule différence c’est qu’il avait l’air habité, et que ses occupants aimaient visiblement personnaliser leur environnement. Des étoffes, de la couleur, et même des odeurs agréables masquant le tabac froid.
_ Vous voulez vous asseoir ?
_ Vous avez une chaise ?
Les poufs du salon ou le canapé assez bas ne conviendraient pas trop, le moins Simon devrait rapprocher ses fesses du sol, le plus aisé il lui serait de rentrer chez lui.
_ Bon, présentations ; Lena, vous me connaissez déjà, charmante épicière, promise à une glorieuse et décadente errance à l’université de Californie, je choisirai la matière plus tard… Ma colocataire, blonde et mieux dotée par la nature, mais cependant moins mystérieuse…
_ Christie, ne l’écoutez pas, elle tente toujours de me faire passer pour une pom-pom girl ; moi au moins, je finis le lycée sans avoir recours à un hacker pour falsifier mon dossier.
_ Simon, voisin éclopé, je vous passe les détails ; bientôt au chômage.
_ Alors salut Simon.
Elles sortirent des bières du frigo et l’invitèrent à s’asseoir dans la cuisine, sur une chaise relativement accessible. Le repas fut un moment sympa, certaines choses ne changent pas quelle que soit l’époque ; Simon fit uniquement attention à ne pas trop longuement parler de lui, il n’était pas un animal social accompli, et en général, pensait ennuyer les gens n’appartenant pas à «son milieu». Les pâtes étaient bonnes, le fossé générationel pas infranchissable ; pour finir, tout le monde riait franchement sur le crumble aux fruits rouges, qui a lui seul aurait valu le déplacement.
_ …et là le Gangstah sort son bling bling spécial du samedi soir, nous braque ; bang ! bang ! Je me jette en boule sur le trottoir ; les œufs sont foutus, la bière est sauve, Hosanna ! Quand je reviens à moi, Simon tient son pétard bien à deux mains et le Golden Boy est au tapis. Tu le crois ça ?
_ Ca n’est jamais que la cinquième fois que tu me le raconte, Lena.
_ Ce qu’elle ne te dit pas, c’est qu’une fois le coup de sang passé, je me suis affalé comme une merde contre la grille d’à côté et que je n’en menais plus large.
_ Je veux bien l’imaginer, ces gars des Golden Boys sont une bande d’allumés, pas des vrais truands mais bien du genre à vous suriner pour un dollar et douze cents… Normalement on ne les voit pas dans le quartier, ils sont plus à l’Est, vers Watts.
_ Espérons qu’ils y restent, j’ai eu mon compte… Bon, c’était vraiment sympa ce dîner, mais je commence à tourner de l’œil, les médicaments et la bière ne font pas bon ménage. Vous voudrez bien m’excuser mesdemoiselles.
_ Bonne nuit Cendrillon.
_ Bonne nuit Simon.
_ Bonne nuit, les filles.