Le Jupiter Garage, l’endroit ne payait pas de mine, c’était un ancien entrepôt ferroviaire, le hangar était devenu le corps de l’endroit et la zone de parking, clôturée de grillage et de barbelés, servait de casse.
Simon regardait avec intérêt la porte coulissante ouverte sur la casse, on devinait d’ici de véritables trésors en train de rouiller. Le garage était grand et étonnamment calme, au bout d’un moment, un asiatique d’un certain âge sortit du module préfabriqué qui servait de bureau, un chien hirsute, de race indéfinissable, l’accompagnait en remuant la queue.
_ Monsieur ?
_ Bonjour, voilà j’ai lu l’entrée de votre établissement sur l’annuaire du complexe ; il y est dit que vous vendez des véhicules d’occasion…
Une lueur de compréhension passa dans les yeux du vieil homme.
_ Oh, je vois. Cette annonce n’a pas été mise à jour depuis au moins quinze ans, voyez-vous nous ne revendons plus de véhicules… On en répare plus beaucoup non plus, les constructeurs sont jaloux de leur monopole, il est très difficile d’obtenir des pièces à des prix concurrentiels.
_ Et chez les constructeurs indépendants ?
Pour toute réponse, le garagiste coula un regard torve en direction de l’importun.
_ Vous voulez m’apprendre mon métier jeune homme ?
_ Merci, on ne m’a pas appelé « jeune homme » depuis une éternité… Enfin, quand au métier, loin de là mon idée, mais il est vrai que les affaires n’ont pas l’air bonnes.
_Je vois, vous êtes encore un de ces promoteurs envoyés par le conglomérat pour racheter mon terrain, c’est ça ?
Simon soupira, basculant lentement son poids d’une jambe sur l’autre, les deux mains fermement appuyées sur sa canne.
_ Je ressemble à un employé du conglomérat de San Drad ?
_ Non, très bon déguisement d’ailleurs.
Edmond Lee sourit et haussant les épaules invita Simon à le suivre.
_ On va prendre un café. Monsieur ?
_ Simon Pelles. Ce sera un thé pour moi, si vous avez ; dépassé les cinq litres de mazout dans une journée, je deviens un tantinet nerveux, monsieur Lee.
Edmond Lee était un type plein d’humour, à l’origine il avait été ingénieur chez Aerotech ; fatigué et un tantinet démoralisé, il lui était aujourd’hui impossible de tenir un établissement comme celui… S’il n’avait été propriétaire de la casse avant la construction du complexe urbain, il aurait fini à la rue.
_ Les jeunes ne veulent plus se lancer dans ce genre d’affaires de nos jours, soit ils vendent de la drogue, soit ils entrent sous contrat avec une des compagnies du conglomérat, ; là au moins ça leur assure un logement et une assurance maladie correcte.
_ Ca se comprend, mais il y a des trucs que les compagnies d’automobiles ne font pas et qui pourraient intéresser une clientèle locale.
_ Comment ça ?
_ La préparation de véhicules a toujours été un domaine qui rapporte en Californie, non ?
Ed Lee s’esclaffa.
_ C’était du temps des moteurs thermiques !
_ Ecoutez Ed, il y a en Inde, en Chine, en Afrique et au Mexique tout un tas de graisseux qui fabriquent leur propres pièces pour faire tourner des antiquités qui ne sont plus produites depuis longtemps ; ces gens là ont accès au réseau global, je suis sûr qu’ils seraient heureux de se faire quelques dollars en usinant des pièces pour vous. Ils vendent peu cher, vous n’avez que les frais de livraison aérienne.
_ Monsieur Pelles, je n’ai plus l’âge de me lancer dans des aventures de ce genre ; j’arrive à peine à sortir d’une fosse à vidange sans me coincer le dos !
_ Je pourrais peut-être vous aider.
_ Sans vouloir vous offenser monsieur Pelles, vous n’avez pas l’air en bien plus grande forme que moi… Et quand bien même vous seriez un mécanicien compétent, je n’ai pas de quoi vous payer.
_ Je serai d’attaque bientôt d’après les toubibs, quand au salaire, disons que vous pourriez me payer en nature.
_ QUOI ? !
_ J’apprécie votre humour monsieur Lee, enfin jusqu’à un certain point… Je vous explique : vous me donnez l’épave de mon choix et je la retape sur mon temps libre, la location du garage et des outils me fera lieu de salaire pour les premiers mois.
_ Vous êtes plein de bonne volonté, je vous l’accorde mais c’est insuffisant ; Il faudrait au minimum un second employé, où comptez-vous trouver un mécanicien qualifié qui travaillerai pour des cacahouètes ?
_ La Veteran Administration ou bien le bureau de réinsertion des détenus, vous seriez curieux de voir combien de hors-sol qui débarquent sur Terre ont de l’or dans les mains ; pour son salaire… Laissez moi y réfléchir, j’ai peut être une solution temporaire.
_ Réfléchir, hein ? J’imagine que vous connaissez déjà la façon dont vous voulez relancer cette affaire… j’ai même l’impression que vous ne veniez pas vraiment pour acheter un véhicule, je me trompe ?
_ Non, vous avez raison ; je venais vous démarcher, il me faut un travail dans les six mois à venir, car je ne pourrai pas vivre éternellement sur mes économies. Quand au lancement de votre nouvelle activité, c’est vieux comme le monde : la théorie du substitut phallique.
_ La théorie du substitut phallique ?
Et il lui expliqua, c’était avant tout une histoire de petits garçons et de petites voitures, puis ça finissait en histoire d’hommes et de grosses voitures.