• Lakewood District, Complexe Urbain de San Drad, Terre
  • 17 Septembre 2054
  • 13:20 Heure Locale

La pendule, objet archaïque, rappela à Simon que l’heure approchait ; il se fit un moral et descendit prendre son taxi pour aller assister à sa première séance de rééducation en gravité terrestre. Il avait fait six séances pour apprendre à se servir de ses prothèses à Gateway, mais c’était loin d’être suffisant.

Le complexe associatif de la Securitas était très bien équipé, réservé aux employés de la société et à leurs familles, on y acceptait exceptionnellement des vétérans des forces armées, autant pour affirmer les valeurs de la compagnie, que façon de donner envie à ces spécialistes de faire valoir leurs compétences auprès de le boîte.
Le complexe avait la taille d’une arcologie à part entière, il était logé entre les tours « cardinales » du complexe Securitas, et proposait des infrastructures pour à peu près tous les loisirs existant ; c’était séduisant de se dire que l’on avait tout à portée de main, le tout dans un cadre propre et sécurisé, mais autant Francis que Simon préféraient se sentir chez eux dans le vieux San Drad, pas seulement comme les occupants d’une chambre standardisée.

L’endroit était agréable ; mais Angela Mullins, un mètre soixante trois de douleur tout sourire, pas même une cinquantaine de kilos, n’était pas là pour être agréable. Une poignée de main, un coup d’œil au dossier, puis aux prothèses et leur raccordements aux terminaisons musculaires et nerveuses.

_ C’est du bon boulot, ils ne se sont pas foutus de vous. Je vais brancher mon wireless sur le port de connexion de votre colonne vertébrale, ça va picoter un peu.

Euphémisme, quelque chose dont la kiné semblait être coutumière, l’aiguille de la sonde sans fil s’enfonça dans le mélange de moelle et de nano-conducteurs, le fait que les chirurgiens aient ménagé un port spécial n’y changeait rien, c’était une zone sensible.

_ Allez on y va, aux barres parallèles… Non, laissez votre canne gentiment pliée sur la table.

Simon progressa jusqu’à pouvoir se mettre en appui sur les bras aux barres parallèles.

_ Je vois que vos muscles supérieurs n’ont pas fondu.

Il sourit, se permettant un peu de fierté ; s’il y a bien quelque chose qu’il pouvait faire c’était des pompes ; la période d’hôpital, cloué au lit, avait été assez longue comme ça.

_ Seulement ce ne sont pas ceux-là que je veux vous faire travailler, allez reposez les pieds au sol et faisons quatre longueurs pour commencer !

Simon se mit à marcher gauchement, la musculature de ses cuisses et de son dos se rappelant à son bon souvenir par des élancements prononcés.

_Ce sera de plus en plus fluide avec la pratique Simon, votre corps doit juste s’adapter aux stimulations de l’interface neurale, vos muscles prendre l’habitude de votre nouvelle répartition de poids ; tout ça doit devenir un réflexe.

Air malicieux de souris, grain de beauté au coin de la bouche, cheveux bruns à la garçonne… Silhouette menue mais athlétique ; il allait être difficile pour Simon de rester dans l’entourage d’Angela Mullins tout en étant en short. Mais il oublia vite cette idée devant la concentration que lui demandaient les exercices. Elle avait cette façon enfantine de vous amener malgré vous à un résultat extrêmement pénible, et le pire c’est que l’on arrivait pas à lui en vouloir par la suite. Elle faisait bien son boulot de kiné ambulatoire, tout ce que Simon lui reprochait était de le faire avec un peu trop d’entrain. Au bout d’une heure et demie entrecoupée de petites pauses et de monitoring de son interface nerveuse, il était en nage.

_ Moi qui pensais avoir vécu le pire à Quantico…
_ Merci pour le compliment, c’était une petite séance mais vous ne devez pas vous décourager, vous ferez des progrès de façon régulière, j’en suis sûre !
_ Petite séance ?
_ A la douche monsieur Pelles, vous avez le droit de vous servir de votre canne.
_ Vous êtes trop bonne.
_ Je sais, prochain rendez-vous ce samedi à 16h.

Après une douche absolument délicieuse, passée assis à laisser de l’eau tiède dégouliner sur ses muscles endoloris, Simon se permit une petite pause à la cafétéria, regardant le programme du théâtre d'induction sensorielle du complexe.

_Hey marine, ça travaille dur je vois !

Il salua Francis et Milo qui venaient rejoindre sa table en uniforme.

_ Vous n’êtes pas sensés être en patrouille ?
_ Petite pause café, on a laissé notre VPB au garage pour qu’ils nous fassent la pression des pneus et un lavage avec polish.
_ C’est le luxe de travailler dans le privé, dites-moi.

Milo passa commande et se joint finalement à la conversation.

_ Ce qu’il ne te dit pas, c’est qu’on s’est fait tirer dessus au lance roquettes soviétique.
_ Ca marche encore ces trucs-là ? On parle bien d’une série SA, les feux d’artifice officiels du tiers monde du vingtième siècle.
_ Et des ghettos des nations industrialisées du vingt et unième, c’est bien ça.
_ Et ça vous arrive souvent ?
_ Non, je te rassure ; c’est assez rare qu’on en vienne aux armes antichar.
_ Et votre voiture ?
_ Le VPB ? Quasiment rien, la portière arrière droite qui ne s’ouvre plus, elle est légèrement enfoncée. C’est un véhicule anti-émeutes, on a prévu le coup.

Simon resta bouche bée, les gars étaient stoïques.

_ Serais-je le seul à être inquiet à cette table ? Francis, non ?
_ Tu commences à comprendre ce dont je te parlais hier soir Simon ? On a nos petits problèmes ici aussi.
_ Je n’avais pas souvenir que nous en étions arrivés là.
_ Et oui, il y a des quartiers où il ne vaut mieux pas se promener, je t’assure que ça me désole de voir pourrir toute l’ancienne Los Angeles ; mais le conglomérat le voit comme ça, isoler les foyers de criminalité.
_ Et comment comptent-ils faire ça ?
_ C’est vrai, tu ne t’es pas encore beaucoup baladé en ville ; si tu es venu en taxi, tu as du passer par un checkpoint, juste au niveau du périphérique.
_ Oui, je m’en rappelle vaguement.
_ Et bien ce n’est qu’un des très nombreux points de contrôle situés entre la vieille ville et le reste du complexe ; une enceinte de sécurité est en cours d’achèvement pour ceinturer la zone.
_ Les gens vont devenir fous.
_ Oh, ça reste la Californie ; on a une ouverture sur la mer, un soleil de plomb…
_ Que demander de plus à part un gilet pare-balles ?

Les trois hommes expédièrent leurs boissons chaudes, pensifs.

_ Sinon, toi, ça s’est bien passé ?
_ Oui, je n’ai fait des trucs qu’un gamin obèse de dix ans ferait haut la main, et je me sens aussi bien que si l’on m’avait roulé dessus avec char d’assaut ; cette kiné est diabolique.
_ Ca aurait pu être pire, elle aurait pu être moche.
_ Dis-donc, ce Francis en uniforme n’est il pas le même Francis en soutane que j’entends faire des sermons, le dimanche à l’église ?
_ Ce n’est pas par ce que j’ai fait vœu de célibat, que j’insulte le seigneur en admirant sa création.
_ Je ne te blâme pas, je dois admettre qu’elle ne me laisse pas indifférent.
_ Bien, ce qui m’amène à te donner le conseil suivant : garde tes distances avec Angie la furie.
_ Angie la furie ?
_ Disons qu’il court des histoires dans le vestiaire des hommes.
_ C’en est trop pour mes chastes oreilles Francis, tu devrais prendre exemple sur Milo, voilà un homme qui sait se tenir ! Enfin, merci du conseil, je serai sur mes gardes.

Milo soupira et fit mine de se lever.

_ On doit y retourner, on te dépose quelque part ?
_ Ce serait sympa, vous connaissez un endroit appelé le Jupiter Garage ?