_ La reconnaissance satellite confirme que les bataillons blindés chinois sont en mouvement, colonel.
_ C’est la grande offensive que nous attendions, c’est pour ce soir !
_ Un assaut blindé engageant toutes les forces des deux bataillons ennemis ne laisse aucune chance au 301ème d’infanterie de les ralentir, de plus l’artillerie ennemie clouera nos chasseurs de chars dans les bunkers de la deuxième ligne.
_ Il faut écraser ce mouvement dans l’œuf, neutraliser leur artillerie pour leur casser les reins !
_ Elle se situe bien à l’abri plusieurs kilomètres derrière les collines, une offensive de la part du 301ème se solderait par de très lourdes pertes colonel.
_ SOCOM a des hommes dans le coin ?
_ Le détachement un de Force Recon, colonel.
_ Qu’ils fassent leur tour de magie habituel et me foutent en l’air ces canons mobiles, si nous ne frappons pas les premiers, il ne restera rien de nous quand les renforts arriveront.
_ A couvert !
Le sifflement des obus en vol se fit entendre, puis un tremblement terrible, le souffle brûlant des déflagrations ; les hommes rampèrent dans leurs trous en priant. Loin derrière les collines, les canons ennemis déchiraient la nuit ; dans cet étrange ciel vert de gris, illuminé par instants, personne ne fit attention aux parachutes glissant vers le sol.
Des morceaux du marine Georges Rimmer, 22 ans, furent éparpillés sur une grande distance entre les deux armées ; sa descente s’étant trouvée dans la trajectoire de tir d’une des pièces chinoises de 175. Activant leur camouflage actif, les sept opérateurs des forces spéciales, se mirent en route vers leurs objectifs désignés ; les courants d’air créé par les batteries d’artillerie chinoise les ayant fait un peu dévier.
Simon Pelles s’approcha en silence, calant ses pas sur le rythme de ceux de la sentinelle ; une main gantée de noir se referma sur la bouche du jeune homme, étouffant un hoquet de surprise alors qu’un aiguillon se plantait dans son cou. La neurotoxine était un composé synthétique inspiré des venins de serpents les plus virulents ; le corps devint mou dans la seconde suivante, et le marine tira le corps hors de vue.
Dès que les charges de démolition exploseraient, Dee-One se retrouverait coincé en territoire ennemi ; le plan A d’évacuation tablait sur le fait que l’ennemi n’aurait pas encore lancé son offensive, profiter de la confusion pour s’écarter vers une zone d’évacuation VTOL, c’était à présent hors de question. Le plan B, pour lequel les hommes de Force Recon s’étaient équipés, consistait à se tailler un chemin au sein des unités de choc de l’APL et espérer atteindre les lignes américaines avant eux. Dee-One n’avait jamais reculé devant un challenge, même complètement dingue.
Les marines mirent de la distance entre eux et les pièces d’artillerie ; puis ils firent détonner les charges à plasma, vaporisant dans une série de sphères bleutées les canons auto-tractés de 175. Les munitions ennemies se mirent à exploser à la suite des canons, la nuit se retira devant ce feu de joie. Les sept silhouettes rampant dans la boue passèrent de l’autre côté de la colline, et devant eux, la plaine et le no man’s land se déployaient. Les chars furtifs type 101 avançaient, précédés par les fléaux à mines ; et derrière eux, les colonnes d’infanterie de l’APL attendaient le moment de charger ; les deux armées échangeaient des tirs, mais les marines du 301ème n’avaient que des lance-roquettes jetables et quelques mortiers à leur disposition, les canons laser se trouvaient bien à l’abri dans les bunkers de la seconde ligne, à l’orée de la forêt. Le lieutenant fit un rapide résumé de ce qu’il attendait de ses hommes.
_ Dee-One, on a gagné quelques dizaines de minutes, sans leur artillerie pour coller le 301ème au tapis, les Charlies sont frileux pour exposer leurs fléaux à mines ; c’est le moment de les épingler à mi-chemin entre nos lignes et les leurs, ce sera une véritable allée de bowling pour nos lasers. Eléments de deux, faites discrètement vos courses chez Charlie et foutez moi en l’air ces fléaux à mines, rendez-vous de l’autre côté.
Le groupe se sépara, Simon et Théodore «Teddy Bear» Wallace eurent la partie la plus amusante, le flanc Sud ; ils devaient traverser la piste reliant la première ligne chinoise et leurs positions arrières dans les collines. Courte observation, un nid de mitrailleuse est enterré un peu plus haut sur le côté de la piste ; ils ont probablement tout un attirail de détecteurs là-dedans, il va falloir le contourner.
Simon passe la main au dessus de sa tête, Wallace le couvrira ; d’un bond il se retrouve sur la piste et cours pour rester à découvert le moins longtemps possible ; la position en sacs de terre se trouve devant lui, il saisit son K-Bar à la lame noircie et s’engouffre comme un chat dans le trou. Quelques secondes de silence, puis la voix de Pelles sur la fréquence.
_ Clear.
Wallace bondit à son tour et va se poster près de l’entrée de la position défensive ; Simon finit de saboter la mitrailleuse et sors prudemment la tête, échange de signes avec Wallace, ils reprennent leur progression dans la boue vers le Sud. Leur cible se trouve un peu en arrière par rapport à la position où attend l’infanterie ennemie ; ce petit trou abrite un mortier anti-char… Ca n’a plus grand chose à voir avec un mortier d’ailleurs, c’est plutôt un lance missile programmé pour des attaques en piqué, sur le dessus du char, là où son blindage est le plus vulnérable.
Trois servants pour cette arme, un jeu d’enfant ; les marines arrivent dans le dos, seul le servant s’occupant de la protection de l’arme et de l’approvisionnement en munitions risque de les voir ; les opérateurs ont le nez sur leur instruments.
_ Prochain rechargement.
Un flash d’arme à feu pourrait trahir la position des deux américains, même dans le chaos d’une bataille comme celle-ci ; ils ne peuvent se reposer que sur leurs lance fléchettes pneumatiques, il va falloir faire vite et viser très juste, des fléchettes sont inutiles contre la protection balistique d’un fantassin. Douze mètres, viser l’encolure des genoux ; se préparer à couvrir la distance rapidement. Simon et Wallace se sont répartis les cibles, Wallace est meilleur tireur, il en prend deux.
Sifflement des aiguilles propulsées par air comprimé ; le troisième Charlie s’est accroupi pour recharger l’arme, la fléchette se plante dans la protection de son mollet ; il se rend compte que quelque chose ne va pas, les deux autres hommes s’écroulent avec quelques spasmes.
_Merde !
Mais déjà Pelles et Wallace se sont élancés, plus le choix ; Pelles dégaine son 45, le générateur de bruit blanc est actif ; il doit toucher au visage pour tuer. Le garde rouge se retourne et saisit son fusil d’assaut, il voit les deux formes noires qui se ruent vers lui. Crépitement automatique, le chinois est paniqué, sinon il n’aurait jamais utilisé son fusil d’assaut de cette façon ; le recul des puissantes munitions de 7.62 rend ton tir imprécis, mais à cette distance est-ce bien important ? Simon tire, deux fois, la première balle traverse la gorge, la seconde fait exploser le visage du soldat adverse en une fleur de sang ; Simon s’arrête, Wallace est touché.
L’icône de Wallace clignote en rouge sur l’afficheur tête haute du casque de Simon, pression sur la touche medic, son statut détaillé est inquiétant. Tout est noir, la combinaison qui se couvre de sang sombre et gluant ; la chaleur du corps de Wallace s’échappe en vapeur dans l’air glacé.
_ Ca va sarge, je peux le faire.
Wallace récupère du choc, il s’est injecté des stimulants ; mais la balle est dans son abdomen, la protection l’a bien ralentie. En regagnant les lignes alliées, il a peut-être une chance. Simon se penche sur la console de contrôle de l’arme antichar, il ne connaît pas bien le chinois mais les cours sur l’électronique ennemie sont encore assez frais dans sa mémoire ; il retrouve le commutateur qui coupera l’arme du réseau défensif ennemi et la passera en mode manuel. Sur le champ de bataille, des véhicules blindés chinois explosent déjà par deux «tirs amis».
_ On est à la traîne, on aura droit qu’à un essai, grand maximum.
Wallace ramasse les jumelles contrôlant le tir, trouve un des engins du génie Chinois le plus avancé et le verrouille.
_ Zàijiàn Charlie boy !
Le missile s’élance en chandelle, effectue sa rotation, devient autonome et plonge sur la cible. Le fléau à mines explose quand le missile percute son bloc moteur de plein fouet.
_ Fini la dentelle, on doit foncer Wallace.
Les deux marines prennent leurs carabines en main, il va falloir se tailler un chemin dans le no-man’s land et à travers l’armée populaire de libération. Les autres gars de Dee-One ont déjà attaqué leur traversée ; Simon bousille la console de commande de l’arme, il va falloir se caler sur le pas de Wallace, et le pousser au cul si nécessaire.
Ils s’élancent, il faut se tenir à distance des chars et des épaves ennemies en feu, où c’est la mort assurée. Mais Charlie sait à présent que son artillerie n’a pas été détruite par une frappe aérienne, il sait qu’un groupe de saboteurs est là… Il suffit de voir qui n’est pas au rapport, quelles stations sont hors-ligne, et alors, Charlie peut suivre la trace de Dee-One et lâcher ses chiens à ses trousses.
Simon sue, il a l’impression de perdre plusieurs litres d’eau à la minute sous sa combinaison isolante ; ils sont passés, ils seront bientôt à la moitié du chemin là où les premiers chars ennemis se sont arrêtés… Sur le HUD, deux silhouettes tournent au rouge puis se grisent ; le caporal Ramon Ruiz, 24 ans, père de deux enfants ; et le marine Jebediah Sweet, 22 ans, viennent de mourir.
Balles traçantes, bruit étouffé du projectile ralentissant brutalement au contact d’un corps ; Simon se jette au sol, son cerveau affolé essaye de lui transmettre l’information concernant la trajectoire de la balle; il roule et voit d’autres départs de feu alors que des balles s’écrasent dans la boue autour de Wallace et lui. Doigt sur le ponté, incliner le canon avec une assiette supérieure jusqu’à ce que le réticule de visée rejoigne la cible, presser la détente.
L’enchaînement de gestes prend à peine une seconde, Simon tire une grenade de trente millimètres dans la direction de l’ennemi ; il se redresse sans attendre. Wallace ouvre le feu de façon contrôlée. Depuis le sol, impossible de savoir qui est touché, jusqu’à ce qu’ils tentent tous deux de se remettre en route. Wallace chute, une balle a traversée sa jambe droite et probablement esquinté l’os.
_ Couvre nous !
Simon lâche le fusil qui pend sur sa sangle et empoigne Wallace par la lanière prévue à cet effet dans le dos de sa combinaison… Il doit le tracter. Ils pataugent ainsi dans la boue, des balles continuent de siffler ; d’autres blindés explosent à présent sous les premiers tirs de canons laser américains. Simon serre les dents, pistolet dans une main et traînant Wallace dans l’autre ; Wallace se laisse faire, toujours sous l’effet des drogues de combat, il tire sur leurs poursuivants… Le temps s’efface, Simon est violemment projeté au sol, il n’y a plus qu’un sifflement suraigu dans ses oreilles ; sa visière est détruite, son visage doit saigner, il se redresse et reprend sa progression, ça devait être une explosion, Wallace est toujours là, ils sent son poids sous sa main.
La section du sergent Zimmerman tient sa tranchée ; ils sont prêts et attendent l’ennemi ; les chars de l’APL sont coincés dans le no-man’s land et la situation tactique est dans un équilibre précaire… Ca va être une bagarre entre fantassins à présent, Zimmerman s’y entend plus qu’à subir des barrages d’artillerie. Il y a un départ de tir sur sa droite, le marine Gomez a cru voir un ennemi ; Zimmermann échange un regard avec lui puis épaule son arme pour vérifier avec sa lunette… Un homme avance vers eux, en piteux état, il titube mais continue néanmoins d’avancer ; on dirait qu’il n’a même pas réalisé qu’on lui tire dessus, ou bien il s’en fiche… Sa puce IFF est en mode passif pour éviter la détection, Zimmerman l’interroge et reçoit la réponse, c’est un américain !
Simon voit les barbelés et les têtes avec leurs casques M-5, des marines… Il voudrait s’écrouler de soulagement mais il doit continuer ; les gars s’activent et déposent un tapis sur les barbelés pour qu’il puisse passer. Le type lui parle, il a des chevrons de sergent, probablement un type du 301ème d’infanterie. Simon ne peut pas l’entendre, il forme le mot «MEDIC», il le répète plusieurs fois, son équipier a besoin de soins, immédiatement. Le sergent le secoue en le tenant par les épaules, quelqu’un essaye de desserrer l’emprise de son poing sur le harnais de Wallace ; Simon se retourne, Wallace est inconscient… Il y a quelque chose sur le sol, à la faveur d’une fusée éclairante, il voit du sang sur le tapis couvrant les barbelés. Ce n’est plus vraiment «Teddy Bear» Wallace, c’est son corps à présent, juste un corps ; ce corps trop court qui s’arrête au niveau de l’abdomen… Simon le lâche et va s’asseoir contre le bord de la tranchée, enlevant le vestige de casque qui couvrait son visage. Un infirmier est penché sur lui, il le nettoie et retire les éclats de visière qui s’étaient enfoncés dans son front et ses pommettes. Simon cherche sa carabine, elle n’est plus là ; son pistolet est toujours serré dans son autre main, il vérifie son bon fonctionnement. Le sergent du 301ème essaie de lui dire quelque chose mais ce damné sifflement est tout ce qu’il entend… Simon lui fait un sourire blafard et lève le pouce à son intention, tout va bien, tout va très bien ; l’infirmier veut lui faire un injection, Simon le repousse et se relève ; la guerre n’est pas finie.