Le café dans sa tasse était froid, devant lui, un marin du bureau du personnel naval le regardait à travers la connexion de l’omni-home DL. Le projecteur trois points rendait le relief de son visage et malgré la réduction de l’image, Simon avait la désagréable impression d’avoir le mataf assis dans son salon.
_ Désolé sergent, c’est ce à quoi sert votre pension d’invalidité.
_ Non, c’est là où vous vous trompez ; ma pension est une réparation pour l’invalidité permanente que j’ai contractée au service de la nation… Les frais annexes, médicaux et de transport doivent être pris en charge par le bureau du personnel naval jusqu’à ce qu’un médecin militaire estime que j’aie regagné le maximum de motricité possible.
_ Sergent Pelles, vous n’êtes plus sur le rôle de paye du département de la marine, de facto vous ne dépendez donc plus de nous.
Simon perdait son calme, le petit planqué semblait ignorer complètement ce à quoi IL AVAIT DROIT.
_ Je ne suis plus un membre du personnel actif, mais j’appartiens toujours à ces putains de forces armées américaines ! Aucun médecin n’a signé le E-114 à ma sortie de Gateway, j’ai mon bon de sortie sous les yeux et il n’y est aucunement fait mention de décharge de responsabilité pour regain d’autonomie.
_ Prenez contact avec la veteran administration ou le programme marine for life, je ne peux rien faire pour vous dans l’état actuel des choses.
_ Ah oui ? Et bien rendez moi mes jambes et les trente ans de ma vie que j’ai consacrés à ce pays !
_ Je dois raccrocher monsieur Pelles…
Et il raccrocha, Simon était furieux ; quelque part, un obscur scribouillard avait coché la mauvaise case sur son dossier et à présent la machine disait que Simon Pelles n’était plus un marine… Il avait de l’argent, d’assez coquettes économies d’ailleurs, mais c’était une question de principe, de fierté aussi ; on lui devait ces soins.
«Pelles, tu étais bien jeune et con quand tu t’es engagé… Je n’ai même pas pensé à ce que je ferai une fois de retour ici. Vivre au jour le jour, mettre des ronds de côté sur un plan d’épargne ; moralité je ne connais quasiment personne ici et en plus le broyeur à paperasse se déchaîne contre moi. C’est une belle journée qui commence, ah oui, vraiment!»
Simon remballa tous ses justificatifs et son dossier médical, puis appela encore un taxi ; cette fois-ci il allait se rendre directement sur place, avoir son homme en face... Qu’il ait le culot de lui dire qu’il pouvait faire des claquettes avec ses guibolles en métal. Vingt minutes après il débarquait, mobilisant tout son calme, en terrain ami, la permanence des marines. L’endroit était petit, une annexe de quartier, mais il n’était pas trop loin de l’appartement. Il s’assit le long du mur, deux gosses étaient avant lui, un parlait au recruteur et l’autre feuilletait une brochure ventant la capacité de combat des marines par toutes les conditions.
_ Vous avez vu ça, vous croyez que je ferai un bon tireur d’élite ?
_ Non.
La réponse abrupte mit fin à l’embryon de conversation, Simon coula un regard en béton sur le gamin jusqu’à ce que celui-ci comprenne à qui il avait affaire ; soixante secondes plus tard, il prenait la porte de sa propre initiative, Simon se dérida et étouffa un petit rire. Enfin, ce fut son tour.
_ Sergent chef.
_ Monsieur.
_ Sergent major Pelles, 1er bataillon mobile du 3ème marine.
_ C’est un plaisir sergent, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
_ Je sors de Gateway et le bureau du personnel naval a fait une bourde sur mon dossier, ils m’ont coché E-114 alors que j’ai à peine attaqué ma rééducation. Tout ça me fait chaud en taxi, et les kinés ne sont pas donnés non plus.
_ Je comprends sergent, vous les avez contactés j’imagine ?
_ Oui, je suis tombé sur un empaffé de marin peu coopératif ; voilà mon bon de sortie, comme vous pouvez le lire, pas de E-114.
Le sous officier scanna le code barre du document et jeta un rapide coup d’œil au dossier de Simon.
_ Je vais leur scanner avec une bafouille de mon officier commandant, histoire qu’ils s’activent sur vos remboursements sergent.