• Lakewood District, Complexe Urbain de San Drad, Terre
  • 14 Septembre 2054
  • 23:07 Heure Locale

Le pack de bière en était au chant du cygne ; Francis s’était levé pour jeter un coup d’œil sur l’étagère dégarnie.

_ Bowie ? En voyant tes vieux laser d’Ottis je m’étais dit que tu faisais dans le rétro, mais là on plonge dans le bizarre.
_ Cherche pas, je suis AUSSI anglais.
_ Alors estime toi heureux, tu aurais pu ne pas être catholique… Non mais tu te rends compte si tu t’étais trompé de foi ?
_ Tu es sûr qu’ils ne veulent pas faire de toi un commercial chez Securitas, hein Francis ?
_ Oh ils ont essayé mais je ne quitterai ma place dans la rue pour rien au monde, c’est ici bas que l’on sauve les moutons égarés, Simon.

Simon abandonna la canette vide sur la table basse et grogna.

_ Plus de bière…

Francis s’attaquait à présent à ses bouquins.

_ Pourquoi, tu veux te saouler ?
_ je dois dire que l’idée me tente assez.
_ Ca a voir avec l’équipe de nettoyage que j’ai croisée en bas de ta rue ?
_ Comment ça ?
_ On ne voit ces gars-là dans le quartier qu’une fois par semaine, à moins qu’il y ait un mort… Et ce n’était pas le jour, ni l’heure de leur passage habituel.
_ J’oubliais que tu étais AUSSI officier de police.
_ Oui, c’est vrai.

Un silence s’établit et Simon entreprit de se lever, s’appuyant d’une main sur le haut du sofa et de l’autre sur sa canne. Francis ne lui proposa pas son aide, il se faisait une idée de plus en plus précise quant au caractère de son nouvel ami. Finalement, Simon réussit à dégotter une bouteille de mauvais scotch sous l’évier de la kitchenette.

_ Pour les cas d’urgence.
_ J’espère bien, par ce qu’il sent la synthèse d’ici !

Ils se réinstallèrent tous deux autour de la petite table, le liquide ambré filant dans les verres, gouttant même à côté.

_ Alors ?
_ J’ai flingué un môme.

Et il avala sa rasade de whisky d’un coup.

_ J’imagine que la situation n’était pas simple.
_ Je ne sais pas Francis, c’était délibéré ; j’aurai pu lui donner mon fric et m’en tenir là.
_ La plupart de ces jeunes se droguent et il est difficile de prévoir comment les choses peuvent tourner… Ce braqueur aurait pu prendre ton argent et te tirer tout de même dessus, par jeu ou par panique.
_ Tu connais la rue, ça a du t’arriver… Parfois tu sais, tu devines le genre de personne que tu as en face de toi.
_ Et alors.
_ Alors, je l’ai tué ; il n’avait pas une chance… J’ai joué le touriste effrayé, l’handicapé fébrile et il a tout gobé en vrac ; ses yeux se sont détournés sur la petite d’à côté qui était avec moi, j’ai dégainé.
_ Pourquoi Simon ?
_ Par ce que j’avais la haine, l’habitude aussi ; c’était facile.
_ Avec tout le respect que je te dois marine, tu racontes un beau tas de conneries ; tu veux faire pénitence ? C’est bien. Si tes regrets sont sincères alors Dieu te pardonnera. Les choses sur Terre ne sont pas toutes noires ou toutes blanches, la situation est compliquée ici aussi, nous n’avons pas la guerre, mais nous avons autre chose. Le progrès va de plus en plus vite, les gens ont du mal à s’adapter, certains cherchent un recoin où se cacher, d’autres paniquent. Je vois des gosses armés dans les rues de San Drad tous les jours, et malgré tout mon optimisme et ma foi, je sais que certain ne pourront et ne veulent pas être sauvés. La loi des hommes ne te reconnaît coupable d’aucun crime, celle du divin est plus subtile mais le seigneur est compréhensif, c’est entre lui et toi, mais vouloir s’amender est un bon début.

Sa tirade terminée, Francis avala une bonne lampée de whisky puis grimaça.

_ Je t’ai énervé là, non ?
_ Un peu Simon, un peu… Enfin c’est surtout ce truc immonde que tu m’as filé à boire, c’est tout juste bon à déboucher un évier.
_ Hey, je ne lui demande pas d’être bon, bien au contraire ; vois ça comme ma pénitence.
_ Tout bon ami que je sois, tu ne m’en voudras pas si je ne m’impose pas de t’accompagner dans ta descente aux enfers, je suis de service demain ; il faut que j’y aille, je peux t’emprunter ce bouquin ?
_ Wilde ? Bien sûr, je le connais par cœur.
_ Ah, tant que j’y suis ; je t’ai pris rendez-vous avec un de nos kinés du centre associatif de la compagnie ; mercredi 14h, apporte ton dossier médical et ton plus beau sourire.
_ Et si j’avais prévu quelque chose ce jour-là ?
_ T’as rien de prévu ce jour là, c’est le seigneur qui me l’a dit et il ne se trompe jamais.
_ C’est marche au pas dans l’armée du bon dieu, avec toi Francis.
_ Exactement ! Bonne nuit Simon.
_ Bonne nuit Francis, et merci.

Simon se leva quelques instants plus tard en grimaçant, ses lombaires le lançaient de façon pénible ; il verrouilla la porte de l’appartement derrière Francis et sortit son pistolet du tiroir où il l’avait abandonné… Retournant sur le canapé, il entrepris de le démonter et de le nettoyer.

«Alors c’est une chose courante par ici… Le paradis n’est plus ce qu’il était.»