• Sony Towers, Complexe Urbain de San Drad, Terre
  • 8 Juiller 2054
  • 22:47 Heure Locale

La journée de travail avait été longue, l’homme en chemisette ferma doucement la porte derrière lui avant d’aller s’écraser dans un fauteuil du living room. Il était bientôt onze heures du soir, un voyant clignotait sur l’omni-home, signalant que quelqu’un avait laissé un message. Kurt se massa les tempes un petit moment puis engagea silencieusement la lecture des messages, il n’avait pas envie de rompre le silence par une commande vocale.

_ Vous avez un message, fichier audio.

La majorité des appels étaient en mode visio, Kurt eu un mauvais pressentiment et ses tripes firent un nœud lorsqu’il entendit la voix peu assurée de Catherine.

« Voilà, je pense que tu t’es aussi aperçu que notre relation battait de l’aile Kurt, ces derniers temps je suis… Je ne sais plus où j’en suis. Ce serait bien qu’on prenne un peu de temps pour éclaircir les choses… Je suis vraiment désolée. »

Pas un mot de tendresse, malgré sa gène apparente, Catherine savait très bien faire passer ses messages ; elle prétendait pour la forme qu’il ne s’agissait que d’un passage à vide, mais tout semblait d’une évidence terrible à présent, elle venait de le rayer de sa vie.

Il resta silencieux, hésita à relire l’enregistrement mais finit par le supprimer avec un soupir de résignation ; ça s’était fini comme ça, un message anonyme en mode audio, pas un avertissement, pas un essai pour discuter de tout ça… Elle l’avait évité et s’était fait la malle pendant sa journée de boulot, Catherine n’avait pas tenté de sauver leur mariage qu’elle appelait « relation », simplement par ce qu’elle n’en voulait plus. C’était l’époque, elle l’avait consommé puis jeté pour passer à autre chose.
Tout ça était d’une clarté incroyable, comme un cristal froid dans son esprit ; mais ses tripes n’étaient plus qu’un chaudron infernal et il avait envie de pleurer… Il marcha jusqu’à la salle de bains et alluma enfin, la glace lui renvoyait un reflet qui n’était pas le sien ; un quadragénaire aux épaules larges mais un peu voûtées, dans une chemisette anonyme et sentant le graillon , des cheveux mi-longs sombres et un regard lavande délavé. Où était passé ce géant au regard pétillant et malicieux, au sourire chaud ?

Kurt pensa à boire, mais finit par se dire que ce serait inutile ; il parlerait bien avec un ami, mais son répertoire téléphonique n’en contenait aucun à qui il se serait confié… Ses anciens frères d’armes ? Il n’oserait jamais, ils ne s’étaient pas vus depuis si longtemps.
Catherine avait sûrement déjà contacté un avocat, il devrait la laisser faire sinon elle exhumerai son passé et le laisserait encore plus brisé qu’il ne l’était déjà.

_ Je vais me foutre en l’air.

Il l’avait énoncé à voix haute, comme pour vérifier comment cela sonnait… Péremptoire quoi que dénué d’énergie. Et demain ? Passerait-il la nuit ? Oui, il devait envoyer sa lettre de démission ; sans préavis, ce job n’avait plus aucun sens, il ne l’aimait guère de toute façon.

Avec le courage qui la caractérisait, Catherine s’enquérit de la santé de son mari à travers leurs relations communes. Ce que lui rapportèrent ces gens l’inquiétât assez pour qu’elle se décide enfin à appeler Kurt un mois plus tard. Contrairement à l’épave qu’était Kurt, sa femme était bien apprêtée, derrière elle on pouvait voir un appartement qui n’était pas celui d’une de ses amies ou de ses parents, un appartement d’homme.

_ Bonjour.

Kurt garda le silence, la neutralité prudente du ton de Catherine le blessait encore.

_ Tu ne veux pas me parler ?
_ A quoi bon, tu as déjà pris ta décision.
_ Je comprends que tu m’en veuille, tu sais.
_ C’est bien aimable à toi d’être aussi compréhensive.
_ Ecoute, je suis vraiment désolée mais je ne pouvais pas continuer…
_ Je t’aimais, ça ne signifie donc rien pour toi ? Bon dieu, je t’aimais vraiment.
_ Je sais.

Il aurait voulu l’insulter, mais le cœur lui manqua, en larmes il mit fin à la communication et arracha le terminal de son support avant de le projeter violemment contre le mur… puis il hurla. Cet endroit, cette vie, ne signifiaient plus rien, cet homme qui travaillait dur avec la certitude d’avoir un foyer, était mort. Kurt fourra quelques affaires dans un sac et quitta l’appartement.

C’est la jungle qui avait rendu Kurt paranoïaque, chaque bruit de pas y sonnait comme le déclencheur d’une mine, chaque mouvement des feuilles créait des ombres pareilles à une silhouette en mouvement… ses nerfs avaient craqués. Il n’avait pas trop mal vécu son séjour en hôpital psychiatrique, il avait pu se reposer, lentement apprivoiser sa peur ; ce qui était difficile c’était de penser à sortir, vivre dehors, trouver du travail.

« La vie, c’est comme le café, on finit par l’aimer noir et sans sucre, afin d’apprécier toute l’amertume de la vérité, vous voyez?»

Ca avait fait sourire le médecin, et il avait opiné du chef en signant son autorisation de sortie.

Une fois dehors, ça n’avait pas été facile ; il s’était trouvé un boulot dans un fast food, dont il avait fini par devenir manager. Il s’était marié mais ça n’avait pas duré longtemps, deux ans, sa femme s’était tirée avec un agent de la Securitas. Il y eut une courte période picole, il quitta son job et se mit à dealer : matériel informatique, puces sensorielles, came et armes de poing.

Et dans ses songes, la jungle était revenue...