Le comte de minuit fit diligence pour rejoindre le 6 chemin des pierres qui roulent, c’était la ferme la plus distante du village, une bâtisse biscornue construite assez sainement au départ mais qui avait ensuite eu des prétentions de manoir, lesquelles avaient bien mal finies.
Cette chose relativement baroque trônait en haut du chemin (maintenant impeccablement pavé), la colline roulait derrière lui et de l’autre côté du chemin une pente descendait vers le lac.
Vu la taille de la masure, ce n’était pas une mission d’amateur ; le comte de minuit fit un geste dramatique avec gabardine d’ombre, lequel arracha un ricanement amical à Ranulf.
La famille Collins avait emménagée dans cet endroit au fin fond de nulle part, pour que leur fille aînée puisse se reposer, en effet la pauvre Caroline âgée de seize ans à présent, n’avait fréquentée que trop de cliniques et autres centres de repos avant l’escapade familiale à la campagne.
Gredin l’Affreux, croque-mitaine des placards, avait toujours rêvé de devenir un rock star, malheureusement pour lui, il était tellement affreux (il faisait la grande fierté de ses parents) qu’il lui était impossible de suivre ses aspirations artistiques. En désespoir de cause, il avait donc repris la charge paternelle de croque-mitaine assermenté auprès de la très honorable société des épouvantables.
Petit nouveau dans la profession, il avait écopé d’un de ces postes « placards » et n’avait pas compris le double sens de son affectation, il se morfondait donc au 6 chemin des pierres qui roulent dans un placard si petit qu’il ne pouvait pas y emmener sa guitare, juste un harmonica à la grande rigueur.
Gredin fut surpris quand on frappa à sa porte, il attendit et on frappa derechef mais plus nerveusement comme si on attendait qu’il répondit. Gredin était nouveau dans le métier, aussi il finit bien par répondre.
« Oui ? »
Un aboiement sec et lourd, puis on glissa une carte de visite sous la porte.
Rémanence Spectrale Principale THSE
Derrière la porte de son placard, Gredin siffla d’admiration, un grand professionnel avait une carte de visite qui se respecte, pour saluer son collègue il arracha une touffe de ses poils et la fit passer à son tour sous la porte.
Les présentations ainsi faites, chacun retourna le plus sérieusement du monde à son travail, Gredin en faisant des bruits effrayants (comprenez qu’il en profitait pour parfaire son harmonica) et le comte en visitant les lieux tout en traînant ses chaînes.
Dehors le pauvre Ranulf était monté sur sa colline et s’évertuait à faire-là, sa meilleur imitation d’un hurlement de loup.
Caroline Collins était un petit bout de femme tout sec, à la chevelue noire et abondante, la peau blanche et une silhouette précocement osseuse. Certains auraient dit que Caroline était gothique, et bien elle l’était mais au sens architectural du terme.
Si vous vous souvenez de nos propos sur les gens au fait de l’existence du royaume des promesses brisées, vous saurez ce qui arrive à ces malheureux en général… Bien et maintenant souvenons-nous ce qui a été dit de Caroline Collins, voilà, nous y sommes, Caroline Collins était donc de ces personnes que l’on affuble de tous les noms : médiums, sorciers et extralucides… Et bien Caroline pour son malheur était assez lucide, pour être plus précis je dirai qu’elle était tout simplement plus attentive que la moyenne des gens. En conséquence, elle avait été gentiment considérée comme un malade mentale notoire et avait fréquenté, comme susdit, des établissements bien propres où l’on parque avec délicatesse les « gens comme elle ».
Allongée toute habillée sur son nouveau lit, Caroline écoutait les bruits de la vieille maison, le bois qui craque, le vent qui siffle, le spectre de service qui agite ses chaînes et l’horripilant croque-mitaine à l’harmonica qui fait ses gammes. Ranulf, avait depuis longtemps abandonné l’idée saugrenue de passer pour un loup, puis filé vers un cours de tennis de sa connaissance à des kilomètres de là.
« Moins de bruit. »
l’Harmonica se tut dans un étranglement surpris.
« Merci. »
Un silence perplexe s’installa derrière la porte du placard.
« La fumée vous dérange ? »
Gredin émit un raclement de gorge désespéré puis répondit hésitant.
« Non, non. »
La jeune femme se redressa et alla s’emparer de son paquet sur le secrétaire.
« Cigarette ? »
« Euh, oui merci, collez-la dans la serrure. »
Caroline plaça le filtre dans la serrure et alluma la cigarette, le placard se mit à fumer pour calmer sa nervosité grandissante.
« Vous n’êtes pas mon premier croque-mitaine vous savez. »
« Ah ? Non, par ce que vous êtes ma première cliente, je suis un peu nouveau avec tout ça. »
« Z’en sortez bien, l’harmonica c’est une chouette idée. »
« Ah ça, et bien pas vraiment, j’essaye d’apprendre. Ca vous dérange, j’en suis navré.»
« Ca dépend des jours. Là j’ai les nerfs en pelote mais d’habitude comme je suis insomniaque ça n’est pas bien grave. »