Brynn Croûtenfer, conspiration nocturne

La vieille naine écoutait les bruits du crépuscule, fumant sa pipe sur le rocking-chair au pas de sa porte... Elle pouvait voir les hobbits de Hautegris, derrière leurs fenêtres, imperceptibles mouvements de rideaux alors qu'ils l'observaient.


« Hmpf! »


Son invité ne viendrait qu'à la nuit tombée de toute façon, il n'aimait pas qu'on sache tout de ses errances. La matriarche des Croûtenfer bougonna encore, le temps de sa retraite dans le vert pays touchait à sa fin ; elle finit par rentrer dans son trou, y jetant un dernier regard... Toutes ses affaires étaient soigneusement empaquetées, il ne resterait plus qu'à charger la charrette demain matin.

Le voile de l'obscurité finit par tomber sur la campagne avoisinante, et trois coups secs ne tardèrent pas à raisonner sur la porte.


« Entrez. »


Dans le froissement de l'étoffe, une silhouette encapuchonnée entra prestement, fermant la porte derrière elle.


« Hmpf! Vous saignez, heureusement que j'ai déjà pliés mes tapis. »


L'inconnu ne prêta guère attention à ce détail, il était pressé.


« Les hommes du ministre Grima, cela fait quelques temps déjà qu'ils étaient en affaire avec les brigands du Sud, à la frontière... Ils se sont enhardis et ont traversé le Minhiriath, j'en ai estourbi quelques-uns, mais ils reviendront. J'ai besoin de vous Brynn. »


La naine grommela, n'invitant pas l'homme à s'asseoir.


« Je sais, ma famille est à votre service ; j'honorerai la dette du jour des lances. Un de mes garçons est sur place, je prendrai mon petit dernier et nous le rejoindrons ; vous n'avez pas d'inquiétude à avoir pour votre trésor. »

« Deux précautions valent mieux qu'une, je vais entraîner les sbires de langue-de-serpent à ma suite dans les montagnes... Là, je leur donnerai un spectacle qui leur fera grande impression. »


Une lumière bleutée et maligne dansait dans les yeux clairs de l'homme ; Brynn Croûtenfer se renfrogna encore plus, si c'était chose possible, elle détestait la magie.


« Ce n'est pas bon de jouer avec l'esprit des gens, je n'aime pas ça... Vous bavardez l'air de rien et vous leur plantez des idées dans la tête comme des clous, ils en viennent à penser que ces idées sont les leurs et font tout un tas de choses saugrenues par la suite. Vous agissez comme les elfes, vous pensez savoir mieux que les autres ce qui est bon pour eux.»


Le mystérieux visiteur haussa les épaules, ses charmes n'avaient pas d'effet sur la naine ; elle était cependant son obligée et obtempèrerait tant que cela ne serait pas contraire à l'honneur.


« Je ne vous demande pas de mentir, Brynn Croûtenfer ; j'aurai un témoin de bonne foi et cette partie de mon plan ne vous concerne en rien. Contentez-vous de garder un oeil sur qui-vous-savez. »


Brynn marcha jusqu'à la porte, l'ouvrit en grand, invitant silencieusement mais de façon impérieuse l'homme à sortir.


« J'ai hélas le sentiment que nous nous reverrons avant la fin de cet âge... Que Mandos vous emporte, vous et vos manigances ! »


Avec son rire habituel, semblant faire peu de cas du destin, le voyageur disparut dans la nuit ; le bruit feutré de ses pas faisant place au martellement des sabots d'un cheval.

Le lendemain, le trou de Hautegris était vendu, au grand soulagement du voisinage hobbit qui se méfiait de cette brasseuse naine ; qui sait quelle aventure aurait pu arriver dans le village de par sa faute ?

C'est vers un hameau près de Bree que la naine dirigea sa charrette ; Boudin, son poney, avançait à son rythme et elle ne le blâmait pas tant le chariot était chargé.

Quelques coups de balais, et la vieille maison à l'architecture douteuse fut prête à l'aménagement... Grognant, la naine se mit donc à décharger meubles, victuailles et bibelots. Après un moment d'efforts, elle put enfin souffler et se boire une bonne bière.

D'un regard en coin depuis le pas de sa porte, elle pouvait surveiller à plaisir la maison voisine, raison de sa présence ici. Demain, elle irait visiter la maison commune des Libres Frontaliers, dans un village voisin.