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Geste d'Elhod, le massacre du bois sanglant

Là où s’étendait jadis le royaume maudit de Rhudaur, qui faillit à la cause des hommes ; dans les étendues de gorges escarpées, et de bois profonds que l’on nomme la trouée des trolls ; vivent des Dunlendings, des montagnards.

C’est une fin de race, obscure, apportée à Arda dans une époque de ténèbres et de guerre ; ces temps perdus chantent dans leur sang, et la voix de Morgoth y a pris le pas sur celle des autres aïnurs.

Le clan des collines n’est pas une de ces tribus qui se soumettent au maléfique roi-sorcier d’Angmar ; ils ne marchent pas dans ses armées, et vivent loin du tumulte, cachés là où la nature est déjà un ennemi redoutable.

Mais le besoin de sang des Dunlendings du clan des collines les emmenait souvent dans des raids contre les voyageurs imprudents, ils pouvaient ainsi connaître le goût de la chair humaine, et empiler toujours plus haut les montagnes de crânes qui donnaient force à leurs guerriers.

Si les hommes des collines échappaient aux représailles, surtout celles des elfes aux armures brillantes, venus de la vallée perdue d’Imladris ; c’était grâce à une arme connue d’eux-seuls.


Dans leur plus puissant campement, fort de mille guerriers en armes d’os, de bois et de bronze ; se dressait une tente immense, tendue de peaux noires dont semblait s’écouler du sang en permanence, comme si elles venaient juste d’être écorchées.

Là s’élevaient les plus belles montagnes d’ossement, et tous les Dunlendings réveraient cet endroit autant qu’ils le craignaient.

Car vivaient là, trois sorcières ; capturées il y a fort longtemps quand l’Eriador était encore une terre de royaumes civilisés, et que les ruines étaient des citadelles aux tours élancées. On les avait alors enchaînées au puissant tronc qui soutenait la tente, elles couvrirent en une nuit l’écorce de l’arbre mort et noirci de signes cabalistiques ; il suinta soudain d’un liquide poisseux tout pareil au sang ; à la haute saison, son feuillage s’était mis à repousser, rouge carmin ; et à la basse saison, il se faisait du noir de la nuit, masquant le soleil d’une ombre qui semblait grandir au fil des ans.


Une des sorcières avait le cheveu blond comme le blé, coupé court comme chez ceux qui ceignent le haume ; elle ne portait qu’une jupe de tissus grossier qui laissait voir ses genoux écorchés ; et sa poitrine menue était couverte de spirales d’encre bleue, dont le motif n’était jamais identique pour quiconque le fixait plus d’une fois dans sa vie. Ses yeux étaient fous, elle dansait avec les lames comme une guerrière des elfes, et son cou ne se courbait pas du port de la plus lourde des torques. Parfois tranquille, elle entourait ses épaules des fourures des ours les plus puissants, mais cachait sous son manteau de cruels ekets, épées courtes venues d’Ouistrenesse. Durant les nuits où la lune montait haut dans le ciel, et où les esprits ne trouvent pas de repos dans l’obscurité, elle était habitée de la fureur des guerrier morts au combat.


Une des sorcières avait le cheveu comme la cire de l’abeille, sous son oeil droit un grain de beauté frémissait car la peur des deux autres l’habitait souvent. De terreur peut-être, ou d’avoir trop hurlé, elle était muette, et c’était grande pitié tant elle était fort belle ; nombre de Dunlendings furent sacrifiés aux trois, dans l’espoir de pouvoir toucher sa peau délicate et si différente de celles des grossières femmes de Dùn. Quiconque plongeait ses yeux dans ceux de la sorcière silencieuse percevait une infinie douleur, et tombait mort, brisé et vide comme l’os dont on a sucé la moelle. Vêtue d’une robe de lin blanc, qui laissait deviner ses formes douces, la sorcière foulait toujours le sol de ses pieds nus ; et parfois, dansait sur les cadavres du champ de bataille comme une enfant allant au bal du printemps.


La dernière sorcière, était celle dont la sagesse marquait le plus les traits ; son cheveu était noir comme du corbeau le plumage, ses yeux parfaits comme des obsidiennes, ses traits nobles et son maintient royal. Elle était plus grande que le plus puissant des guerriers du clan, et son sang chantait la terre engloutie de Numénor plus que celui du roi perdu. Elle avait été jadis le disciple de la reine éternelle Ellindiel de Siragalë, mais une querelle aussi profonde que les abysses, avait jeté entre elles le ressenti et l’amertume ; si bien que la grande reine d’Eriador ne vînt jamais à son secours, quoi qu’elle connut sa peine. Alors que ses sœurs percevaient sans toujours comprendre les mystères, elle avait l’art de déchiffrer leurs arcanes, et de les rendre en prédictions à ceux assez fous pour en payer le prix. Car dans son cœur, le monde était voué à la ruine, et elle souhaitait tant la mort des hommes que des elfes, la fin de toute chose.


Usant du pouvoir de cette trinité, le clan s’était tenu hors de l’influence hégémonique de la couronne de fer, comme il défiait aussi perpétuellement les elfes de Fondcombe. Mais un jour, cela changea.


Le clan était assemblé, la prophétesse allait parler. Une nouvelle victoire contre les Eglains de l’Est, qui pensaient pouvoir voler le bois des forêts Dunlendings, était fêtée. On offrait un sacrifice de choix aux trois sorcières, une eldar ! Le clan avait jallit de la forêt, pousuivant les Eglains en fuite jusqu’au dernier pont, et là, ils avaient rencontré sa gardienne. Elle n’était pas sans pouvoir, et nombre de Dunlendings périrent, mais elle faiblit sous le nombre, et les hommes des bois eurent raison de sa résistance.

Elle fut portée sur un autel de fer noir, la première sorcière trancha son coup blanc, la seconde pleurait en caressant ses cheveux, et la troisième plongea ses mains dans ses entrailles pour en extraire les secrets de l’avenir.

La lune montait haut et la lueur des torches se mit à vaciller, la flamme rouge devînt d’un bleu glacé et la première sorcière trembla, tressaillant de plaisir alors qu’une ombre s’emparait d’elle ; elle sembla grandir et jeta un regard furieux sur les hommes des montagnes ; sa voix était profonde comme le tombeau et elle jetta l’effroi dans le cœur des Dunlendings.


« Ah ! Quelle bien pitoyable assemblée qui tremble devant l’ombre de ceux qu’elle a assassinée ! Mais ne craignez plus, car votre peur cessera bientôt ; un frère arrive et je serai vengé ! Les morts se sont levés ce soir, et aussi vraie qu’est l’unique parole de Dannasen du Rhudaur, l’un d’entre eux chevauche déjà vers vous, le fer à son côté ! »


L’ombre brandit ses lames, dans l’espoir de faire couler le sang de ses meurtriers, mais elle ne put maintenir son emprise plus longtemps ; et la sorcière tomba à genoux, avec un rire de démente.

La seconde sorcière se coucha au côté de sa sœur, qui était aussi sa tortionnaire, et fit de son mieux pour la conforter ; elle la prit dans ses bras, la réchauffa de son corps et se mit à la carresser doucement, avant de l’étrangler tout aussi doucement ; ce ne fut que l’intervention de leur aînée qui l’arrêta.

La troisième sorcière n’eut qu’à gifler le vent du dos de la main, et une bourrasque furieuse sépara ses jeunes sœurs sans ménagement aucun… Le silence revînt après le tumulte affolé de la foule, et la voix puissante envahit la clairière.


« Orodbenya ! Votre existence touche à sa fin, vous avez été jugés, et de vos méfaits cette terre ne sera plus souillée ; le nouvel âge qui s’annonce n’est pas le vôtre. Barthan Authùan a été lâché contre vous, et la sagesse des prédictions de son maître dépasse les miennes ; nulle magie ne vous sauvera cette fois-ci. »


La haute saison toucha à sa fin, et débuta le règne de l’automne.

Les bois se couvrirent d’or et feu, chaque pas devînt un bruissement doux ; les cueilleurs et les chasseurs se mirent en quête de nourriture pour l’hiver. Les réserves furent garnies en abondance et l’hiver tarda ; les Dunlendings se mirent à douter de la prédiction.

Au fil du temps, le sinistre augure glissa de leur esprit simple, et le solstice fut là.

Chacun à sa façon célèbre la victoire de la vie sur une nature parfois corrompue et hostile ; les Dunlendings ne faisaient pas exception à la règle, et un festin était de mise. Cependant, dans la grande tente du chef, un sujet de discorde fit son apparition ; la coûtume voulait que l’on présente aux sorcières des offrandes, un des chasseurs à la voix la plus forte, et reconnu pour sa ruse et ses succès au combat, interpella le chef.


« La nourriture est rare est précieuse, et notre dernier raid bien lointain ; quelle fortune nous ont apportées les sorcières cette saison ? Aucun ! Leur dernière prédiction ne s’est révélée que fausseté et mensonge ; elles jouent à nous faire peur, si bien que nous sommes devenus leurs prisonniers et non l’inverse ! Pouquoi leur donner d’aussi riches présents ? N’avons nous pas meilleur usage des couvertures ? »


Il y avait là une sagesse certaine pour le chef, car l’esprit étroit des hommes inférieurs voit au profit immédiat, et ne se projette guère dans l’avenir.


« Tu as raison, cette saison elle apprendront à se souvenir de qui a forgé leurs chaînes, lorsque la faim et le froid les tiendront éveillées la nuit. »


Le clan était fort satisfait, on but et on mangea plus que de coutûme, les femmes repartirent avec de belles couvertures.

L’heure du loup arriva, tous étaient repus et bien disposés au sommeil ; mais loin, aux gorges du Bruinen, le sort avançait à présent. Dans la tente, la sorcière muette se tourna vers ses sœurs et parla :


« L’entendez-vous ? Barthan Authùan a passé le gué avec le solstice, et comme son pas raisonne ! On croirait entendre le marteau d’Aulë ! En vérité nous serons bientôt libérées de nos tourments. »


Et les trois femmes collèrent leur oreille contre le sein de la terre, et comme le roulement du tambour le pas discret se changea en martellement sévère ; il serait là sous l’heure, chevauchant comme le vent. Mais la troisième sorcière se redressa, lasse, et regarda ses sœurs.


« Et lui, qui le libèrera ? Même notre don ne peut prédire quel est le dessein de Mandos pour son messager. »


Cette nuit là, les montagnards du clan des collines ne trouvèrent guère de repos ; le sol semblait vibrer, battre comme un cœur qui les tourmentait sans cesse… Certains mirent cela sur le compte de l’abus de ripaille, mais d’autres se souvînrent de la prédiction funeste des trois sorcières.

Une sentinelle cherchait à percer la brûme de son regard, tant il était sûr d’avoir aperçu une silhouette ; un autre chasseur le rejoint et ensemble ils scrutèrent l’orée de la forêt, devenue soudain fort inamicale.


« Que vois-tu Hufnir, toi qui a de bons yeux ? »

« Je vois la brûme du soir là où il n’y en a qu’au matin, et toi Jarlnaf, que voient tes yeux plus sobres que les miens ? »

« Ils voient mille maléfices, tantôt un cheval, et tantôt son cavalier ; mais il se tient là sans bouger et nous observe. »


Et comme pour répondre à leurs peurs, un homme fendit la brûme ; portant un lourd manteau qui cachait ses traits, il avait au côté une épée et avançait sans crainte. Les deux Dunlendings saisirent la flèche au carquois, bandirent leurs arcs courts et fichèrent deux traits puissants dans la poitrine de l’homme qui s’effondra.


« Ah ! Est-ce là tout ce que les sorciers elfes peuvent nous envoyer ? »

« Regarde Jarlnaf comme nous avons percé ce sot de nos flèches à la pointe de bronze ! »

« Amenons le au chef, et nous serons récompensés. »


Ils prirent l’étranger par les jambes et le traînèrent jusque devant la grande tente, la nouvelle s’ébruita et tous vînrent, la torche à la main. Le chef rayonnait de puissance.


« Amenons donc cet ennemi invincible à nos sorcières, et voyons si elles trouveront quelque prédiction dans ses entrailles ! Du moins pourront elles passer l’hiver en se repaissant de sa carcasse ! »


Et tous hurlèrent leur approbation, car ils haïssaient dans leur cœur les femmes de la haute race et leurs pouvoirs maléfiques. La foule porta le cadavre jusque sur la table du sacrifice, et les trois sorcières sortirent.


La première sorcière retira le manteau de l’étranger, un homme aux cheveux qui semblaient tissés de fils de brûme et de rayons de lune ; elle aposa son couteau sur sa peau froide et blanche, puis trancha sa gorge…

Un gémissement d’horreur saisit la foule, car pas une goutte de sang ne coulait de la blessure.


La deuxième sorcière prit l’épée au côté du mort et la plaça dans sa main.

Un nouveau gémissement d’effroi parcourut la foule car la main se referma sur la poignée avec lenteur et sûreté.


La troisième sorcière déposa un baiser sur le front du mort et murmura.

« Lèves-toi Barthan Authùan, toi dont seul le nom secret peut te libérer, ton ouvrage en ce monde n’est pas accompli et longue sera ta peine ; de ton vivant tu fus un cœur généreux, met fin à notre tourment, je t’en conjure. »

Et le mort ouvrit les yeux, il se redressa et descendit de l'autel, l’épée à la main.


Il vînt à la première sorcière et d’une main délicate releva son menton et lui parla avec grande tendresse.

« Igmil-Ida, toi qui fut la lumière de Cameth Brin et la plus vaillante parmi les capitaines du Rhudaur fidèle ; je te libère. »

Et il plongea sa lame sans coup férir dans le cœur de la sorcière, qui tomba morte, un sourire aux lèvres.


Il se tourna vers la seconde sorcière et posa une main amicale sur son épaule.

« De toutes j’aurai cru que tu serai celle qui mettrait fin à mes errances, mais le jour n’est pas venu Inzil-a-Izrei ; laisse couler ton esprit le long du Bruinen et Ulmö te portera jusqu’à la cité de tes pères, puis plus loin que Tharbâd, là où toute vie a commencée, et finira. Va en paix à présent. »

Et c’est de son propre fait, que la bien aimée fleur de la cité des princes du Cardolan attira la lame à elle, la laissant tirer les souffrances de la vie de son corps mortel.


Finalement, la grande et belle aînée s’approcha, il y eut un moment de silence, un regard échangé ; et ce fut elle qui s'adressa à son boureau.

« Comme nous sommes semblables, nous les serviteurs du peuple de Finwë ; l’amour est toujours si proche de la haine dans le bouillant sang des Noldor. Toi qui parcourra ce monde encore longtemps, Barthan Authùan, va à ma maîtresse et dis lui mon amour ; qu’elle ne me conserve plus de rancune, que toute peine soit lavée entre nous jusqu’au jour où nous nous retrouverons. »

Le mort acquiesca en silence et garda le nom de la prophétesse par devant lui ; ainsi son esprit resterait-il en Arda jusque là, et obtiendrait-elle le pardon des lèvres de la reine elle-même, c’était là son souhait.

D’un revers de sa lame, il sépara sa tête de son corps, et c’en fut fini des trois héritières de l’Arnor ; un autre coup furieux trancha l’énorme tronc et brisa les chaînes de la tente, qui s’abattit alors que les Dunlendings fuyaient en hurlant.


Quelques guerriers résistèrent, mais leurs flèches se plantaient dans la chair morte de Barthan Authùan sans ralentir sa fureur meurtrière.

Il boutta le feu aux tentes, massacra sans discernement femmes et enfants de ce peuple maudit ; et une haine toute particulière habitait son cœur pour le peuple de Dùn, faisant de lui un artisan plus passionné que consciencieux ; il traqua ceux qui s’étaient enfuits à travers la trouée, et les hurlements ne cessèrent qu’au premier jour de Yule.

Le clan des collines avait disparu de la surface de la terre, comme englouti par la brûme qui étendit son règne de terreur dans les bois jusqu’à la nouvelle année.

Et le silence fit place au chœur des oiseaux, les bêtes reprirent possession des bois, le chant des elfes venant des hauteurs accompagna le soleil.

L’ouvrage de mort était fini, Barthan Authùan avait franchi le Bruinen et regagné la demeure de ses maîtres.


Il en est ainsi de toute chose, même des pires, chacune a sa place dans la musique d’Illuvatàr ; et si les méchants vous causent souffrance en ce monde, espérez, car justice leur viendra tôt ou tard.
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