Geste d'Elhod, chanson de Barthan Authuan
L’homme s’éveilla un jour dans la tour solitaire, et son hôtesse était partie ; mais Elenlachel des Noldor s’en était allée vers l’Ouest en emportant son épée, et il savait bien que la constance habitait le cœur blessé de sa terrible maîtresse.
Il y avait tout le confort qu’un roi aurait pu désirer dans la haute tour, aussi y résida-t-il jusqu’à la venue du solstice d’hiver, se forgeant une nouvelle épée selon les voies que l’enchanteresse lui avait enseignées.
Le jour venu, l’homme approcha du gué du Limraith, avec l’espoir de s’en retourner veiller sur les siens, come il le faisait chaque année entre ce jour et le premier jour de Yule. Mais dès qu’il eut placé son pied dans le flot glacé, son cœur fut frappé comme par un coup de poignard, et il s’effondra de tout son long sur la berge. Un corbeau, perché sur l’autre rive se riait de lui.
« Corbeau, cruel animal, pouquoi te ris-tu de mon infortune ? »
« La voie t’es close, l’Istari qui a fait sa demeure en Orthanc t’avertit que tu n’es plus le bienvenu sur les terres du Rohan. Jadis, tu t’es dérobé à la mort grace aux soins de l’enchanteresse Elenlachel, me privant ainsi d’un bon repas et j’ai souffert de la faim. Aujourd’hui, j’attend mon heure et je déchirerai tes yeux, dévoererai tes entrailles ; car je connais ton cœur, et tu me reviendra tôt ou tard, je te le dis. »Et l’homme de la tour solitaire fut fort dolent et bien surpris, car depuis qu’il avait appris de sa maîtresse la langue des bêtes, jamais aucune n’avait été aussi mauvaise que ce corbeau. Une seconde tentatvie de franchir le gué se solda par une douleur plus grande encore, et le corbeau de railler l’homme à nouveau.
« Viens-y donc ! Je t’attend ! Je me délecte déjà du bon festin que tu me réserves pour Yule. »
Mais l’homme avait appris sa leçon, et de colère s’empara d’une pierre, qu’il jetta avec force et adresse, au corbeau. Elle frappa la bête durement et la fit tomber de son perchoir.
« Ah, tu m’as tué moi qui suis tel que la nature m’a fait ; et avant peu, mauvais homme, tu aura à t’en repentir ! Car les animaux se détourneront de toi, et tu ira jusqu’à regretter ma compagnie. Voilà, je meurs à présent, et les Valars en seron fachés car je ne le méritai point. »Et l’homme regretta son geste car le corbeau avait raison.
« Pardonne-moi ami corbeau, car ainsi sont les hommes ; ils jugent toutes les créatures selon leur propre loi et sans connaître leur cœur. »Mais l’homme maudit ne souhaitait plus rester seul dans la tour solitaire, il se tourna vers le nord et au delà du Célébrant ; loin après les plaines fertiles de limon, d’où le vent amenait le son de la harpe les soirs d’été. Il passa le Célébrant et se changea en un cheval merveilleux, toujours sous le coup d’un enchantement d’Elenlachel.
Le cheval au crin d’or avala les plaines et arriva en vue d’une grande et belle forêt, son cœur se réjouit car il entendait le chœur des elfes s’élever ; mais sitôt le cheval s’enfonça-t-il dans les bois, qu’un chevalier tout en armes lui barra le passage. Fort et beau, c’était grande peine que son visage fut si sévère, car en vérité le cheval avait grande envie de devenir son ami. Mais l’elfe lui parla fort durement.
« Arrêtes-toi où tu es, créactre d’Elenlachel ! Maudit tu es, comme tout ce que les Mirdains ont façonné depuis Féànor et ce, jusqu’au jour où l’anneau du traîre Annatar sera détruit. Ma dame ne veut pas de spectre errant dans ses bois, aussi va et tiens toi loin du royaume de Lorien. »Le cheval baissa la tête, tout déconfit, puis se tourna vers l’ouest et les grandes montagnes. Il chevaucha comme le vent, trouva le pied d’Azanublizar et l’entrée d’une étrange maison des nains ; il y entra, mais ne trouva personne. Il y avançait, quand un démon fait d’ombres et de flammes surgit des entrailles de la terre ! Ils se jaugèrent un instant, et le démon finit par être secoué d’un rire sauvage.
« Je te connais, tu fus jadis un héros des hommes et maintenant te voici… Tous tes efforts furent vains, tes espoirs réduits à néant, ta pitoyable existence tout juste comme une piqure de moustique face à l’oeuvre de mon maître. Voici comment les elfes remercient leurs laquais, je pourrais te détruire, mais combien il sera plus cruel de t’abandonner à ton sort ! Lorsque tu aura dépéri, et que ne subsiteront plus de toi que haine et douleur, alors tu te tournera vers mon maître et renoncera aux usurpateurs d’Aman ! »Le cheval gratta du sabot contre la pierre et toisa le démon avec autant de courage qu’il put en trouver dans son cœur.
« Tu te méprends sur mon compte, je n’ai qu’une parole et ne devrait-il plus subsister de moi qu’un spectre, je resterai un défenseur de ce qui est bon en ce monde. A présent je m’en vais, mais songe bien à ceci : de nous deux, je ne suis pas celui qui doit me cacher sous terre ! »Le démon, prompt à la colère, hurla en crachant des flammes, et donna un coup de son fouet maléfique ; mais le cheval, rapide comme le vent, avait déjà filé en hénissant son défi.
Cheval fila au nord, encore une fois, et trouva une route qui traversait les montagnes ; elle était déserte, si ce n’est un vieux mendiant qui marchait, s’appuyant sur un bâton. Le vieux fit de la peine à Cheval, qui lui présenta son encolure ; le mendiant grimpa sur son dos, et ils cheminèrent tous deux jusque dans les terres de l’ouest.
Un soir, où le mendiant était assis près du feu, il se tourna vers Cheval et lui dit :
« Ami, tu as été généreux avec moi, et je souhaite te remercier ; dis-moi je te prie, ce qui pourrait faire ton bonheur. »Et le cheval rit, car l’homme devait être un lunatique pour espérer obtenir une réponse compréhensible de la part d’une équidée ; avec humour, la bête lui parla dans sa langue.
« Que pourrai-je désirer, moi qui ne suis que Cheval ? Avoir l’herbe sous mon sabot, humer le vent dans mes nasaux, et cheminer librement sans jamais manquer de rien ! »Mais le rire du cheval, qui se croyait bien malin, mourrut quand le vieux lui répondit.
« Par la grâce qui m’a été conférée par le Roi de ce monde, je t’accorde ton souhait ; tu pourra chevaucher comme et quand bon te semble, tu ne manquera jamais de pitance pour te sustanter, ni d’eau pour t’abreuver. »Et le cheval sut que l’homme ne mentait pas, car passé le premier jour de Yule, il resta cheval et ne redevint point homme.
« Vieil homme, en vérité grande est ta magie et je suis bien dolent de m’être ri de toi. »
« Tu fus guerrier, impétueux comme le cheval, c’est là une qualité qui peut parfois jouer de vilains tours ; mais Radagast n’est pas sans cœur, et tant que tu as apprsis ta leçon, tu pourra reprendre forme humaine si tu le souhaites. »Et l’Istari brun indiqua au cheval que le moment était venu pour eux de se séparer.
« Maître Istaria, merci pour cette le çon, sois assuré que je ne l’oublierai pas de sitôt. »
« Adieu mon ami, chevauche comme le vent ! »Et heureux d’avoir vécu cette belle aventure, Cheval poursuivit seul sa route vers l’ouest.
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S’abreuvant à une source, il entendit un jour, une complainte si triste qu’il en fut tout boulversé. Tournant ses sabots dans la direction d’où provenait le chant, il trouva une clairière. Il y avait là une elfe, qui était fort beau mais empli d’une grande tristesse ; Cheval s’avança et s’enquit poliment de ses soucis.
« Bel ami, pourquoi pleures-tu ? Il m’est fort pénible de voir si noble créature d’Illuvatàr accablée par tant de chagrin, qu’elle en est donc la cause ? »Mais déjà, l’elfe avait changé de visage, à la seule vue du grand cheval à la robe dorée.
« Heureuse rencontre ! Mes yeux osent à peine croire le spectacle qui d’offre à eux, tu es Meharas ! Et comme ton port est altier ! En vérité, je ne pensais plus jamais revoir créature pareille à toi, et l’appel de la mer commençait à me prendre ; mais ma peine s’envole à ta vue, et je vois bien de par ta seule présence, que le temps de quitter cette terre que j’aime n’est pas encore venu ! »Et cela réjouit fort Cheval, qui piaffa joyeusement.
« Ami barde, dis moi ton nom ; car cette terre si belle, ta voix la chante avec tant de grâce, qu’en vérité je ne veux plus te quitter. Allons ensemble, si tu le veux bien, et je serai très heureux. »
« J’ai pour nom Linternil, et n’oublies pas ce nom car c’est celui de ton ami. »
« Tant que mon âme sera sur cette terre, sois-assuré que je n’oublierai pas Linternil, prince agile à la voix de cristal. »Et ils s’enfoncèrent dans les bois, prenant des sentiers inconnus aux hommes ; visitant maints endroits encore secrets. Linternil chantait pour son ami Cheval, afin de lui conter le nom et la vie de tout ce que leur regard croisait, leur route fut une chanson sans fin, qui louait Illuvatàr et les œuvres des aïnurs ; ils ne manquaient de rien et leur bonheur était parfait.
Un jour, alors qu’ils quittaient la compagnie de maître Tom et de la dame des rivières ; ils allèrent trop au Sud, et dans le ciel azuré, une mouette poussa son cri plaintif. Ce fut une fêlure, car tant Linternil que Cheval connaissaient le language des bêtes.
« Hélas, le cri de la mouette m’appelle vers l’Ouest. »
« Le temps des elfes touche à sa fin, bel ami ; part, à présent que tu as pu faire tes adieux à tous les endroits de la terre du milieu que tu as pu aimer. »Mais ce n’était pas sans une grande tristesse que Linternil devrait se séparer de Cheval.
« Partira-tu avec moi, mon frère ? »Et Cheval sentit son cœur se déchirer.
« Je ne le puis, nul homme ne le peut ; car il est une chose que tu ignores à mon sujet, je ne suis cheval que par la grâce d’un Istari, et le caprice d’une enchanteresse. »Et Linternil pleura amèrement.
« Alors il me faudra te faire mes adieux, à toi aussi. »
« Plus tard, car je te mènerai vers les Havres Gris ; je ne te quitterai pas tant que ta voile n’aura pas disparue à l’horizon. »Et les deux amis prirent la route de l’Ouest, jusqu’à croiser le Lhûn et arriver en vue des tours élancées de Mithlond. Les elfes se retournèrent sur le passage de Linternil, car il chevauchait une créature aussi majestueuse qu’étrange.
« En vérité, Linternil portait bien son nom, car il chevauche comme un prince. »Et il s’arrétèrent au bout de la jetée, où attendait un grand bateau à la voile blanche.
« Voilà, c’est ici que se termine notre route ensemble, ami Cheval. »
« Mais pas notre amitié, oh Linternil ! Elle vivra dans ton cœur à jamais, dans les terres immortelles. »
« Et qu’en est-il de toi ? »
« Je crains que lorsque tu sera parti, le chagrin ne me brise ; et tout souffle quittera ma poitrine… Mais ce sera sans regrets, car cette vie sans ton aimable présence, mon prince, ne serait que torture cruelle. »
« Dis-moi ton nom secret, ami ; je chanterai pour toi. »
« Mon nom tu le connais, je n’eut pas à te le dire, car tu l’appris dès notre première rencontre… Mais ce n’est pas à toi d’en user pour me libérer, porte-le à ma maîtresse au delà des mers ; dis à Elenlachel du peuple de Finwë que c’est avec gratittude et tendresse que je songe à elle. Si mon cœur n’avait déjà contemplé la beauté d’une femme, comme un écho au chant de mon âme ; alors sans nul doute, la dame de la tour solitaire en aurait-elle eu le dominion. Mais je suis fidèle, en amitié comme en amour. »Linternil s’efforça de faire bonne figure, car ce moment était terrible.
« Si tu l’aimes comme tu m’as aimé, alors c’est une dame fort chanceuse en vérité ; adieu fils du Rohan, Linternil ne t’oubliera jamais. »Et il s’embarqua pour doubler le cap de Tol Eressaë, et retrouver la paix d’Aman.
Sur le quai, Cheval resta dressé et ne quitta pas l’horizon des yeux ; lorsque la voile de Linternil ne fut plus qu’un point sur l’horizon, il se dressa sur ses pattes antérieurs et salua sa disparition… Dans un hénissement, Cheval tomba mort sur la pierre du quai.
C’était l’émoi chez les elfes du Havre Gris, tous étaient peinés de voir une si belle créature tomber morte, mais nombre savaient pourquoi… On s’en alla quérir Cirdàn, roi charpentier, qui vînt décider ce qu’il serait fait de la bête.
L’auguste sage examina la bête, et son visage se durcit à mesure qu’il voyait ce qui avait échappé à l’oeuil vulgaire.
« Ce n’est pas du crin, là sur cette créature, mais des fils d’or, d’argent de cheveux tressés ! »Et Cheval bougea, son oeil s’ouvrant à nouveau sur un monde plus gris et plus triste ; Cirdàn s’exclama.
« Ce n’est pas un oeil, mais un saphir poli tout comme pour en donner l’illusion ! »Cheval était bien surpris d’être le centre de tant d’attention, il se redressa lentement ; et Cirdàn finir de s’ébahir.
« Ce n’est pas la la chair et le muscle, mais l’ivoire finement travaillé ! Ce n’est guère un cheval mais une pièce faite tout comme, et voyez comme elle s’anime ! Aux armes Teleri ! C’est le tour d’un Mirdai ! La malédiction des Noldors menace de frapper ! »Et se souvenant du Nolodlantë tout comme de la folie de Celebrimbor, les elfes se saisirent de leurs armes et donnèrent la chasse à Cheval, jusqu’à le repousser vers l’Est, où sa présence ne les menacerai plus.
Seul, sentant un grand froid l’engourdir alors que son coeur avait cessé de battre ; Cheval était perclu de chagrin. Il erra, et les créatures vivantes se détournèrent de lui ; l’abandonnant à la solitude et à la folie. Il oublia son nom, oublia qu’il avait été homme, et erra comme une âme en peine.
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Dans la lointaine et secrète vallée d’Imladris, en la maison d’Elrond le semi-elfe ; on sentait aussi venir la fin de cet âge, souvent, lorsque le vent venait de l’Ouest, les elfes tendaient l’oreille pour entendre l’appel de ceux partis au delà des mers.
Un soir, sur l’une des terrasses de la dernière maison simple, Maemelethril la blonde écoutait les nouvelles de l’Ouest, et elle entendit un chant qui surpassait les autres de tristesse et de beauté ; toublée, elle s’en alla quérir le conseil du sage prophète Elrond.
« Seigneur, j’ai tantôt entendu le chant de Linternil qui fut un ami doux et honnorable ; il parle d’une créature bien étrange, toute semblable à un cheval merveilleux, et qu’il aimait tendrement. »
« Je sais cela Maemelethril, et je sais aussi que tu va demander ma bénédiction pour te mettre en quête de cette créature. Mais je te mets en garde, il n’est plus le même qu’aima notre frère Linternil ; ce que tu entreprendra pour lui, ne pourra le sauver, tout juste alléger sa peine en ce monde. »
« Serai-je en péril dans cette entreprise, seigneur Elrond ? »
« Oui, tu le sera. »Mais comme tous les elfes, Maemelethril était citoyenne soldat, et elle avait fait le vœu de ne jamais arpenter les routes de la terre du milieu dans la crainte ; tant que sa lumière et sa voix porteraient, les ténèbres trouveraient avec qui avoir affaire.
« Si ton cœur n’est pas contre mon vœu ; alors par amitié pour Linternil, je me lancerai à la recherche de son ami et lui porterai secours. »
« Saches que ce n’est pas par les armes que tu maîtrisera la créature, garde Linternil à l’esprit et tu trouvera l’objet de ta quête ; lorsque cela sera fait, mène la créature jusqu’à moi, et je t’assisterai de tout mon pouvoir comme un bon seigneur, et un ami fidèle doit le faire. »Et Elrond embrassa le front de Maemelethril avant de la laisser partir.
Maemelethril passa Mibcrist, son épée, au côté ; enfila un manteau et prit une lanterne, puis elle quitta Imladris.
Elle chemina par les sentiers secrets des elfes, demanda aux bêtes des bois, des rivières et des montagnes si elles avaient vu un cheval d’or passer, et suivit la trace de la créature. C’est loin au Nord qu’elle trouva enfin une piste ; croisant une compagnie de rôdeurs, qui se montrèrent respectueux et courtois, elle entendit ceci :
« Il y a un cheval fou, grand comme un chêne ancien, et au crin doré ; il rôde dans les cols du Ram Duâth, frappe l’orc et le Dunlending avec grande furie. A plusieurs reprises on le crut mort, percé d’autant de flèches et d’épieux ; mais à chaque fois il s’en revient comme si nulle arme ne pouvait lui arracher la vie. »Et Maemelethril avisa les noirs nuages de l’Angmar ; elle rassembla son courage et s’engoufra dans les couloirs sinistres du Ram Duath.
Mais à chaque fois qu’elle apperçut le cheval d’or, il l’avisa et sembla prendre grande peur ; s’enfuyant au triple galop.
« Quelle étrange aventure, une bête qui ne peut mourir semble me craindre comme un ennemi mortel. »Et des jours durant, il en fut ainsi, le cheval s’enfuyait terrifié à chaque apparition de la dame elfe. Un peu découragée, elle s’en retourna voir les rôdeurs du Nord et leur demanda leur avis.
« Dame, cette aventure que tu nous conte là, est fort surprenante… Nous ne savons comment t’aider à capturer cette créature, et n’y pensions pas vraiment ; car elle fait plus de bien à notre cause, que l’inverse. Mais nous ne saurions rien refuser à un elfe, aussi écoute bien ; parfois, à la veillée, les sentinelles ont vu la créature s’approcher et dodeliner du chef au son de la harpe. »Et Maemelethril la blonde médita ces paroles, songeant au conseil d’Elrond.
« Dunedains, j’ai un plan. Usant de votre art de la discrétion, cachez vous ce soir autour de mon camp, prenez de bons filets et des cordes solides ; je vais dissimuler mon épée, et attirer la bête en jouant de la harpe ; alors nous la capturerons. »Et il en fut fait ainsi, à la nuit tombée ; Maemelthril joua de la harpe et chanta de sa blanche voix. Au bout d’un moment, le feu se refletta dans l’obscurité contre de l’or, et le pas lourd et méfiant d’un cheval se fit entendre.
« Bel ami, n’ait pas peur et approche, tu entendra mieux ma voix. »Et Cheval approcha, car il prisait fort le son de la harpe tout comme la voix merveilleuse de la dame. Elle reprit et la musique sembla appaiser la bête, qui baissa sa garde ; aussitôt, les agiles rôdeurs lancèrent leurs filets et tendirent leurs cordes ; après une lutte éreintante, la créature était enfin maîtrisée.
Maemelethril s’approcha, et ce faisant, sonm anteau découvit Mibcrist à son côté ; le cheval hénit glacé de terreur, puis voyant qu’il était refait, terrifia les Dunedains en parlant de voix d’homme.
« Belle amie, je t’ai attendue longtemps ; mais en mon cœur quelque chose me disait de m’enfuir. Finalement nous voici, et grande est ta pitié d’avoir apportée avec toi, d’au delà des mers, la lame qui m’arrachera enfin à mon tourment. Frappe et accorde-moi ton pardon. »Et l’elfe fut fort surprise d’entendre ce discours.
« Tu es abusé par quelque ressemblance, mais sâches que si je suis ici, c’est pour t’aider et non t’occire. »
« M’occire ? Voilà longtemps que la vie m’a quittée tout comme l’espoir ! »
« Non, l’espoir n’a pas complètement abandonné ton cœur, car autrement il ne t’aurait pas commandé de fuir la lame que tu croyais pouvoir mettre fin à ton existence sur cette terre. »Et Cheval dut accepter que c’était pure vérité, une flamme en son cœur lui avait commandé de fuir à la vue de la dame elfe et de son épée ; la douleur cruelle qui le mordait en ces instants n’était autre que la vie, il vivait à nouveau à chaque fois que cette idée le prenait. Et de ne comprendre ce qui lui arrivait, Cheval pleurait amèrement.
« Ne pleures plus bel ami, car je suis là pour te mener au sage seigneur Elrond, qui saura bien comment te secourir ; moi, Maemelethril en ait fait le serment par amitié pour Linternil qui nous est très cher à tous deux. »Et le nom de son cher ami ramena la raison à Cheval.
« Ah, comment me faire pardonner de t’avoir donné tant de peine dame ? Car il n’est rien que je n’accomplirai par amitié pour le noble Linternil, prince des bardes. »
« Promet alors de m’accompagner jusqu’à la demeure du seigneur Elrond. »
« J’en fais le serment, et sâche que tant que tu sera sur cette terre, toi ou tout elfe qui se prévaudra du nom de Linternil, je le servirai fidèlement. »Maemelethril trouva le dévouement de Cheval très noble et les Dunedains relachèrent leur prisonnier.
« Sois mon ami, et chevauchons jusqu’à la dernière maison simple, comme tu porta jadis Linternil notre ami. »Et l’elfe enfourcha Cheval ; tous les rôdeurs présents en cette nuit s’en souviennent encore, et racontent aux enfants combien grande était la gloire d’un seigneur elfe, rayonnant de lumière, sur un Meharas fait d’or, d’ivoire et d’argent.
En une bourrasque de vent, le destrier et sa cavalière disparurent dans le lointain ; comme un trait de Varda, une étoile filante tombée de la voute céleste.
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Avant que le jour ne se lève, la comète avait atteint les portes d’Imladris ; Maemelethril et Cheval se présentèrent devant Fondcombe où le seigneur Elrond avait prédit leur venue. Cheval posa un genou à terre devant le roi-prophète, et Elrond lui parla en ces termes.
« Une magie bien trop familière masque ton nom secret, il me faudra du temps pour percer le brouillard qui t’entoure ; mais je puis déjà te rendre à toi-même, écoute-moi et redevient homme. » Et comme Elrond l’avait prédit, le cheval se changea en un homme ; sa peau était froide et lisse comme l’ivoire, ses cheveux tressés de fils d’or et d’argent, ses yeux deux saphirs polis et donnant l’illusion des yeux d’un homme. Il aurait pu être ainsi la statue d’un roi, mais les elfes ne s’y trompaient pas, c’était grande peine qu’une âme fut enfermée dans une prison, toute riche fut-elle.
« Ecoute les souvenirs de ta vie passée, et prends enfin un peu de repos pour ton cœur, même si ce corps n’en a pas besoin. »Et la créature obéït, elle ferma les yeux et tomba au sol, inanimée. On la porta en une chambre, que l’on ferma bien ; pour son confort, on lui enleva l’épée qu’il portait au côté, et c’est ainsi qu’il reposa, pour la première fois depuis longtemps.
Lorsque Maemelechiel revînt le visiter, il s’éveilla, peu sûr ; et la vue de la belle dame elfe, son épée au côté, le frappa comme un coup de poignard. Soudain, sa peau rosit, ses yeux se mouillèrent et sa voix défaillit ; il jaillit de sa couche comme un démon et hurla contre son hôtesse.
« Mon épée ! Qu’es-tu fait de mon épée ? Rends-la moi enchanteresse ! Je dois m’en retourner au Rohan ! Mon épée ! »La fureur de la statue redevenu homme saisit Maemelechiel, mais elle se reprit rapidement car plus l’homme s’emportait et plus le temps semblait gagner sur son visage ; pour chaque instant qui passait, autant d’années s’écoulaient, et à ce rythme il deviendrait un spectre sous peu. Usant d’un charme, l’elfe renvoya la créature au sommeil ; il tomba, et sa peau redevint dure et froide comme l’ivoire.
Immédiatement, Maemelechiel alla trouver le seigneur Elrond et lui raconta la scène sans rien omettre. Ceci laissa Elrond pensif, il prit le temps de fermer ses yeux ; et sa vision passa les montagnes, fouilla les bois, puis trouva la dame de Lorien, dont il prit conseil à son tour. Lorsqu’il eut achevé sa méditation, il soupira et étudia l’arme que la créature portait au côté lorsqu’on l’avait emporté jusqu’à la chambre.
« Je comprends mieux le sort de ce pauvre hère, et malheureusement, ce n’est pas nous autres qui pourront le délivrer, comme je l’avais prédit. »
« Seigneur, dis-moi quelle est l’étrange histoire de l’ami de Linternil je te prie. »
« Il fut le serviteur de l’exilée de la tour solitaire, mais elle le maudit et emporta le gage de son service ; son âme errera tant qu’il n’aura pas retrouvé son épée. »
« Tout espoir n’est pas perdu, car les nouvelles ne font pas mention du départ de la Mirdai pour l’Ouest ; sur un mot de vous, Cirdàn lui interdirait le passage, et nous pourrions retrouver l’épée. »
« Tu es jeune, et souhaites bien faire ; mais tu ne connais pas la résolution farouche des Noldor, elle préfèrera errer, cacher l’épée et mourir, plutôt que de nous la céder. »Maemelechiel connaissait les récits légendaires des batailles anciennes, depuis Valinor jusque sur la Terre du Milieu ; les Noldor étaient les plus farouches des guerriers elfes.
« Alors je ne sais que faire, je désespère de pouvoir aider cet homme. »
« Tu pourra rendre son temps sur cette terre plus supportable, et lui ré-apprendre à aimer, si ce n’est sa vie, la vie des autres. Il a prété serment et je le tiens pour un être honnorable, il nous aidera dans notre tâche avant que notre temps soit accompli. Fais le porter dans les écuries, il s’éveillera parmi les chevaux et en sera serein, laisse Mibcrist en ton logis et va ensuite lui parler. » Et la dame elfe fit comme il lui était commandé ; lorsqu’elle trouva la créature installée parmi les chevaux, il avait en effet l’air bien plus calme et l’accueillit avec courtoisie.
« J’ai ouie dire que je t’ai bien injustement prise à parti, dame ; et j’en suis honteux. Dis-moi ce qui pourrait me racheter à tes yeux, car je ne puis souffrir de mécontenter une ami de Linternil. »
« Alors sois mon ami, et ne laissons plus ces choses passées peser entre nous. »
« Rien ne me ferait plus plaisir ! »Et il sourit, pour la première fois depuis qu’il s’était séparé de son ami sur le quai de Mithlond.
« Dis-moi ton nom, car tu connais le mien. »Mais la question sembla poser problème, l’homme d’ivoire songea et ne trouva point.
« On m’appellait Cheval, mais ce nom ne me sied plus à présent ; je n’ai pas souvenir d’un autre nom, du reste. »
« Et bien, si tu fus jadis le chien de guerre de la couronne du Rohan, Casta Authùan ; tu es malheureusement aujourd’hui un chien errant, je n’ai pas le cœur de te le traduire mais ton nom serait Barthàn Authùan. »Et Barthàn Authùan de lui sourire tristement.
« Tu n’aura pas à le faire si cela te peine, mais sache que je parle ta langue, douce amie. Ce nom est fort à propos, aussi sera-t-il le mien désormais. »Et ils devisèrent aimablement, au fil des jours, Barthàn Authùan se révéla être un compagnon spirituel, ayant toujours un bon mot ; et il savait jouer de la harpe comme Linternil le lui avait appris. Maemelethril comprenait mieux pourquoi sa compagnie avait su plaire à la ténébreuse Elenlachel de la tour solitaire ; elle remarqua cependant un jour un détail qui lui avait échappé.
« Ami, à ton doigt je vois un anneau d’or qui n’est point de la facture du reste de ton être ; l’as-tu toujours eu ? »Et Barthàn Authùan découvrit avec surprise que la chose à sa main droite n’était pas sa chair.
« Dame je ne sais, c’est la première fois que je remarque cet anneau. D'aussi loin que je me souvienne, je l’ai toujours eu. »Et le caressant, sa peau rosit légèrement ; Maemelethril conçut alors une idée étrange.
« Ami, si tu me fais confiance, j’aimerai que tu enlèves ton anneau. »L’idée sembla mette Barthàn Authùan mal à l’aise, mais il s’exécuta, le gardant à portée de main.
« Reste où tu te trouves, je reviendrai dans un instant. »L’elfe s’en alla chercher son épée et par surprise la dégaina en la pointant sur Bathàn Authùan ; son geste ne sembla pas émouvoir le non-mort plus que cela.
« A présent, remet ton anneau je te prie. »Et Barthàn Authùan obéit ; mais sitôt eut-il passé l’anneau au doigt, que la peur le saisit ; il fallut que son amie cache son épée et déploie des trésors de patience, pour chasser l’effroi de son être.
« Je crois bien que ce qui subsiste de ton cœur est placé dans cet anneau, et il te commande de ne pas mourir pour revenir à celle qui te l’a confiée. »Les paroles avisées de l’elfe éveillèrent alors un lointain souvenir dans l’âme de Barthàn Authùan qui se mit à rougir alors que de nouveau, les années attaquaient sa chair comme l’eau érode le rocher au fil des ans. Alarmée, Maemelechiel lui retira l’anneau du doigt, et la vie quitta le corps de Barthàn Authùan.
« Ami, prends-bien garde, car si cet anneau peut donner l’illusion de la vie à ton corps sans âge, il le détruira tout aussi sûrement ; tu ne serai plus alors qu’un spectre, une ombre comme il en erre dans les cimetierres. »
« C’est fort triste, car j’étais à l’instant envahi de la plus belle vision qu’il m’eut été donné de voir ; et même la parfaite beauté des eldars ne saurait réjouir mon cœur autant qu’elle. »
« Ami, chéri cette vision et célèbres-en le souvenir dans tes chants, mais garde-toi de trop y penser avec ton anneau au doigt ; fais-en la promesse par amour de moi. »
« Comme il te plaira, je ne voudrais pas te rendre triste. »Aussi lui rendit-elle son anneau, qu’il tînt dès ce jour comme son bien le plus cher, la clé de son nom secret.
Les elfes de Fondcombe étaient bons avec Barthàn Authùan, mais comme l’eau pure ne se mélange pas à l’huile, il ressentit toujours une étrange solitude et s’en ouvrit au sage seigneur Elrond.
« Mon seigneur, il est entendu que je fus jadis un homme ; je me demande dès lors, pourquoi je ne puis rechercher leur compagnie, certains d’entre-eux me connaissent peut-être pour celui que j’étais, et si j’ai une famille, elle doit être fort inquiète à mon sujet. »Le maître de la dernière maison simple craignait bien cette question, car ses visions l’avaient prévenu d’un danger encore caché.
« Alors demandes-toi pourquoi tes pas ne t’ont jamais ramené vers ton Rohan natal. Il y a sûrement une raison, et je devine qu’elle est terrible. Au mieux, tes gens te croient mort, et ils ont à moitié raison. »
« Mais lorsque je passe mon anneau au doigt, je puis devenir tout semblable à un être vivant. »
« Le prix en est élevé, tu risques de devenir une ombre et alors même la compagnie des elfes te sera interdite ; tu sera seul, pour l’éternité, est-ce là ce que tu désires ? »
« Assurément, non. »
« Alors tiens-toi bien loin de la marche des chevaux ; mais si tu veux retrouver le peuple des hommes, je puis te confier une tâche ; tu accompagnera nos frères et nos sœurs qui marchent vers l’Ouest, et sur leur chemin tu écartera les curieux de leur passage. Tu es notre plus rapide messager, tu connais bien des tours d’épée, et quelques enchantements sont à ta portée ; tu sera fort utile aux compagnies du départ. »L’idée de se rendre utile à ses bienfaiteurs, tout comme celle de revoir des humains, enthousiasma fort Barthàn Authùan.
« Je me tiens pour ton serviteur seigneur Elrond, et tu le sais ; commande et j’obéirai. »Ainsi Barthàn Authùan parcourut-il les chemins entre Imladris et Mithlond, et Elrond espérait qu’il pourrait y rencontrer la sévère Elenclachel, pour obtenir son pardon, mais il n’en fut rien.
Et un événement terrible se produisit, Maemelechiel fut prise par les Dùnlendings, et sacrifiée à leurs rites barbares ; la colère d’Elrond fut terrible, mais il savait que la furie de son chien de guerre le serait encore plus ; aussi lâcha-t-il Barthàan Authùan contre les hommes déchus.
Le massacre dura des jours entiers, et lorsqu’il revînt, Barthàan Authùan était très troublé.
« Seigneur, je pleure beaucoup mon amie Maemelechiel, et serais inconsolable si je ne la savais dans le palais de Mandos, prête à être réunie avec Linternil. Mais alors que je portais ta justice aux hommes des collines, j’ai senti dans mon cœur une colère toute autre ; et je me réjouissais de façon sauvage du meurtre. Autant que je t’avoue ce qui pèse sur mon cœur ; je brûle de retourner occire les Dùnlendings, nulle autre pensée n’occupe mon esprit, elle bourdonne dans ma tête et fais trembler mes mains froides. »Et Elrond se dit qu’il avait mal agi en envoyant Barthàn Authùan souiller ses mains avec le sang des ennemis des elfes.
« Je t’ai confié la besogne du bourreau et c’est une chose que l’on ne devrait pas demander à un ami aussi sincère que toi ; je vois à présent que tout du long les elfes t’ont traîté comme un serviteur, même le noble Linternil a usé de toi comme monture. Je sais que tu ne vis pas la chose ainsi, car ton dévouement est librement consenti depuis que tu as quitté la tour solitaire ; mais cela ne peut continuer. Tu as entendu dans tonc cœur le noir chant de Morgoth, gardes-toi bien de lui céder à nouveau ou tu tombera en son pouvoir ; dès aujourd’hui, je souhaite que tu fasses l’ouvrage de la vie, utilises ton temps et tes connaissances pour le bien des hommes ; va Barthàn Authùan, et saches que tant que je serai maître en ma maison, tu y sera reçu en ami. »
« Ainsi soit-il, mais avant d’obéir à ce commandement, je dois accomplir le dernier souhait d’une noble dame et trouver la reine qui ne connaît nulle maison ; je parcourerai les routes à la recherche de la grande Ellindiel, elle qui ne s’incline que devant la grâce de la dame de Lorien et la sagesse du maître de la dernière maison simple. » Comme son seigneur lui avait donné son congé, Barthàn Authùan franchit les portes d’Imladris, nul ne sait ce qu’il advînt de lui par la suite.