Notre histoire commence à Edoras, dans les lointaines plaines du Rohan ; ce soir-là, dans le hall d’or de Meduseld, Theoden tient sa cour. Mais l’humeur est bien triste, car le Rohan saigne ; Thengel-roi est mort à la bataille, puis le vaillant époux de sa fille Theodwyn: Eomund, est lui aussi tombé contre les orques en maraude.
Il laisse derrière lui deux enfants, aux yeux clairs et au front noble ; enfants mais déjà soldats du Rohan, comme ils sont dignes malgré leur peine. Eomer, Eowyn, votre oncle le Roi vous aime, mais lourde est la couronne sur son front pensif.
Le solstice d’hiver est passé et bientôt ce sera la veillée du premier jour du Yule ; une nouvelle année commence et avec elle le règne de Theoden-roi. Il est de coutume à la cour, qu’une histoire extraordinaire soit contée ; Mais nul n’a eu pareille aventure, et c’est là mauvais présage.
« Hélas compagnons, n’y aura-t-il pas l’un d’entre vous pour chasser les sombres nuées qui obscurcissent notre ciel ? Ces jours de fête devront ils être jours de deuil ? »
Le silence qui répond au Roi est pesant, mais alors…
Les portes du hall s’ouvrent, laissant entrer les flocons de neige pure, charriés par un vent vivifiant. Une dame, de très belle allure et portant un lourd manteau en fourrure s’avance ; elle s’incline devant le trône et tous l’observent en silence.
« Westu Theoden Hal ! »
Le Roi est pris au cœur, d’être salué aussi vaillamment ; car cette femme des plus peinées n’est pas la dernière. Evangylen, fille de Egheld qui périt à la bataille du Snowbourne, veuve de Gharrod à la grise fourure et veuve d’Elhod, fleur des cavaliers de Thengel. Elle est digne, a l’œil sec et dur comme la glace, sa peau est de lait tachée de son, ses cheveux une cascade de feu et de soleil ; sous son manteau elle porte une côte finement ajustée, et au côté une épée brillante.
« Westu Evangylen Halla ! »
« Mon Roi, je t’apporte comme le veux la coutume l’histoire d’une aventure bien peu commune ; j’ai chevauché en cette nuit bien froide depuis les montagnes afin de te la conter. Ma famille aujourd’hui est celle de mon époux Elhod, et son père le vieux Themren de Dunharrow m’envoie te saluer car c’est sûrement son dernier hiver. Il espère un don de toi, et je te promet que vous vivrez une aventure de grands prodiges si vous allez le visiter avant l’avènement du premier jour de Yule. »
Theoden fut piqué à vif de curiosité, mais surtout, il n’allait pas refuser un don au vieux cavalier mourrant, lui qui fut élevé des communs pour sa bravoure par son aïeul, avant le règne de Thengel. Il se leva et descendit prendre les mains glacées d’Evangylen aux cheveux de feu.
« Dunharrow est toute proche, nous irons car les serments doivent être honnorés ; cavaliers en selle ! Et que l’on prépare un attelage pour ma nièce et mon neveu, si grand prodige doit se produire, qu’ils soient à mes côtés comme doit l’être le sang de la lignée de Fréalàf ! »
Et voilà que comme emportés par le vent glacé, Edoras s’anime, les torches brillent dans la nuit et tous veulent chevaucher avec le Roi, tous veulent que le ciel s’écclaircisse et qu’un bon présage vienne chasser les cendres des jours de peine.
C’est une belle procession qui fend les landes blanchies par la neige, jusqu’au pied des montagnes, là où la route serpente, parsemée des bourgs de Dunharrow jusqu’à la porte des morts. Là, le Roi fait s’arrêter sa compagnie, car il apperçoit en cette nuit bien froide une vieille qui de ses doigts crochus fait un fagot de bois mort, pour chauffer ses vieux os.
« Vieille femme, le sort fut-il si cruel que tu doives en cette nuit glacée courber ton dos bossus et chercher les brindilles pour te chauffer ? »
La vieille de se redresser et de toiser le Roi de ses yeux morts ; l’aventure n’est pas sans jetter l’effroi dans le cœur des cavaliers du Roi. La vieille de ricaner.
« Les hommes de ce royaume sont-ils donc aujourd’hui tous les mêmes ? La vaillance s’est elle éteinte avec feu ton père le grand Thengel, oh Roi Theoden ? Je vais te dire pourquoi j’endure le froid ce soir : je suis la seule à oser sortir, car tous ces poltrons ont peur qu’en ces nuits suivant le solstice, les morts de la montagne ne viennent les prendre ! Mais moi qui n’ai pas la vue, je ne connais pas la peur de croiser le visage des spectres, et leur toucher glacé pourrait aussi bien être simplement la bise ; je m’en moque ! »
Dans un ricannement mauvais, la vieille reprit sa tâche ; le Roi porta son regard vers le sommet de la route, nul ne pourrait le traîter de couard !
« Et bien la vieille, tous spectres qu’ils soient, je suis le Roi de ces terres et je chevauche où bon me semble ! »
La remarque provoqua un autre ricannement sec.
« Roi Theoden, les spectres de la montagne ont d’autres affaires que d’embêter les paysans ; mais je vais te dire une chose que tu devra tenir pour véritable. J’ai tantôt entendu chaque nuit depuis le solstice d’hiver, le galop furieux d’un cheval fou ; il est l’équidée d’un mort, et son cavalier n’a jamais eu de scépulture, aussi il le cherche et le cherchera jusqu’à la fin du monde ! L'homme qui chevauchera sur ce palefrois périra par l’épée, comme il en a été de tous les fils de Dunharrow qui ont porté le manteau vert des cavaliers du Roi ! Mes yeux ont trop pleuré la mort du bel Hemmad dont je fus la nourrice, lui qui était un enfant si doux ; aussi je ne veux plus voir ce monde de peine. »
« Va en paix vieille femme, et que le monde te laisse tranquille. »
La vieille chargea avec peine son fardeau puis secoua tristement la tête.
« Westu Theoden Hal. »
La compagnie reprit sa chevauchée et traversa les bourgs, le Roi ordonnant que l’on sonne du cor pour chasser les spectres sur son passage. Le modeste manoir des Dunharrows se profilait, son écurie plus grande que sa maisonnée au toit d’ardoise noire piqueté du blanc de la neige. Au son du cor, c’est Maelwen veuve d’Hemmad qui sortit, supportant un vieillard disparaissant sous les fourures et tenant une canne noueuse.
« Westu Theoden Hal ! Themren de Dunharrow te salue.»
Le Roi mit pied à terre, immité par la nombreuse compagnie.
« Que l’on dresse un pavillon, que l’on étendre tapis et peaux ; et que les feux soient si nombreux et si vifs, que l’on y voie comme en plein jour ! Ainsi parle le Roi. »
Et les fastes de la cour d’Edoras se déployèrent, on fit chauffer le vin aux épices, le lait sucré de miel et l’hydromel fut porté aux lèvres dans des coupes d’or.
« Themren, mon cœur est triste de la peine qui frappe ta maison ; dis à ton Roi, ce que tu désires de lui ; et si ce n’est contraire à l’honneur, tout ce que tu voudra, de moi tu l’obtiendra. »
Le vieux cavalier, de naissance simple fils de forgeron, médita un instant.
« Ce que je désire est simple, Theoden-roi ; passe la veillée du jour du Yule en ma maison… Elle n’est pas bien riche, mais elle reçut jadis ton père, et son père avant lui. »
Le Roi porta leva la coupe d’hydromel bien haut et fit serment.
« Qu’il en soit ainsi, ce soir, je résiderai en ton logis ; comme mon père, et son père avant lui. »
Et le vieil homme se retira, car il était exténué et nulle couverture ne retiendrait bien longtemps le froid, d’envahir son maigre corps.
Tous attendaient l’aventure, et furent un peu déçus ; mais le Roi avait prêté serment, aussi, mené par Evangylen aux cheveux de feu, il se rendit dans le logis de Themren.
« Dame, puisque mon neuveu et ma nièce sont venus ; les accueillera tu en ta maison ? »
« J’avais grande amitié pour leur père, qui chevaucha avec l'homme que j'aimais le plus au monde ; ma maison est la leur, mon Roi. »
Ainsi Eomer et Eowyn suivirent leur oncle dans la demeure du vieux Themren ; il y avait là un bel adolescent, Ramghen fils d’Hemmad, sa mère Maelwen et son aïeule Deanna épouse de Themren. La présence des enfants fut comme un baume aux vertus merveilleuses, et leur rire, comme la lumière du soleil, réchauffa la maison autrefois si triste. Evangylen servit le Roi, qui n’eut rien à redire de l’hospitalité des Dunharrow.
« Roi, j’entend le chant du vieux hibou et il sera bientôt l’heure du loup, les prodiges que je t’ai promis arriveront bientôt. »
Theoden eut voulu s’en réjouir, mais l’air grâve de la belle dame lui dit que l’aventure ne serait peut-être pas sans péril.
« Bien, je suis prêt. »
S’entendit alors la rumeur d’un gallop lointain, qui enfla, les sabots de la bête martellant le sol comme le tonnerre ; et le cheval qui remontait la route allait si vite, que le vent devait le suivre ; à son passage les torches du campement et les toiles des tentes étaient soufflées !
Puis le tonnerre s’arrêta et on entendit plus que le raclement d’un sabot et le souffle lourd du cheval dans la cour du manoir… Le Roi assura sa prise sur Herugrim, sa fidèle épée, et marcha vers la porte.
Les hommes du Roi avaient pris les armes, croyant à une attaque, et lorsque Theoden sortit dans la cour, une foule interdite admirait un spectacle qu’on croyait ne plus jamais revoir dans le royaume du Rohan depuis le départ de Grispoil, roi des chevaux.
Un Meharas au poil d’or, grand et solide comme un chêne ancien, attendait…
Un des cavaliers du Roi, le cœur heureux proclama :
« Ce n’est pas le cheval d’un spectre, c’est le cheval d’un roi ! »
Aussitôt, tous se dirent que c’était là un présage merveilleux qui annonçait le retour d’un âge d’or du Rohan sous le règne de Theoden.
Mais Evangylen retînt le Roi.
« Je vous en conjure mon Roi, souvenez-vous de l’avertissement de la vieille femme aux yeux morts. »
Mais l’aventure devait être tentée, il y avait dans la foule nombre de cavaliers courageux et pleins de talents.
« Celui qui montera ce cheval par amour de moi, je le couvrirai d’honneurs et d’or ! Ainsi parle le Roi. »
Et déjà, le cavalier qui avait proclamé l’équidée comme royale, s’empressa de tenter sa chance. Il était vigoureux, et ne manquait pas d’audace ; mais la noble créature se raidit, et se fit guerrière ; la vision de sa furie était terrible, et le cavalier vola dans les airs pour finir bien meurtri sur le sol. Ainsi, l’aventure se répéta pour tous ceux qui tentèrent de dompter la bête… Et tous ces cavaliers périrent un jour par l’épée.
« Quel étrange maléfice est-ce là ? »
Le cheval s’ébroua une dernière fois, puis d’un pas lent avança vers le Roi ; et il inclina la tête, pour plonger son oeil dans celui de Theoden.
« Par ma foi, quelle frayeur, cet oeil… Comme il me parle, on dirait celui d’un homme ! »
Le palefrois laissa la main du Roi s’attarder sur son museau, docile.
« Mon ami, tu as du connaître bien des tourments et mon cœur se serre, mais tu n’es pas sans amitié pour le Rohan n’est-ce pas ? Cela je le lis dans ton regard. »
Un cri déchirant sortit de la maison de Themren, et Maelwen sortit pâle, comme si tout sang s'était soudain retiré de son visage.
« Themren est mort ! »
Et un murmure parcourut la foule, car il semblait à tous que le cheval pleurait. Le spectacle était triste et émut fortement les enfants, Eomer et Eowyn s’approchèrent et un nouveau prodige se produisit !
L’immense cheval s’inclina, comme pour poser un genou à terre, puis se coucha sur le flanc ; et les deux enfants s’arrochèrent à son crin soyeux, alors qu’il se redressait ; ils le montèrent et il fut docile comme la plus entraînée des équidés, donnant le tour de piste, montrant ses cavaliers à tous ; Evangylen dit alors.
« L’âge d’or viendra, et le destin de ces enfants sera grand, ils feront refleurir notre Royaume, pour des siècles et des siècles. »
Theoden acquiesca.
« Ainsi parle le Roi. »
Et la foule reprit avec ferveur.
« Westu Eomer Hal ! Westu Eowyn Halla ! »
Le palefrois laissa glisser ses cavaliers en douceur, puis se redressa sur ses pattes arrières, comme le cheval fier ornant l’étendard du royaume ; dans un coup de tonnerre il était parti, avalant la route, traversant les champs, faisant la course avec le soleil levant alors qu’il disparaissait au Nord.
On dit que chaque année depuis, le gallop semblable au tonnerre raisonna dans les montagnes de Dunharrow ; et il en fut ainsi jusqu'à ce que l'ombre de l'Est grandisse, et que le magicien blanc d'Orthanc détourne son amitié des Rohirrims...
Ce cheval reviendra un jour, et avec lui avec un âge nouveau, un âge d'or qui poindra pour le Rohan et pour tous les hommes de bonne volonté.
Westu Eothéod Hal !
Ne perdez jamais l'espoir.