Le restaurant disposait d’une grande baie vitrée donnant sur le parc, cette luminosité et l’espacement des tables donnaient presque l’impression d’être à l’air libre, seule la cheminée au milieu de la salle de briques ocres venait casser l’illusion avec ses crépitements agréables. Les tables de verre étaient soutenues par de fines torsades de fer forgé, les verres évasés et tendant vers le ciel donnaient aussi dans l’aérien ; les deux femmes se régalaient de fruits de mer accompagnés de citron, de vinaigre ou bien encore d’une sauce blanche à l’Annette ; le vin blanc était parfait et son fruité semblait adoucir chaque révélation que la nouvelle et mystérieuse amie de Cassandre lui assénait.
_Et rappelle-moi, d’où connaissais-tu Jacob ?
_Ah ! Jacob, un homme délicieusement torturé ; j’étais un peu son mécène tu sais.
_Et même un peu plus j’imagine…
_Non, bizarrement Jacob était un homme extrêmement timide, je lui faisais un peu peur je crois.
_Plutôt normal, sans vouloir te vexer.
_Pas de mal. Et tu l’as revu ?
_Qui ça ?
_Jacob pardi !
_D, Jacob est mort.
_C’est vrai ; je reprendrai bien un peu de ce vin.
Cassandre se retînt de crier alors que le serveur venait immédiatement remplir le verre de D, là bas dans le parc Jacob donnait à manger aux pigeons assis sur un banc, son regard fixe et désespéré n’augurait rien de bon, ses lèvres articulèrent un mot…D claqua des doigts et Cassandre se retourna vers elle.
_Tu disais quoi ?
_Je te proposais un plan à trois pour commencer.
_Quoi ?
_Je blague, tu avais l’air dans les vapes Cassie.
_Pour sûr, j’ai vu un fantôme.
_Oublie ton ex un moment chérie, on parlait de Jacob je crois.
_Je me demandais pourquoi il était comme ça, il avait tout le temps l’air si déprimé. Je crois qu’il voulait mourir.
_Vouloir c’est bien mais pouvoir c’est une autre paire de manches, ils ne l’auraient jamais laissé faire tu sais.
_Qui ça ?
_Mmm, ses fans ; Janus Mirror était une expérience bizarre, une quête d’individualité et une communion à la fois. Personne ne peut rester sain d’esprit bien longtemps en se lançant dans l’exploration de tels paradoxes, je pense que l’hémisphère droit de son cerveau à du dire merde à l’autre.
_Toujours est-il D que l’on ne se suicide pas en se prélevant des organes un par un.
_Sale mort, pour ma part j’aimerai pouvoir mourir de plaisir, que mon cœur s’arrête de battre au moment ou mon cerveau est saturé d’endorphine et partir dans le plus grand trip extatique jamais réussi.
_Ce serai toujours mieux que la façon dont Jacob est mort.
_Je me demande où sont ses yeux ?
_Mais comment est-tu au courrant de ce détail D ?
_C’est moi qui ai trouvé le corps ma chérie, c’est vraiment triste quand on y songe…Je ne saurai jamais ce qu’il valait vraiment au pieu.
Cassandre se figea avec sa mine des mauvais jours, parler légèrement de Jacob ne lui plaisait pas, prétendre être insensible à l’idée même de la mort était impensable. D continuait de piquer tranquillement dans sa salade d’endives fraîches, auréolée de lumière elle semblait appartenir à un autre monde, si différente de la sorcière rencontrée la veille. Qui de cette étrangère ou de son masque de fer représentait la vraie D ? Qui était Cassandre cette jeune femme bien sous tous rapports où encore la voyeuse grimée en démon de Nôh et traînant à l’affût de la mort le soir dans des bars glauques ? Sous le kiosque du parc le fantôme de Jacob semblait vouloir hurler mais le mot ne sortait pas de sa gorge éthérée, Cassandre avait beau se focaliser sur lui elle n’entendait que les bruits de fond du restaurant et la plainte du vent dans les arbres morts. Bien plus qu’une baie vitrée la séparait de Jacob et de l’avertissement collé à ses lèvres muettes ; la journée déclinait lentement et D était de plus en plus séduisante, quand la nuit recouvrit la ville Cassandre laissa la mystérieuse femme partir avec les clés de François…Et le sommeil s’enfuit loin d’elle tout comme la lumière.