Vendredi 9 mai 2025 | 4 visiteur(s) & 0 utilisateur(s)

Sunday blues

Il était quinze heures quand Cassandre se décida à émerger, elle avait dormi en sous vêtements et transformé sa couette en cocon douillet ; Elle pianota avec peine sur la télécommande de la chaîne hi-fi avant que Dave Gahan ne se décide à lui insuffler un peu de vie pour la journée. Ses pensées allaient du visage amoché d’Harrison souriant comme un héros de film d’action à l’émulation olfactive d’un café exécutée par sa mémoire avec précision. Dans un geste de courage suicidaire Cassandre sauta sur ses pieds et tourna le régulateur du volume de la chaîne vers le haut afin que Dave l’accompagne gentiment dans la douche, elle aurai bien besoin de ça pour commencer son dimanche. Alors qu’elle sortait de la douche elle se demanda si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, l’odeur du café chaud flottait dans l’appartement et ce n’était plus une émulation ; enfilant un peignoir et entourant ses cheveux avec une serviette Cassandre passa d’un pas nerveux dans le living. Les volets roulants étaient ouverts, inondant la pièce de lumière et forçant Cassandre à plisser les yeux, une forme indistincte s’activait derrière la cuisine américaine.

« Tu prends ton café noir Cassie ? »

La voix douce et parfaitement maîtrisée ne fut identifiée que quelques moments plus tard, Cassandre s’approcha éberluée.

_D ? C’est vous ?

_Mmm, tout juste ma jolie ; heureuse de voir que je fais encore mon effet.

_Mais, qu’est-ce que vous faîtes chez moi, comment êtes vous entrée ici ?

La mystérieuse techno primitive s’était changé en une charmante jeune asiatique à la peau dorée et portant une robe volante couleur nacre à bretelles, parfaite contradiction avec la saison qu’expliquait le manteau de fourrure jeté négligemment dans un des fauteuils ; Cassandre n’était plus bien sûre de ce qu’elle devait penser, D lui faisait moins peur qu’Harrison malgré ses propos de la veille car qu’étaient des propos face à des actes concrets après tout ?

_Ne reste pas comme ça la bouche ouverte, viens t’asseoir et prendre ton petit déjeuner princesse, pendant ce temps je t’expliquerai comment je suis entrée et surtout pourquoi.

_Attends, je veux dire attendez un moment, je vais mettre quelque chose.

Alors que Cassandre quittait nerveusement la pièce, D suça son doigt trempé dans le café en murmurant : « Dommage. »

Installée dans son fauteuil et emmitouflée dans un pull-over beige, Cassandre écoutait la jeune femme avec avidité tout en soufflant sur son café brûlant.

_Je disais ça pour rire évidemment, c’est l’ambiance de ce genre de boîtes tu sais…Morbide, fond de teint, eye liner et vin rouge ; j’espère que je ne t’ai pas fait flipper, c’est vrai que je suis plutôt originale comme fille.

_Sûr, sûr ; non c’est cool.

_Bien, quand à la porte c’est ton concierge qui m’a laissé entrer, un type charmant…Un peu vieux mais charmant ; certains mecs sont comme ça, ils ne deviennent bons qu’en prenant de la bouteille.

_C’est pas grave, je vais le tuer mais c’est pas grave.

_Bon c’est dimanche alors je vais t’emmener déjeuner dans un restau sympa histoire qu’on fasse connaissance.

_Attends, ralentis un peu tu veux…

La serrure fit quelques bruits et la porte s’ouvrit lentement ; les deux jeunes femmes virent un homme essayer d’entrer aussi discrètement que possible avant de se retourner pour voir qu’il était observé attentivement ; Cassandre bouillait de rage et se leva en renversant un peu de son café.

« Mais merde c’est pas un moulin ! Qu’est-ce que tu fous là François ? »

Avec un regard amusé D se leva et vînt lentement se mettre à côté de Cassandre.

_C’est qui celui-là ?

_Mon ex.

L’ex toussota et rajusta ses lunettes avec l’index en faisant quelques pas de côté.

_Je suis désolé je voulais pas te déranger je venais juste récupérer mes bouquins.

_Oui ils sont là sur la commode, mais quand tu veux passer tu n’a qu’à appeler avant.

D sourit et alla piocher dans le paquet de cigarettes de Cassandre sur la table du salon avant de revenir et lâcher sur le ton de la conversation :

_Je préfère tout de même Harrison, fait plus mec.

_Qu’est-ce que tu dis ?

_Non pas que des lunettes ne lui donneraient pas un petit air citadin mais je préfère les sauvages.

D laissa échapper un petit rire cristallin qui ne fit qu’augmenter la douleur et l’humiliation lisibles sur le visage de François alors qu’il ramassait ses affaires, Cassandre était consternée. François posa le trousseau de clefs sur le bar en regardant Cassandre.

« Pas tendre ta nouvelle copine. »

D se mordilla le pouce d’un air vicieux et répondit avant Cassandre.

_Je crois que c’est ce qui lui plaît mon vieux, t’es plus à la page.

_Aequam Memento Sevrare Mentem.

François avait l’air satisfait de laver son honneur et s’en retourna vers la porte, alors qu’il tournait la poignée D souffla la fumée de sa cigarette et récita d’un air distrait.

« Aequam memento rebus in arduis servare mentem, non secus in bonis ab insolenti temperatam Laetitia, moriture Delli…Si je me souviens bien c’est Horace. » [Horace (livre II, ode III, verset 1) : Souviens-toi de garder dans les revers une âme toujours égale, et dans la prospérité ne t'enivre pas d'un fol orgueil, ô Dellius, toi qui dois mourir !]

La porte claqua et ce fut pour sûr la dernière fois que l’on vit jamais François chez Cassandre, la pauvre qui abasourdie avait assisté à l’échange comme un spectateur, elle n’était plus bien sûre d’être celle qui habitait ici. D retourna s’asseoir dans son fauteuil et se remit à déguster son café.

_Si tu veux mon avis tu ne pers pas au change, ce looser ne connaissait même pas la citation exacte et Horace est un classique ; tu as même renversé cet excellent café vanille française que je t’avais fait, ingrate.

_D tu es très sympa mais on est encore chez moi et si quelqu’un doit virer mon ex de chez moi et bien c’est moi !

_Cassie, va te changer.

Bouillante Cassandre retourna vers la chambre en criant.

« Et je ne suis pas Lesbienne ! »

Dans son coin D sourit en écrasant sa cigarette avec une moue désolée.

« Dommage, dommage… Cependant tu as bien raison, pourquoi être homo ou hétéro quand on peut être bi, tu as du bon sens ma fille. »

Le grognement qui parvint depuis la chambre fit immanquablement sourire D, elle avait l’habitude.