D était affalée dans le fauteuil de cuir bordeaux au centre de la pièce, là dans sa main le verre empli de cognac tournait et tournait encore dans un cercle infernal d’ennui et de pensées contradictoires ; autour d’elle sa cour attendait son bon vouloir en silence. Le masque de fer accroché au mur derrière elle semblait l’accabler du poids de son regard plein de reproches, ses épaules en tremblèrent un instant ; les chandelles elles-mêmes disposées un peu partout dans l’appartement vacillaient au rythme des frissons de leur maîtresse.
Les rats prosternés sur les tapis ou le plancher n’avaient d’yeux que pour elle, ils étaient comme des jouets, désirables, amusants puis elle s’en lassait mais de plus en plus vite à chaque nouvel amant ; leurs yeux épousaient chaque courbe de son corps fin et racé, de sa peau légèrement mate, elle aimait beaucoup son reflet dans la glace elle-même, son métissage asiatique et sud-américain était une telle réussite, elle était si belle, si diaboliquement belle. Elle s’aimait tant qu’elle doutait de ne pouvoir jamais aimer qui que ce soit d’autre dans tout sa vie, elle aimait d’autre qualités chez ses amants et ses maîtresses, son propre reflet d’abord et leur adoration, mais aussi leur constance dans cette volonté de se perdre ; chez Harrison c’était bien sûr sa violence…Mais qu’est-ce qui pouvait bien l’attirer dans cette Cassandre ? C’était sûrement l’affection du magicien, une affection qu’il lui avait toujours dénié, il l’avait toujours trouvé laide, intérieurement parlant bien sûr car il était très satisfait de son aspect extérieur.
La porte craqua et s’ouvrit, ses deux battants envoyant rouler au sol quelques uns des adorateurs de D, Harrison regarda le contenu de la pièce d’un air dégoûté, dans sa main la hache d’incendie semblait danser d’impatience.
« Dégagez cloportes ou je vous massacre ! D toi et moi on a à causer. »
Elle fit signe à ses animaux domestiques de disparaître et se leva pour accueillir son invité, humant l’arôme de son cognac elle se rapprocha par détours, prudemment pour jauger des intentions de l’âme damnée du magicien.
_Tu veux un verre ?
_Ouais, si je me souviens bien ton bar est fameux.
_Cela fait trop longtemps que tu n’est pas passé me voir Harrison.
Elle fit le tour de son invité et sortit de la salle pour gagner la grande pièce où étaient le bar et le jacuzzi, sur leur chemin les ombres des autres occupants se firent un devoir de s’évaporer ; Harrison jeta la hache sur le sol et s’approcha du bar derrière lequel D venait de passer.
_Champagne ?
_Vodka ma poule, ce sera chouette.
_Toujours aussi minimaliste je vois…C’est ce qui est dommage avec toi, toujours à l’essentiel, ne s’arrête jamais pour profiter du paysage, hein ?
_Charrie pas D, c’est moi qui t’ai plantée si tu te souviens bien.
_Si tu me disais plutôt ce que tu fais là, je suis sûre que malheureusement tu ne viens pas juste pour parler du bon temps que l’on a passé ensemble ; je parie que tu viens me parler de cette petite pute.
_Bingo, le vieux aimerai assez que tu lui lâche la grappe ou bien que tu sois aussi gentille et attentive qu’une grande sœur peut l’être.
Elle poussa le verre empli de liquide translucide et pur vers lui avec un sourire mutin.
« Gentille comment ? »
Il avala une bonne rasade d’alcool et s’essuya la bouche du revers de la main.
« Pas mon problème, faut juste rien casser…Pas de drogues, pas de modifications chirurgicales et encore moins de ces idées à la con dont tu as le secret. »
Elle repassa de l’autre côté du bar et commença à éparpiller ses vêtements sur le sol en marchant vers le jacuzzi, la baie vitrée donnant sur la ville était complètement embuée.
_Avoue que ça te vexe qu’il me la confie à moi et pas à toi, tu aurais bien fait joujou avec pas vrai ?
_Pas mon genre, plutôt bêcheuse, vous vous entendrez bien toutes les deux.
Confortablement installée, elle entreprit de faire de ses boucles noires un chignon en dégageant la ligne pure de ses épaules et de sa nuque.
_Je me suis toujours demandée Harry ce que pouvait bien être ton genre, sanguinolente et morte ?
_Je suis un enfant de ce siècle D, je suis un consommateur d’impulsion mais surtout pas un collectionneur comme toi, je me satisfais et je jette, ça prend moins de place.
_C’est bien ton genre, tu n’a presque rien à toi, tu change tout autour de peur de t’attacher.
_Non tu confonds, attacher c’est ton truc.
Il enleva ses chaussures et retroussa son Jean pour tremper ses pieds dans l’eau, léchant le rebord de son verre vide il soupira.
_Tu veux pas dire à un de tes laquais d’aller m’acheter de la bière ?
_Sale con.
_Quoi t’as peur que je décide de pisser dans ton bain comme sur tes pitbulls de tout à l’heure?
_Non, mais tu as toujours été si fermé aux nouvelles expériences, tu ne bouge jamais de ta position d’un iota ; c’est valable pour les idées comme pour les goûts, tu as du champagne et tu veux de la bière.
_T’énerves pas D, va pour le champagne.
Elle se leva sans un mot, répandant de l’eau à travers la pièce comme une vénus sortant du bain, elle revînt avec la bouteille seule pour l’ouvrir sans égards et en boire au goulot avant de se replonger avec délice dans l’eau chaude ; Harrison prit la suite sans état d’âme.
_C’est ce que je déteste chez toi D, parfois on a l’impression que tu vis dans un film ; les bougies, le champagne et le jacuzzi ça fait cliché
_C’est peut être vrai mais où est le mal à vouloir ce qu’il y a de mieux Harry ?
_Je sais pas c’est peut-être ce qu’on attend de nous, les ignorants son bénis je te le dis.
_Si ce n’est que ça j’achète de suite un appartement miteux pour que tu sois heureux, tu verra on fera ça comme des bêtes sur le divan devant la télé, un vrai couple de prolos mon chou.
_Non sans déconner D, t’as pas envie de rajeunir, de retrouver le goût que ça avait quand tout était neuf ?
_…Beau et encore à salir Harry, c’est des foutaises, rien n’a changé à part nous ; va donc te taper des gamines si c’est ce qui te branche.
_T’es irrécupérable ma pauvre, bon tu as reçu le message alors moi je me tire il va bientôt faire jour.
Harrison se leva et embarqua ses chaussures par les lacets, alors qu’il passait la porte D se retourna vers lui furieuse.
_C’est ça fumier tire toi, et surtout te gène pas je te fais cadeau de la bouteille de champ !
_Encore heureux !
Il claqua la porte en riant comme un enfant, mais sa prochaine visite pourrai être beaucoup moins amicale comme le témoignait la hache à incendie abandonnée sur la moquette.