La gargote, une espèce de mobile home aux chromes passés gisait sur le bord de la route, au milieu des casses, stations services fermées et autres forêts de poteaux électriques qui formaient les territoires sauvages en marge de la ville, le moins que l’on puisse dire c’est que l’endroit était calme. La banquette de moleskine rouge semblait vouloir vous engloutir à tout moment et les vitres rendues opaques par la buée forçaient les gens à se regarder en face ou bien plonger du nez pour admirer leurs chaussures ou encore détailler le contenu du cendrier, Jenny comme l’affichait son badge semblait faire partie intégrante du lieu et on avait du mal à l’imaginer ailleurs que derrière son zinc ; malgré tout l’endroit avait le mérite d’être chauffé et étrangement vivant dans ces déserts de solitude qu’étaient les marches. La musique était moins là pour l’agrément que pour protéger l’intimité des conversations, Harrison n’eu cependant pas à forcer sa voix pour tirer Jenny de ses rêveries, si elle en avait encore. Alors que le couple s’installait à une table, la serveuse se força sans pour autant sourire à venir prendre la commande ; toujours avec une petite voix, Cassandre demanda un café, Harrison lui aboya une suite assez longue mais précise de demandes parmi lesquelles Cassandre distingua un sandwiche au thon, un vrai café « et pas votre jus de chaussette habituel », ainsi que deux œufs à la poêle et un paquet de Lucky Strike. Alors que Jenny s’en retournait dans son domaine de l’autre côté du comptoir, Harrison se pencha vers Cassandre et lui déclara sur le ton de la confidence : « Plus ça a l’air crade et plus la bouffe est extra, les gens qui veulent du tout lisse et aseptisé loupent souvent l’essentiel. »
Cassandre se contenta d’acquiescer d’un air morne alors qu’une partie d’elle-même lui demandait ce qu’elle pouvait bien foutre encore là, en face d’elle le détective alluma l’ultime cigarette de son paquet avant de l’écraser machinalement, puis alors qu’il tirait sa première bouffée il regarda la mine déconfite de la femme assise en face de lui et fit tourner la fusée blonde entre ses doigts avant de la lui tendre ; Cassandre de surprit à l’accepter avec empressement, la fumée envahit ses poumons et le monde s’éclaircit pour devenir plus calme, elle prononça alors son premier mot cohérent depuis une demi-heure.
_Merci.
_Pas de quoi.
_J’ai essayé d’arrêter plein de fois vous savez…
_Perte de temps, c’est comme cotiser dans un fond de retraite on vit jamais assez vieux pour en profiter.
Elle grimaça dans une parodie de sourire, si elle avait tenté d’aller trop vite son rire aurai été un grincement atroce ; Jenny revînt à la table et déposa les commandes, Harrison se fendit d’un sourire charmeur avant de se jeter sur son club sandwich, accompagnant la manœuvre d’un gémissement digne d’un orgasme première classe. Dans son coin, Cassandre arriva à rire, doucement ; Harrison calma sa frénésie culinaire pour avaler un peu de café brûlant et reprendre la conversation, maintenant prêt à aborder des sujets sérieux.
_Alors si vous m’expliquiez pourquoi vous rôdiez autour de l’Idolâtre tout à l’heure doc ?
_On est samedi soir, je sortais ; bien sûr c’était avant de me faire attaquer par un ours.
Harrison la détailla de pied en cap d’un œil qui s’il n’avait pas été soupçonneux aurai pu être lubrique, toute trace d’humour était absente de son visage pourtant plus humain qu’au par avant, ou plus détendu seulement. Pantalon treillis ajusté noir, un débardeur oriental rouge orné de petits miroirs, un gilet de laine blanche à grosses mailles et le maquillage évidemment…Le flic siffla d’un air admiratif.
_Joli camouflage.
_Hein ? Quoi ?
_C’est pas votre genre, c’est tout ; puis comme par hasard l’Idolâtre est la boîte où se produisait le plus souvent le groupe de la victime. Alors, qu’est-ce qui vous a pris ?
Cassandre abandonna son café dégueulasse dans sa tasse et croisa les bras d’un air décidé.
_Et pourquoi pas ? Vous m’avez dit vous-même que ça n’avait rien à voir avec les membres du groupe de Jacob, non ?
_J’en ai pas dit autant de ses dealers ? Si ? Et puis si vous voulez aller vous saouler il y a plus classe comme bouge pour un toubib non ?
_Et si j’aime ce genre d’endroits ?
_Alors c’est que vous êtes malade, n’importe qui tenterai de s’échapper de cette crasse, pas d’aller s’y enfouir tête la première ; non mais une nana comme vous qu’est-ce que vous croyez qui vous serai arrivé dans cette boîte ? Vous auriez finie disséquée par un de vos collègues où en larmes en train de faire une déposition aux flics des mœurs depuis votre lit d’hôpital, quoi qu’il en soit c’est le même endroit !
Harrison paraissait plus inquiet qu’en colère cette fois-ci, Cassandre détestait ça par ce qu’il avait sûrement raison, mais elle s’entêta, reproduisant les disputes qu’elle avait souvent eu avec son père autrefois.
_Ca me regarde ce que je fais, non mais qu’est-ce qui vous dérange là-dedans ? Vous les hommes vous êtes tous pareils !
_Et bien c’est ça allez vous faire sauter, violer ou tuer par qui vous voulez toubib mais comptez pas sur moi pour ramasser les morceaux, je fais pas dans l’humanitaire…Et merde ! Vous avez gagné, mes œufs sont froids maintenant.
Avec dépit il plongea le nez dans son assiette et se mit à engloutir rapidement son contenu, Cassandre soupira excédée, depuis son comptoir Jenny faisait semblant mais n’en ratait pas une miette ; ayant fini Harrison regarda Cassandre avant de suivre son regard jusqu’à la serveuse qui devînt toute rouge, il murmura un juron avant de lui crier sans ménagement :« filez-moi donc une bière ! »
Elle disparut sous con comptoir et il retourna à Cassandre.
« Quoi ? Vous avez pas fini votre crise d’adolescente, on peut reprendre? »
Elle lui tendit un médius dressé et rageur, il sourit rassuré.
_Allez doc, qu’est-ce que vous foutiez là-bas, qu’est-ce que vous savez et que je ne sais pas ?
_Une intuition Harrison, le masque que j’ai trouvé apparaît sur une affiche du groupe où Jacob était seul, je suis persuadé que c’était lui et c’était à l’Idolâtre.
_Et alors ? C’est tout ? Un peu maigre et pas forcément lié à notre meurtre comme piste.
_C’est toujours une piste.
_Vous l’avez sur vous ?
_Quoi ?
_Le masque pardi, vous l’avez sur vous pas vrai ?
_Dans mon sac.
_Je suis sûr que je vais le regretter…
Cassandre entrouvrit son sac pour montrer le masque à Harrison, ce dernier profita qu’elle y fouillait pour sortir la boîte de pilules de la poche intérieure de son blouson et en avaler deux avec un long trait de bière.
_Bon, voilà le plan, vous allez là-bas, vous prenez un verre et vous causez gentiment avec le barman, vous laissez innocemment sortir dans la conversation que vous étiez un fan de John Doe ou Jacob quel que soit son nom et vous appâtez avec le masque, on verra bien ce qui en ressortira, moi je serai juste derrière au cas où.
_Et pourquoi est-ce que je ferai ça ?
_Par ce que sinon j’envoie votre joli petit cul de brunette derrière les barreaux où vos nouvelles copines vous casseront tellement la gueule que votre pauvre maman ne vous reconnaîtra même plus, capice ? Non mais ce que vous pouvez être chiante parfois !