Ce fut la sonnerie stridente du téléphone qui réveilla Cassandre, sa voix cassée articula un faible « Allô ? » mais la voix de l’autre côté du combiné eût tôt fait de la sortir de sa torpeur, l’intérêt était le meilleur moteur pour ramener quelqu’un à la vie. La voix de Harrison était parfois coupée par le bruit du vent ou des voitures, il devait téléphoner de son portable.
« Docteur ? Oui Harrison à l’appareil, c’est Eisenberg qui m’a donné votre numéro perso… »
Cassandre l’interrompit brusquement, il ne fallait pas qu’il croie que son style pouvait lui en imposer aussi facilement.
« Mais bon sang vous ne dormez jamais à la crim’ ? Il n’est que onze heures ! »
Un rire lointain lui parvînt de l’autre côté du téléphone, le rire d’Harrison était intéressant, tout à fait décalé par rapport à son personnage, haut et fluide.
« J’ai interrogé les anciens membres du groupe de notre John Doe, ils ont tous un alibi pour le soir du meurtre alors c’est foutu, dîtes moi que vous avez du nouveau. »
Elle tourna dans son lit avec un sourire satisfait, attendant le moment parfait pour lui annoncer les nouvelles, son boulot n’était pas si ingrat après tout.
« Et bien vous avez de la chance, j’ai reçu les résultats de la toxico ; je n’ai pas eu le temps de vous les faxer mais il semblerait que vous ayez bon en ce qui concerne la drogue, on ne l’a pas encore identifiée mais il en avait pris. »
Il resta silencieux pendant quelques secondes que Cassandre savoura vraiment, se repliant sur elle-même pour agripper la couette de toutes parts comme un cocon.
« Bon, il semblerait que je vais passer mon samedi soir à faire la tournée des dealers de la ville ; merci beaucoup doc. »
Elle n’eût pas le temps de l’achever d’un « De rien. » qu’il avait brusquement raccroché, la privant de cette ultime jouissance mais qu’à cela ne tienne son samedi avait quand même bien commencé ; elle reposa le téléphone sur la moquette de la chambre et s’enfonça plus profondément dans son cocon, des rêves sauvages comme elle n’en avait pas fait depuis longtemps lui assurèrent une somptueuse grasse mâtinée. Non loin de là, sur la table de nuit, le masque du démon femelle souriait avec un éclat plus profond. 17 heures, Cassandre lisait le journal en tapotant nerveusement le bord de la table avec ses ongles ; quinze minutes plus tôt sa meilleure amie lui avait assénée qu’elle ne pouvait pas passer la soirée avec elle pour cause de marmots malades, les minutes s’écoulaient et avec elles s’approchait inexorablement le spectre d’une soirée télé vide de sens. Cassandre regrettait presque d’être en congé, le travail offrait au moins la perspective de quelques échanges avec des gens hors-normes, des gens pleins d’aspérités et de cicatrices laissées par la vie, pas comme toutes ces poupées édulcorées à la plastique parfaite que vous imposait la télévision. Sortir seule ne l’enchantait pas non plus, elle ramasserait peut être un type quelconque dans une boîte mais elle voulait plus, du frisson et un défi, le seul moyen de se sentir vivante ; elle songea à visiter des boîtes un peu plus extrêmes qui pullulaient des certains coins de la ville, un endroit où elle aurait été une parfaite étrangère. Un endroit sans jugement de valeur, juste un endroit vierge et sauvage, à découvrir, à conquérir ; elle s’empara de l’annuaire et laissa glisser son ongle rouge sur les noms parfois accrocheurs mais souvent ridicules, elle s’arrêta sur l’un d’eux : l’Idolâtre. Une adresse sans aucun numéro de téléphone, mais d’où connaissait-elle ce nom ? Impossible à dire. En fouillant dans sa garde robe, Cassandre agrippa le téléphone entre son menton et son épaule, la voix un peu rauque de la femme du taxi répondit.
« Charon taxi 577 à votre service, où je vous emmène ? »
Cassandre imagina la vieille portant la robe brune du passeur du Styx, poussant la perche qui mouvait sa barque, l’image mentale l’amusa grandement ; elle récita l’adresse du club.
« Je vois c’est le quartier des anciens abattoirs, je passe vous prendre à 21h madame. »
Elle raccrocha sans que Cassandre ait pu lui préciser son adresse, elle avait reconnu sa voix à n’en pas douter, quelle étrange bonne femme.