La Comté, tous ceux qui ont voyagé jusqu' en ces terres ont très certainement gardé en mémoire, l'image verdoyante d'une campagne vallonnée et luxuriante; de collines ondulantes au vert saturé de jaune solaire, piquetées ici et là du rouge des pommes des vergers. Ces voyageurs ont du entendre en passant, le rafraîchissant bruissement des cours d'eau ou encore le stoccato des bras écartés des moulins qui tournoient dans l'air, brassant les parfums champêtres.
La Comté c'est aussi un paysage d'hiver.
Les chênes séculaires ont perdu leurs feuilles aux lobes arrondis et inégaux, les prés se recouvrent de givre, les moulins semblent avoir ralenti leur rythme, engourdis par le gel. Les pavés sonnent sous les pas des quelques passants qui n'ont pas encore trouvé refuge dans un de ces habitats troglodytes, au confort reconnu.
Un soir comme celui là, à la tombée de la nuit, deux paires de grandes jambes arpentent les chemins craquants de froid. A les observer de loin, on dirait deux compas mesurant des distances improbables. A les voir passer, sans qu'on sache où ils vont on pourrait s'inquièter. A les écouter, nimbés de la buée de leur convesation peu aimable, les habitants du bourg de Touque pourraient prêter l'oreille pour connaître le sujet de la dispute, mais ceci n'est pas notre propos.
Notre propos est tout autre, il ne concerne pas la conversation de ce couple, qui s'est arrêté sous un réverbère solidement planté en terre, dont la lanterne aux petits carreaux jaunes dispensent suffisamment de lumière, pour que l'épicière qui rentre chez elle, aperçoive les favoris raidis de glace de l'un et le regard d'eau miroitante de l'autre.
Notre propos est la bibliothèque dans laquelle ils vont pénétrer d'ici peu de temps, ils sont à la recherche d'un livre et même si le sens commun semble avoir déserté l'esprit de l'un, la colère semble habiter l'autre, la logique ne les a pas encore abandonné. Ils se rendent dans l' édifice qui abrite des livres par centaines pour n'en trouver qu'un.
Laissant le verbe haut et la parole cinglante de côté ils font amende honorable auprès d'un des occupants des lieux, qui les autorise à s'installer un moment dans la bibliothèque. L'homme est d'expérience et sage, ainsi pour calmer les foudres de la voyageuse il commence à lui raconter une histoire d'une voix aux intonations variées et chaleureuses.
De temps à autre, toujours le soir à la veillée, Adelard Touque les revoit entrer à pas légers et s'installer dans un recoin de la grande bibliothèque, elle écoute en silence en tournant les pages de livres illustrés, il conte ou il chante selon l'humeur, quelques passants se joignent régulièrement à eux.
Prochaîne veillée publique d'Elgarth Eomarc.
Vendredi 15 février à 21 h 00
Bibliothèque du bourg de Touque
Avec l'aimable autorisation de Thain Paladin Touque .
Il est rappellé aux auditeurs que le calme de ce lieu d'étude ne doit pas être troublé.
Je vais vous parler d'un temps lointain, durant le second millénaire, du troisième âge de ce monde ; un temps terrible, qui fut le témoin de hauts faits et de grands prodiges.
Arthedain était déjà le dernier des trois royaumes héritiers d'Arnor ; il connut la peste, mais il connut surtout la guerre ! Car jamais, le Roi Sorcier d'Angmar ne cessa de le tourmenter, aidé dans ses noirs desseins par les traîtres montagnards du Rhudaur.
Arthedain avait en ce temps un grand roi, Araphor fils d'Arveleg. Arveleg mourrut héorïquement en défendant la tour de guêt d'Amon-Sûl, et son fils encore tout jeune, prit les armes et arrêta les armées d'Angmar !
Araphor avait à ses côtés les fiers Dunedains de toutes les maisons, jusqu'aux réfugiés des massacres de Rhudaur et Cardolan ; Cirdan le charpentier et ses elfes venus de Lindon ; les hobbits sortis de leurs lointains terriers du Rhovannion ; et le sage Elrond menant aussi bien ses gens, que des puissants Galadhrims venus de la Lorien.
Le jeune Roi tenait courageusement les murs de Fornost, lorsque le siège de la capitale fut brisé par Cirdan ; ils dépéchèrent alors immédiatement des renforts au Sud, dans ce que nous appellons aujourd'hui le pays de Bree.
La bataille y fut furieuse ; et c'est dans le défilé des Galgals, avant que le mal ne vînt y tourmenter les brâves qui y reposent, qu'eu lieu la plus décisive.
Quatre jours, les Dunedains encerclés tînrent la passe ; recevant leus renforts venus du Nord à Travers la Vieille Forêt.
A l'aube du cinquième jour, des trompettes raisonnèrent à l'Est ; les premiers rayons du soleil frappèrent des armes d'or et d'argent, et les ténèbres connurent alors la frayeur !
Il y avait là les elfes, mais aussi cents hommes féroces venus du Harad lointain, à la peau noire et aux muscles d'airain ; ils portaient des masques terrifiants forgés par les nains de Khazad-Dûm, et on les connaissait sous le nom de la Horde d'Or. Leur seigneur était Nardu-Inzil, le Numénoréen Noir, et il maniait Atalante, complainte du continent perdu. Chaque cavalier tenait devant lui un semi-homme avec arc court et carquois, ils déversèrent une grèle de flèches sur l'arrière-garde ennemie, puis la chargèrent sans lui faire de quartiers aucun.
Pris entre les montagnes où les Dunedains recevaient des troupes fraiches, et la charge terrible des forces de l'Est ; l'armée de la couronne de fer fut broyée, et un nouvel âge de paix revînt sur l'Eriador.
L'amitié forgée à la bataille entre les hommes et les hobbits ne se démentit jamais, et c'est fort sagement que le fils d'Araphor, Argeleb le second, fit don de la province à l'ouest du Brandevin aux courageux semi-hommes.
Aujourd'hui nous voici, réunis sous le toit du trente et unième Thain de la Comté, le sage et puissant Paladin deuxième du nom, du clan des Touques. Aussi je vous dis ceci, amis voyageurs et habitants d'Eriador ; puisez force et courage dans les leçons du passé ; et n'oubliez jamais.